La méthode de saint Ignace

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La méthode de saint Ignace

Le P. Peter Hans Kolvenbach, préposé général de la Compagnie de Jésus, a publié un livre d’entretiens : «Faubourg du Saint-Esprit». L’occasion de découvrir comment l’expérience et l’intuition de saint Ignace de Loyola continuent de guider la recherche spirituelle de nombreuses personnes

Cloué sur son lit, Inigo (Ignace ) s’ennuie ferme. Il y a peu, survolté, il était sur les remparts de Pampelune parmi les combattants qui tentaient de résister aux troupes de François Ier assiégeant la ville. Mais un boulet de canon l’a blessé gravement au genou droit. Depuis, contraint à l’immobilité, il rêve d’exploits pour le service d’une dame de sang royal, de carrière brillante auprès du roi d’Espagne, d’honneur. Parfois aussi, pour tuer le temps, il lit des livres racontant la vie du Christ et des saints, les seuls à sa disposition dans la bibliothèque paternelle, et se met alors à rêver de faire de grandes choses pour Dieu, «comme saint François ou saint Dominique».

À le voir ainsi plongé dans ses rêveries, nul ne pouvait imaginer la suite. C’est pourtant de ce repos forcé, de ces rêveries d’un gentilhomme basque en mal de gloire, que vont naître une aventure humaine – celle des jésuites – et une spiritualité profondément novatrice, qui guidera des générations de chercheurs de Dieu.
A l’écoute de la subjectivité et de la liberté

Né l’année où Christophe Colomb vogue vers le Nouveau Monde, Ignace est un jeune homme de son siècle : celui de Copernic, de l’imprimerie, de Luther et de la Réforme, du développement du commerce et des conquêtes. Il évolue dans une culture nouvelle, celle qui émerge de la Renaissance, qui redécouvre les valeurs de l’humanisme antique et valorise la subjectivité et la liberté de chacun. Dans sa chambre du château de Loyola, il se met donc à l’écoute de son cœur, de ce qui le désole et de ce qui le console (2), et finit par découvrir que la liberté offerte à chacun est une chance : la chance pour tout être humain de décider de sa vie devant Dieu. Avec, à la clé, cette question : «Quid agendum ?» – que faut-il faire ?

Cette question, il se la posera souvent. À Loyola, bien sûr, où il prend la décision radicale de changer de vie pour suivre le Christ. À Manrèse, en Catalogne, où il vit une expérience spirituelle fondatrice. À Jérusalem, où il se rend en pèlerinage et d’où les franciscains le rembarquent. À Paris, où il achève ses études de philosophie et de théologie. À Rome, où il fonde officiellement la Compagnie de Jésus.

Quid agendum ? Pour répondre, il s’appuie sur une intuition fondamentale : Dieu a un projet pour chacun. C’est ainsi qu’à Manrèse, il comprend que sa vocation à lui est d’« aider les âmes».

Comme il n’a rien oublié de son expérience de Loyola, il prend alors l’habitude de noter ses expériences de joie et de tristesse, ses combats intérieurs, ses visions, tout ce qu’il «observe» dans son âme et qui, parce que cela lui est utile, pourrait «être utile aux autres». Il en tire un certain nombre de règles et d’exercices pratiques qu’il rassemble en un opuscule d’une centaine de pages, les Exercices spirituels (3).

Ces Exercices, qui ne sont pourtant que le partage d’une expérience où l’éducateur est Dieu lui-même, une fois publiés, connaîtront un succès immédiat. Ignace en a lui-même défini l’objectif : ils sont, écrit-il, «toute façon d’examiner sa conscience, de méditer, de contempler, de prier», afin de «disposer l’âme à supprimer tous les attachements désordonnés et, une fois ceux-ci supprimés, à chercher la volonté de Dieu dans la disposition de sa vie.»
Discerner la volonté de Dieu dans sa vie

Ainsi est-il possible, en portant attention aux mouvements et aux débats du cœur, à la multiplicité ou à l’absence du désir, aux images qui peuplent l’imaginaire, de discerner la volonté de Dieu dans sa vie ou, comme le dit Ignace , d’entrer dans une relation nouvelle avec Dieu. Car c’est d’abord «Dieu qui se communique lui-même à l’âme qui lui est fidèle, l’enveloppant dans son amour et sa louange, et la disposant à entrer dans la voie où elle pourra mieux le servir».

Sur ce chemin, la rencontre du Christ est déterminante. Pour Ignace , en effet, le Christ demeure incarné dans l’Église. Il est le «Créateur». Il n’est pas seulement mort et ressuscité il y a deux mille ans. Il continue à chaque instant de façonner l’univers. Voilà pourquoi le fondateur des jésuites propose, pour prier, une méthode. D’abord, contempler les scènes de l’Évangile, les personnes qui s’y trouvent, ce qu’elles disent, ce qu’elles font, afin d’y trouver un goût ou une lumière intérieure, mais aussi le désir de se conformer au Christ. Puis, peu à peu, réaliser douloureusement l’écart qui existe entre notre manière de vivre et celle de Jésus. Et finalement, prendre une décision, que saint Ignace appelle du terme biblique d’«élection». Il s’agit, écrit-il, de «considérer comment Dieu travaille et œuvre pour moi dans toutes les choses créées sur la face de la terre, c’est-à-dire qu’il se comporte à la manière de quelqu’un qui travaille… et à partir de là, réfléchir en moi-même en considérant ce que, de mon côté, je dois offrir et donner en toute équité et justice à sa divine majesté».
Ouvrir le livre du monde

Pas question d’en rester à la contemplation. Ignace , sur ce point, est très clair et l’exprime par une formule exigeante : «trouver Dieu en toutes choses». Comme l’explique le jésuite François Boedec, rédacteur en chef de Croire aujourd’hui, «Ignace nous invite à fermer le livre des Évangiles et à ouvrir le livre du monde, afin d’y relire le même message quand nous sommes revenus aux occupations ordinaires. Tout a un sens, parce que c’est dans le monde et dans son histoire que s’achève la descente de l’Amour. Toute notre vie est une occasion de rencontrer Dieu, de découvrir sa présence, son action, de le suivre et de le servir».

De cet impératif découlent les grandes règles que le fondateur donnera dans les constitutions de la Compagnie. Les jésuites iront, dit-il, là où il n’y a personne, là où il y a le plus de besoins, là où le travail aura l’effet le plus universel. D’où l’envoi en mission de ses premiers compagnons vers des contrées lointaines, – ainsi François-Xavier. D’où, aussi, la création des collèges qui auront un effet démultiplicateur.

Le chevalier de Loyola est mort le 31 juillet 1556. Depuis, la spiritualité ignatienne s’est déployée, s’adaptant aux lieux et aux temps, inventant sans cesse la manière d’être présent aux hommes. «La spiritualité d’Ignace a un avenir dans l’Église, parce qu’elle est de ce monde et parce qu’elle permet d’y œuvrer en même temps que d’y percevoir Dieu à l’œuvre, écrit le P. Jean-Claude Dhotel (4). En ce sens, elle ne nous appartient plus (à nous jésuites), mais aux hommes et aux femmes d’aujourd’hui et de demain qui trouvent et trouveront en elle un chemin pour aller à Dieu en poursuivant passionnément leurs tâches humaines.»

Martine de SAUTO

(1) Entretiens avec J.L.-Pouthier, Bayard, 158 p., 18 €

2) Le Récit du pèlerin. Ignace de Loyola raconté par lui-même (Éd. Fidélité/Salvator).

(3) Seuil, coll. « Points-Sagesses».

(4) Les Jésuites de France. Chemins actuels d’une tradition sans rivage (Desclée de Brouwer).
  

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