La lettre aux Hébreux. Jésus-Christ, médiateur d’une nouvelle alliance

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La lettre aux Hébreux. Jésus-Christ, médiateur d’une nouvelle alliance

P. Édouard Cothenet

Paris, Éd. Desclée, coll. « Jésus et Jésus-Christ », n° 84, 2002. – 236 p., 18 €.

Esprit & Vie n°76 / février 2003 – 2e quinzaine, p. 21-22.

Dans une brève préface, Mgr Joseph DORÉ, archevêque de Strasbourg, situe le livre dans l’ensemble de la collection Jésus et Jésus-Christ qu’il a fondée et qu’il dirige toujours. Seule des écrits du Nouveau Testament à décerner le titre de prêtre à Jésus, l’épître aux Hébreux développe une christologie originale, mettant en valeur la médiation unique opérée par le Christ entre Dieu et les hommes.

Nul ne pouvait mieux écrire ce livre que le P. A. VANHOYE, professeur à l’Institut biblique de Rome, qui, depuis sa thèse sur La structure littéraire de l’épître aux Hébreux (1963), a multiplié les études sur ce texte trop méconnu, les unes fort savantes, d’autres destinées à un large public. Citons notamment le Cahier Évangile, n°19 « Le message de l’épître aux Hébreux », puis le commentaire pastoral dans le volume collectif « Les dernières Épîtres. Hébreux-Jacques-Pierre-Jean-Jude [1] ». Pour des lecteurs peu familiers avec l’épître ou plutôt le sermon aux Hébreux, la lecture préliminaire de l’un ou l’autre de ces textes facilitera la compréhension du nouvel ouvrage où l’auteur se situe strictement dans l’axe d’une « christologie sacerdotale », fondant le salut chrétien sur la méditation de l’offrande unique que le Christ a faite de sa personne pour chacun de ses frères les hommes. S’appuyant sur une analyse précise de l’enchaînement des textes et de la valeur propre des mots, la démonstration est rigoureuse, et pourtant accessible à un assez large public, grâce à la grande clarté du style. L’auteur maîtrise si bien son sujet que tout semble couler de source. De-ci, de-là quelques notes situent la thèse par rapport à d’autres explications.

Relevons quelques points saillants.

Le titre de médiateur (mesitès), rare dans le Nouveau Testament [2], est appliqué trois fois au Christ dans l’épître aux Hébreux, dans des passages clefs (He 8, 6 ; 9, 15 ; 12, 24). L’idée de la médiation, elle, est au centre de tout le sermon, comme le montre A. VANHOYE en suivant pas à pas la construction savante du texte, à partir du préambule qui situe le Christ comme Fils, par rapport à Dieu et qui laisse entrevoir sa situation par rapport aux hommes. Quel est donc le nom que le Christ reçoit en héritage (He 1, 4) ? La suite nous montrera qu’il s’agit du titre de « grand-prêtre » (He 2, 17), dont le sermon, par touches successives, développe toute l’ampleur de signification.

La première fonction du grand-prêtre est celle de l’enseignement : c’est à ce titre que le Christ est « l’apôtre de notre confession de foi » (He 3, 1), « digne de foi » (pistos, He 3, 2). Soulignons l’importance de cet acquis : par opposition aux théologiens qui voyaient dans He 5, 1 (offrir des sacrifices pour le péché) la définition du sacerdoce en soi – ce qui permettait de légitimer les ordinations ad missam – l’épître aux Hébreux conduit à une définition beaucoup plus large du sacerdoce.

Pour être médiateur, le Christ a dû participer à la condition humaine, dans toute sa faiblesse (chair et sang en He 2, 14). De ce fait, loin d’être séparé comme les prêtres de l’ancienne alliance, il s’est fait en tout semblable à ses frères, hormis le péché, et sa disposition fondamentale est celle de la compassion. À la conception rituelle du sacrifice, s’oppose la dimension existentielle. C’est sa propre personne que le Christ offre à son Père, dans la soumission douloureuse de l’agonie (He 5, 7-10).

Les chapitres 8 à 10 établissent un parallèle entre les sacrifices du Jour des expiations (Yôm kippur, Lv 16) et le sacrifice pascal du Christ. On aurait attendu quelques précisions sur la liturgie juive, non pas telle qu’elle était pratiquée (Hébreux parle de la Tente et non du Temple), mais telle que la conçoit l’épître aux Hébreux, d’une manière analogue à celle de Philon. Pour sa part, A. VANHOYE consacre toute son attention à la doctrine théologique de l’auteur qui n’isole pas la Passion de la glorification du Christ et voit l’achèvement du sacrifice dans l’intercession que le Christ glorifié exerce pour ses frères les hommes (He 7, 25-28).

Deux questions reçoivent un large développement : « la tente plus grande et plus parfaite » (He 9, 11) ne désigne pas le ciel, mais « le corps du Christ ressuscité, nouveau lieu saint qui mène à Dieu » (la relation entre la nouvelle Alliance et la première). Contre toute édulcoration des textes, A. VANHOYE maintient la spécificité de la nouvelle Alliance qui, à la différence de Jr 31 cité in extenso, allie la nouveauté de l’alliance avec la nouveauté du culte. On ne peut donc « concevoir la nouvelle alliance fondée sur l’oblation du Christ comme une simple restauration de l’alliance du Sinaï » (p. 188).

L’ouvrage est consacré au sacerdoce du Christ et laisse de côté les passages d’exhortation. Puis-je relever une discordance dans un sermon par ailleurs si construit ? Comment se fait-il qu’un auteur qui souligne si fort la compassion du Christ se montre à ce point sévère contre les fidèles tombés dans le péché grave (He 10, 26 s.), passage qui inspirera la théorie des péchés irrémissibles ? Certes, il faut faire la part du genre oratoire. La difficulté n’en subsiste pas moins et se retrouve aujourd’hui encore dans la discipline pénitentielle de l’Église.

Merci au P. VANHOYE pour ce profond exposé qui montre si bien qu’on ne peut éclairer la nature du salut chrétien sans référence à la première Alliance, mais en même temps sans une vision claire du mystère du Christ dans sa double relation à Dieu et à ses frères les hommes. L’unité entre les deux grands commandements n’est-elle pas fondée en définitive sur la personne même du Christ ? Telle est la conclusion ultime qui vient à l’esprit en refermant ce beau livre.

[1] Paru chez Bayard Éditions/Centurion, Paris, 1997 (en collaboration avec É. Cothenet et M. Morgen pour les autres épîtres).

[2] Citons ce texte d’une hymne ancienne, contenue en 1 Tm 2, 5 : « Il n’y a qu’un seul Dieu, un seul médiateur aussi entre Dieu et les hommes, un homme : Christ Jésus, qui s’est donné en rançon pour tous. » Seule autre occurrence : Ga 3, 19 s.

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