La visite du Cardinal Lustiger en Israël : Quelques souvenirs d’un témoin (2007)

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La visite du Cardinal Lustiger en Israël

Quelques souvenirs d’un témoin

lundi 6 août 2007

Les trois jours et demi de cette visite furent intensifs. Dès le lundi soir 24 avril commençait le colloque à l’Université’ de Tel Aviv dans l’intimité, 16 participants officiels et une trentaine d’invités.

Les participants étaient des philosophes, théologiens et historiens juifs et chrétiens d’Israël, France et E.U. De France : Mr et Mme Bédarida (historiens spécialisés dans la période de l’occupation nazie en France, et elle fondatrice de T.C. et résistante), Jean Dujardin, Bernard Dupuy, J.M. Garrigues ; de Belgique Albert Chapelle et d’Israël Marcel Dubois.

Les débats se déroulèrent dans une atmosphère de franchise et d’écoute réciproque, on peut même dire d’amitié tout au long des trois jours. Le Cardinal y était l’invité d’honneur et participant. On parla du silence de Dieu ou du « voilement de la Face », et plusieurs conférenciers y ajoutèrent une note personnelle : la perte récente du fils aîné ou d’un ami cher…

On parla aussi du silence des hommes durant la Shoa, et bien sûr plus spécialement du silence quasi total et de l’action insuffisante de l’Eglise ; les intervenants chrétiens furent les plus clairs sur ce sujet, même s’ils ont apporté les nuances nécessaires.

Les organisateurs ont promis la publication des interventions de ces trois jours, qu’il serait bien difficile de résumer.

A l’une des pauses, la T.V. israélienne arrive à glisser une interview, que l’on verra le soir. Les questions se pressent, les réponses sont parfois laconiques, embarrassées, mais plusieurs phrases sortent enfin, claires et nettes : « la voix des responsables et des grands de ce monde ne s’est pas élevée, et on peut regretter, principalement, que la voix des églises, et de l’Eglise, n’ait pas été plus forte, plus cohérente. (…) la naissance de l’Etat d’Israël est un événement heureux, béni, qui porte en lui-même une force de délivrance, de rénovation, d’espérance. (Et à la fin :) Je demande à Dieu de garder sa bénédiction et de donner au peuple aimé de lui sa force et sa fidélité. »

Le soir du deuxième jour le Cardinal fut invité à un concert de l’orchestre philharmonique dans la grande salle des concerts de Tel Aviv ; au programme : messe de Mozart, la traduction hébraique des textes étant distribuée au public.

Le troisième jour après-midi le Cardinal donna une conférence ouverte au public à la salle des conférences de l’Université. La salle était comble et il fallut ouvrir une deuxième salle avec écran de télévision. Le président de l’Université présenta chaleureusement le Cardinal, regrettant les sons discordants entendus les jours précédents, puis ce fut le Ministre de la Culture, Mme Shoulamit Alloni, qui exprima sa satisfaction de la possibilité de telles rencontres. Enfin les paroles du Cardinal : denses, en petits paragraphes, difficiles parfois à apprécier sur le moment, surtout à travers une traduction simultanée. Le destin d’Israël est tracé clairement, sa vocation, sa bénédiction que les nations (la chrétienté dans le passé) ont voulu lui ravir. C’est la vocation de tout le peuple juif, ici et dans les diasporas, qui est affirmée (N.B. Le journal La Croix a publié le texte écrit intégral). A la fin, applaudissements nourris et prolongés, rythmés. Le président de l’Université conclut en rappelant le concert où le Cardinal avait entendu une messe avec le Gloria et le Credo, et ajouta : « Même si son Credo et notre Credo sont différents, nous pouvons ensemble louer Dieu en un Gloria commun ». A la sortie on pouvait recevoir le texte hébreu/ et il ne resta rien des 700 exemplaires que nous avions prévus.

Aussitôt après il faut courir ailleurs pour une conférence de presse digne de ce genre ping-pong rapide, peu favorable aux questions délicates. – Le silence de l’Eglise ? « On en a beaucoup parlé dans ce colloque, ce sera publié, et je ne peux revenir sur ce point ici. » (ce qui deviendra un grand titre dans le Jérusalem Post le lendemain : « Le Cardinal : Je n’ai pas le temps de parler de l’Eglise et de la Shoa ») – Rencontrer le rabbin Lau ? « Je suis prêt, mais ses conditions sont… un peu dures » (Lau avait dit : s’il est prêt à revenir au judaïsme). – On a parlé de vous comme futur Pape ? Réponse avec un sourire : « Meshouggë… » (en hébreu-yiddish : Fada !). Rires amusés. – Renaissance de l’antisémitisme en France ? « Difficile de dire ce qui se passe (divers racismes) ; pas de paranoia, mais rester sur ses gardes. » La visite au Mémorial du souvenir Yad-vaShem eut lieu le quatrième jour, le jour du Souvenir, 50 anniversaire de la libération des camps. Ni officielle (vu les oppositions bien prévisibles), ni totalement privée puisque Aaron J.M. Lustiger, très ému et épuisé, était accompagné de ses hôtes de l’Université, de ses compagnons du colloque, du P. Jean-Baptiste Gourion du monastère bénédiction d’Abou Gosh, et… d’une armée de photographes plus actifs que jamais (euphémisme).

L’après-midi fut le moment le plus touchant, le plus réconfortant : les parents de Aaron Jean-Marie étaient d’une ville de Pologne Bezin d’où toute la communauté juive a disparue. Les rescapés et leurs familles ont formé une association ; son président Arié Ben-Tov avait invité le Cardinal au nom de tous à participer à la cérémonie du 50-ème anniversaire de la libération des camps qui se déroulait au Mémorial de Mevo Modi’in, patrie des Maccabées. Il y fut reçu comme hôte d’honneur, les 3 à 400 participants lui manifestèrent beaucoup de chaleur (le soleil aussi). Pendant une demi-heure les uns et les autres se présentèrent, rappelant des souvenirs de famille (« j’ai bien connu vos parents… »). Placé au milieu, entre Arie ’Ben-Tov et Abraham Burg, le président de l’Agence Juive, en présence de délégués juifs polonais d’Israël et des Etats-Unis, il assista à une cérémonie émouvante pendant deux heures, et il déposa, en compagnie d’un petit cousin, une gerbe au monument. Il en est revenu très ému et heureux.

Le matin qui suivit ces journées, le Prof. Assa Kasher, de l’Université, exprima à la radio sa satisfaction de la participation du Cardinal, ajoutant « nous sommes heureux d’avoir des amis comme lui dans l’Eglise catholique. » Les journaux rapportèrent diverses réactions à cette visite, certaines violentes, la plupart favorables et critiques envers le Rabbin Lau. On peut dire que ses attaques ont en fait amené diverses personnalités et journalistes à se démarquer nettement de son attitude.

Que conclure de cette visite, que les deux côtés appréhendaient ? Ni échec, ni visite tranquille et pleinement « réussie », le contraire aurait été étonnant. Mal reçu ? cela dépend par qui. L’impression dominante est plutôt positive, vu tous les risques qu’on pouvait craindre. Des choses importantes ont été dites au colloque en petit comité, qui auront leur répercution, d’autres face au grand public, la rencontre en elle-même était importante et s’est bien passée. Certaines choses auraient pu être dites plus nettement, dès le début, et cela aurait soulagé bien des auditeurs. Mais le contact est difficile quand on ne connaît pas d’avance le public à qui on s’adresse, ses attentes et ses réactions possibles, son langage, ses points sensibles mais aussi sa disposition à entendre certaines choses. Et pourtant quelque chose a passé. L’avenir dira peut-être ce qui sera resté dans la mémoire de chacun.

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