Histoire de la spiritualité monastique: 2. Les moines juifs
du site:
http://users.skynet.be/am012324/studium/bresard/Prehis01.htm
Histoire de la spiritualité monastique
2. Les moines juifs
En effet à l’époque de Jésus, des historiens mentionnent l’existence d’ascètes juifs retirés du monde.
a) Les Esséniens.
L’historien Josèphe et Philon d’Alexandrie parlent tous deux de l’existence de groupes religieux juifs qu’ils appellent Esséniens, ou Esséens. Ce mouvement était sans doute assez ample, comportant plusieurs branches dont le groupe de Qumran. Philon fait venir ce mot « esséniens » du grec : hosioi = « sainteté », mais il est plus probable qu’il vienne de l’araméen hassaya = « pieux ». C’est un mouvement conservateur qui veut se séparer de l’Israël corrompu pour chercher Dieu dans la sainteté ; leur Règle dit en effet : « Ils se sépareront du milieu de l’habitation des hommes pervers pour aller au désert y frayer la voie de Dieu ». Voici deux textes qui les décrivent (Textes 1-2).
b) Les Thérapeutes.
Dans son livre : « De la Vie contemplative », Philon décrit d’autres ascètes qui vivaient en Egypte, à l’est d’Alexandrie, dans le voisinage du lac Maréotis, proche de la Mer. Seul à en faire mention, il allait parfois chez eux, dit-il, pour faire retraite loin des bruits du monde. Il les appelle « Thérapeutes », d’un mot grec qui veut dire « servir » et « soigner ». C’est ce dernier sens que privilégie Philon : ce sont ceux qui soignent (leurs passions) (Texte 3) . Il les décrit à travers ce qu’il est : un rabbin pieux et lettré, féru d’exégèse allégorique et de philosophie platonicienne (Texte 4) .
Ces deux groupes mènent une vie ascétique et communautaire exigeante. On n’y trouve que des exemples isolés de célibat religieux : ainsi parmi les Thérapeutrides, il y avait des vierges [vie contemp. 68], avec idée d’une génération spirituelle.
3. Le « plus » évangélique
Il est sûr que les exigences du Sermon sur la Montagne, l’exemple de la virginité de Jésus et de Marie, les conseils de Paul aux Corinthiens touchant le célibat et l’amour fou du Seigneur qui est mort pour des pécheurs, ont très tôt suscité chez des hommes et des femmes le désir de répondre à l’amour par l’amour, et de consacrer leur vie à Dieu par la virginité.
On en trouve des traces un peu partout. D’abord dans les Ecrits des Apôtres : les Actes nous parlent par exemple des filles de Philippe, vierges et prophétesses (Ac. 21, 9). Plus tard la lettre de Clément de Rome, vers 90, montre l’existence de vierges et de continents. Hermas, en 150, fait mention des vierges de Rome, Ignace du groupe des vierges de Smyrne qui semble important. De même Polycarpe, Justin.
Le mot « moine » apparaît pour la première fois, à la fin du deuxième siècle, dans l’Evangile apocryphe selon Thomas qui célèbre la béatitude du monachos.
A la même époque, entre 150 et 200, on sait qu’il y avait en Syrie et à Corinthe, des gens qui menaient une vie pauvre et ascétique, gardant la chasteté. Il s’agissait encore sans doute d’individuels, vivant probablement dans leur milieu familial ou dans la ville, et l’on ne peut parler de monachisme. Mais très tôt apparaîtra, mêlée à ce bon grain, l’ivraie de la suffisance qui se traduit par une dépréciation du monde. La maîtrise de soi, en grec egkrateia = abstinence, continence, va devenir un mouvement : l’ »encratisme » qui durcit l’abstinence et la continence; on interdit le mariage, la nourriture provenant d’être animés, et le vin.
Dans la première moitié du troisième siècle, on voit un premier monachisme organisé, les « Fils du Pacte ». Ces chrétiens vivaient en commun au service de l’Eglise et du culte, menant une vie pauvre. C’est le premier cénobitisme connu, près d’un siècle avant les premières traces du cénobitisme égyptien.
Encore un peu plus tard apparaît dans ces milieux la tendance « messalienne », d’un mot syrien qui veut dire « prier ». Ceux qui sont touchés par de mouvement spirituel, prétendent qu’aucune autre activité humaine que la prière ne doit s’exercer. Parmi ceux qui adopteront cette attitude, certains resteront dans la ligne de l’Eglise, d’autres s’en écarteront. Au 4ème siècle, Basile essaiera de les ramener, eux et les « encratistes », sur une ligne plus droite.
Et enfin, vers 300, Antoine est le premier moine dont nous connaissons l’histoire par un écrit. C’est alors que commence alors l’histoire proprement dite du monachisme chrétien.
4. Les martyrs
Une troisième cause explique ce jaillissement soudain du monachisme au début du troisième siècle : le martyre. Très tôt, en effet, on a vu dans le monachisme un lien avec le martyre : soit une préparation au martyre, soit une continuation du martyre.
1) Une préparation au martyre pour ceux qui vivaient alors en temps de persécution, comme Antoine. On raconte que lorsqu’éclata la persécution de Dioclétien et que des chrétiens furent conduits à Alexandrie, Antoine, quittant son monastère, les accompagnait en disant : « Allons nous aussi, contempler ceux qui combattent et combattre avec eux si on nous y appelle ».
2) Une continuation du martyre : lorsque les persécutions eurent cessé, les chrétiens purent mener au grand jour une vie de célibat consacré, partir en grand nombre pour le désert pour y habiter. Ils avaient conscience de vivre le même mystère que les martyrs, l’assimilation totale au Christ mort et ressuscité. Ce mystère du martyre, central pour la vie de l’Eglise, ne pouvait disparaître. C’est ce que souligne une vie grecque de Pacôme : (Texte 5).
Trois autres écrits vont dans ce sens. D’abord un apophtegme attribué à Athanase, contemporain d’Antoine, celui qui écrivit sa vie (Texte 6). Puis deux autres textes, l’un à propos des moniales, l’autre des moines (Textes 7-8).
Nous avons déjà ici quelques explications. Pour y voir plus clair, nous allons étudier un texte d’un des martyrs les plus célèbres, Ignace d’Antioche : sa lettre aux Romains, un texte où il nous montre ce qu’il était au-dedans, où l’on voit ce qu’était un martyr. Nous pourrons constater comme cette lettre nous interpelle au coeur de notre vie monastique, et nous référant à elle, nous nous demanderons s’il n’y aurait pas dans la Règle de Saint Benoît des points qui concernent la spiritualité du martyre.
Ignace était donc évêque d’Antioche, en Syrie. Pris lors d’une persécution, il est conduit à Rome par terre et par mer, pour y être exposé aux bêtes dans le Cirque à l’occasion d’une fête païenne. Arrivé en Asie Mineure, il séjourne quelque temps dans deux villes : Smyrne et Troas. Des délégations des églises voisines viennent le visiter. A cette occasion il écrit diverses lettres dont une aux Romains où il leur annonce sa venue et leur demande de ne rien faire pour le délivrer et le faire échapper à son supplice. Cette lettre est un écrit spontané, où le coeur du martyr apparaît ; rien de littéraire ou de conventionnel. Hormis une introduction et une conclusion, il n’y a pas de plan : Ignace écrit au fur et à mesure que les idées lui viennent ; c’est du langage parlé.
Cette lettre figure presque en entier dans le Travail n°1 . Vous la lisez en posant à Ignace des questions ; c’est la meilleure manière de lire les Pères : comme de grands amis, nous les interrogeons. En partant de cette lettre, nous nous poserons différentes questions. D’abord :
■ Qu’est Ignace, quelle est sa personnalité ?
Puis nous l’interrogerons lui-même :
■ Comment envisage-t-il le martyre ?
■ Qu’est pour lui la mort du martyr ?
■ Qu’est pour lui un martyr ?
■ Qu’est pour lui Jésus ?
Quand vous aurez fait ce travail, vous aurez pu remarquer, entre autres choses, deux thèmes qui auront une grande importance dans le développement futur de la spiritualité monastique : le thème du combat spirituel et celui de l’imitation du Christ que l’on va retrouver dans d’autres textes de la littérature des martyrs. Ainsi en voici un qui illustre bien le premier thème : celui du combat spirituel ; le martyr, comme plus tard le moine, a conscience de lutter contre le démon (Texte 9). L’autre thème, celui de l’imitation du Christ se rencontre, entre autres, dans le récit des martyrs de Lyon (Texte 10). Cette présence du Christ, cette fois intériorisée, présence du Christ qui souffre avec et dans son martyr, se lit aussi dans un texte célèbre de la Passion des saintes Perpétue et Félicité (Texte 11). Plus loin nous verrons la même idée dans la vie d’Antoine : le Christ était là dans le combat d’Antoine contre le démon. Il est bon de nous en souvenir dans les tentations : le Christ est là près de nous, bien que nous nous croyons seuls, et il nous aide à en triompher.
5. Origène
Il est enfin un homme qui fut comme Ignace un grand amoureux du Christ, et comme lui désira donner sa vie pour Lui. Ce fut un des plus grands génies du christianisme, comparable à Augustin et à Thomas d’Aquin. Ses oeuvres qui furent nombreuses, eurent une très grande influence sur le monachisme en train de germer. Nous ne l’étudierons pas ici, nous ne faisons que signaler certains points par lesquels il agit sur ce mouvement des esprits – et de l’Esprit – qui engendra le monachisme.
Il y a continuité entre la spiritualité du martyre et la spiritualité d’Origène. Sa vie s’écoule dans une alternance de périodes de persécutions et de calme. Son père meurt martyr lors de la persécution de Sévère, et sa mère doit lui cacher ses habits pour qu’il n’aille pas se dénoncer comme chrétien. Il écrit une Exhortation au martyre durant celle de Maximin le Thrace, et il est lui-même arrêté, torturé pendant celle de Dèce ; il meurt trois ans plus tard, des suites de cette épreuve. Il n’est donc pas étonnant que l’on retrouve dans son oeuvre le thème du combat spirituel.
Par ailleurs, au début de sa vie, Origène avait la charge d’une école de formation à la vie chrétienne, une sorte d’ »Ecole de la foi » avant la lettre, où les étudiants venaient s’instruire auprès de lui. Ils vivaient ensemble, mangeaient ensemble, priaient ensemble. A la fin de son séjour, au terme de cinq ans de scolarité, selon l’usage des écoles d’alors, l’étudiant faisait un petit discours de circonstance. Il nous est parvenu celui que fit un de ses élèves, Grégoire, ce qui veut dire « éveillé », qui devint par la suite évêque et dont la sainteté s’accompagna de tant de miracles qu’on l’appela : le Thaumaturge, c’est à dire : « le faiseur de miracles ». Il nous montre dans son Discours de remerciement à Origène ce qu’était ce maître pour ses élèves : un remarquable formateur, un précurseur des Père-Maîtres des novices. Nous allons lire un petit passage de cette lettre en recherchant ce qui concerne notre vie monastique, ce en quoi Origène a influencé cette vie monastique qui se formait alors « sous roche » (Texte 12) .
Origène formateur et candidat au martyre, met au centre de son ascèse et de sa morale le combat spirituel, thème qui deviendra central aussi dans le monachisme naissant. C’est un thème central, car il n’y a pas de vie chrétienne sans lutte, parce que l’homme se trouve à la croisée de deux chemins, comme le souligne le premier des psaumes. Ce thème des deux voies, souvent repris par la suite, suppose un choix, souvent difficile, qui implique une lutte.
Il y a toute une doctrine du combat spirituel dans les oeuvres d’Origène, et ce thème va passer chez les ascètes d’Orient et dans la spiritualité tout court. Voici d’une manière rapide et très schématique, les principales idées que l’on peut repérer à travers les écrits d’Origène à propos du combat spirituel :
1. Le combat spirituel est un fait : tous nous avons à faire un choix entre la voie du bien et celle du mal, et ce choix ne va pas sans une lutte où notre liberté est impliquée. La voie du bien est celle de Dieu, la voie du mal est celle du démon, le diable qu’Origène appelle du nom de ceux qui, dans la Bible, s’opposent aux Israélites : Amalech, ou Pharaon (Texte 13) . Il y aura donc deux sortes de combattants : (Texte 14) .
2. Le combat spirituel a pour siège le coeur. Par suite nous trouvons dans les oeuvres d’Origène tous ces thèmes qui seront repris par les Pères du Désert : le combat contre les mauvaises pensées, la garde du coeur, la nécessité de la vigilance, du discernement des esprits, de l’ouverture à un Père spirituel.
3. L’ouverture à un ancien est en effet une aide puissante pour le soldat du Christ. Mais il a aussi d’autres aides : Dieu lui même et ses anges. Et lui-même a des armes pour se défendre : d’abord la prière : « Un seul saint en prière est bien plus fort qu’une armée innombrable de pécheurs », assure Origène. La prière et aussi les vertus, surtout la foi et l’humilité. La foi : Origène cite souvent la parole de Paul : « le bouclier de la foi éteint les traits enflammés du Malin » (Ephés. 6, 16); l’humilité : après une chute, il ne faut pas rester à terre, mais se relever (Texte 15) .
4 . Ce combat nous est fort utile : d’abord parce que nous serons parfois vaincus et découvrirons ainsi notre misère ; il est donc source d’humilité. Ensuite, il fortifie notre vertu et nous mérite une récompense.
De plus il sera utile aux autres, nous pourrons combattre pour eux. Voici un texte assez remarquable qui montre comme Origène avait le sens du Corps Mystique et de l’entraide cachée que nous pouvons apporter à d’autres qui n’ont pas eu autant de grâces que nous (Texte 16) .
La doctrine d’Origène sur la virginité a, elle aussi, profondément marqué le monachisme primitif. La voici, d’une manière également très schématique :
1. Le modèle en est Jésus qui est la Chasteté comme il est toutes les vertus. Marie en est aussi le modèle. Origène est le premier théologien à enseigner la virginité de Marie après l’enfantement. Marie est la première à avoir été vierge chez les femmes, comme Jésus chez les hommes.
2. Les racines de la virginité, ce sont les noces du Christ et de l’Église ; le mariage chrétien en est un symbole qui se réalise dans la chair ; les noces du Verbe et de l’âme se réalisent spirituellement pour le chrétien qui cherche Dieu. Mais cette union de l’âme avec le Verbe s’opère avec plus de force dans la virginité : celle-ci est en effet supérieure au mariage, parce qu’elle ne figure pas seulement les noces de l’Eglise avec le Christ, mais qu’elle les montre et les actualise. La virginité de l’Eglise se réalise par la chasteté totale de certains de ses membres.
3. La virginité dans son essence est un échange de dons entre Dieu et l’homme. Entre Dieu et celui ou celle qui est vierge, il y a un don réciproque :
Don de Dieu à l’homme : C’est une grâce qui vient de Dieu, et Dieu garde la virginité dans l’âme ; il faut donc le prier pour la conserver (Texte 17) : Cette grâce vient du Dieu Trinité : le Père la conserve, le Fils l’opère, retranchant les passions avec le glaive qu’il est lui-même, et, en tant que charisme, elle constitue une participation au Saint-Esprit.
Don de l’homme à Dieu : C’est un sacrifice offert par l’âme à Dieu dans le sanctuaire du corps. C’est le don le plus parfait après le martyre. La source en est la charité : c’est par amour que l’on reste vierge. Un amour qui met Dieu au-dessus de tout, et veut lui rendre amour pour amour. En lui donnant tout notre corps, nous imitons Dieu qui nous a tout donné.
4. Conditions : Ce don se manifeste par la mortification, la garde du corps, la garde des sens. Prière et mortification sont donc nécessaires à la virginité : elles sont les éléments de ce sacrifice que, dans le sanctuaire du corps, l’âme, prêtre de l’Esprit-Saint, offre à Dieu.
Mais la virginité n’a de valeur que jointe aux autres vertus, surtout la foi et l’humilité. La chasteté du corps a, en effet, pour but celle de l’âme : la chasteté du coeur, qui est plus importante encore ; il faut protéger son coeur des imaginations impures, car le péché de pensée livre déjà l’âme à l’amant adultère, Satan. A l’inverse, dans le cas de la vierge violée, la souillure du corps ne compte pas si le coeur reste vierge.
5. Effet : Une idée originale d’Origène est que la virginité nous rend semblables aux petits enfants à qui appartient le Royaume des cieux. Elle est donc proche de la vertu d’enfance spirituelle (Texte 18) . En ce sens, elle prolonge la vie paradisiaque où Adam et Eve avant d’avoir connu le mariage, étaient les petits enfants nouvellement créés par Dieu qui conversaient avec lui.
A l’autre bout du temps, elle prophétise l’état eschatologique de la Résurrection, car ce qui fait obstacle ici-bas à la perfection des noces de l’âme avec le Verbe, c’est la chair et le péché.
Dans notre état actuel, elle rend libre pour le service du Seigneur. A la suite de Paul, Origène oppose la servitude du mariage à la liberté de la vierge. Si la virginité est inspirée par l’amour spirituel de Dieu recherché par dessus tout, alors elle libère l’être humain qui peut s’adonner entièrement au service divin.
Enfin la virginité porte des fruits dans l’âme : elle est féconde ; comme elle l’a fait en Marie, elle engendre Jésus dans l’âme (Texte 19). C’est un thème que reprendront les Pères de Cîteaux, Guerric en particulier.
Wow…ya vraiment personne qui s’intéresse à ce sujet…
Bonsoir…,
Oui, ils sont des arguments édifiante, ou au moins intéressantes,
Gabriella