Quatrième prédication de Carême du P. Cantalamessa
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Quatrième prédication de Carême du P. Cantalamessa
Texte intégral
ROME, Vendredi 3 avril 2009 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de la quatrième prédication de Carême que le P. Raniero Cantalamessa, ofmcap., prédicateur de la Maison pontificale, a prononcée ce vendredi matin, en présence du pape Benoît XVI et de membres de la curie romaine, dans la chapelle « Redemptoris Mater », au Vatican.
P. Raniero Cantalamessa, ofmcap.
Quatrième prédication de Carême
« Nous-mêmes qui possédons les prémices de l’esprit,
nous gémissons nous aussi dans l’attente » (Rm 8, 23)
L’Esprit Saint âme de l’eschatologie chrétienne
1. L’Esprit de la promesse
Ecoutons le passage de Romains 8 sur lequel nous voulons méditer :
« Nous-mêmes qui possédons les prémices de l’Esprit, nous gémissons nous aussi intérieurement dans l’attente de la rédemption de notre corps. Car notre salut est objet d’espérance. Et voir ce qu’on espère, ce n’est plus l’espérer : ce qu’on voit, comment pourrait-on l’espérer encore ? Mais espérer ce que nous ne voyons pas, c’est l’attendre avec constance » (Rm 8, 23-25).
La même tension entre promesse et accomplissement que l’on note, dans l’Ecriture, à propos de la personne du Christ, est perceptible aussi à propos de la personne de l’Esprit Saint. De même que Jésus a été d’abord promis dans les Ecritures, puis manifesté selon la chair, et enfin attendu dans son retour final, ainsi l’Esprit, autrefois « promis par le Père », a été donné à la Pentecôte et, maintenant, est de nouveau attendu et invoqué « en des gémissements ineffables » par l’homme et par la création toute entière qui, en ayant goûté les prémices, attendent la plénitude de son don.
Dans cet espace-temps qui s’étend de la Pentecôte à la Parousie, l’Esprit est la force qui nous pousse en avant, qui nous maintient en état de marche, nous empêche de nous laisser aller et de devenir un peuple « sédentaire », qui nous fait chanter avec un sentiment nouveau les « Cantiques des Ascensions » : « Quelle joie quand on m’a dit : Nous irons à la maison du Seigneur ! ». Il est celui qui donne de l’élan et, en quelque sorte, donne des ailes à notre espérance ; bien plus, il est le principe même, l’âme de notre espérance.
Dans le Nouveau Testament, deux auteurs nous parlent de l’Esprit comme d’une « promesse » : Luc et Paul ; mais, nous le verrons, avec une différence importante. Dans l’Evangile de Luc et dans les Actes, c’est Jésus lui-même qui parle de l’Esprit comme étant « la promesse du Père ». « Et voici que moi, je vais envoyer sur vous ce que mon Père a promis » ; « Au cours d’un repas qu’il partageait avec eux, il leur enjoignit de ne pas s’éloigner de Jérusalem, mais d’y attendre ce que le Père avait promis, ce que, dit-il, vous avez entendu de ma bouche : Jean, lui, a baptisé avec de l’eau, mais vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés sous peu de jours » (Ac 1, 4-5).
A quoi se réfère Jésus lorsqu’il parle de l’Esprit Saint comme de la promesse du Père ? Où donc le Père a-t-il fait cette promesse ? Tout l’Ancien Testament, peut-on dire, est une promesse de l’Esprit. L’oeuvre du Messie est constamment présentée comme culminant dans une nouvelle effusion universelle de l’Esprit de Dieu sur la terre. La comparaison avec ce que dit Pierre le jour de la Pentecôte, montre que Luc songe, en particulier, à la prophétie de Joël : « Il se fera dans les derniers jours, dit le Seigneur, que je répandrai de mon Esprit sur toute chair » (Ac 2,17).
Mais pas seulement à celle-là. Comment ne pas penser aussi à ce qu’on peut lire dans d’autres prophètes ? : « jusqu’à ce que se répande sur nous l’Esprit d’en haut » (Is 32, 15). « Je répandrai mon Esprit sur ta race » (Is 44, 3). « Je mettrai mon Esprit en vous » (Ez 36, 27).
Quant au contenu de la promesse, Luc met l’accent, comme il en a l’habitude, sur l’aspect charismatique du don de l’Esprit, notamment la prophétie. La promesse du Père est
« la puissance d’en haut » qui rendra les disciples capables de porter le salut jusqu’aux extrémités de la terre. Mais Luc n’ignore pas les aspects plus profonds, sanctifiants et salvifiques, de l’action de l’Esprit, tels que la rémission des péchés, le don d’une loi nouvelle et d’une nouvelle alliance, comme il ressort du rapprochement qu’il opère entre le Sinaï et la Pentecôte. La phrase de Pierre : « c’est pour vous qu’est la promesse » (Ac 2, 39), fait référence à la promesse du salut, pas seulement de la prophétie ou de quelques charismes.
2. L’Esprit prémices et arrhes
En passant de Luc à Paul, on entre dans une perspective nouvelle, beaucoup plus profonde au plan théologique. L’apôtre énumère divers objets de la promesse : la justification, la filiation divine, l’héritage ; mais celui qui résume tout, l’objet par excellence de la promesse est précisément l’Esprit Saint, qu’il appelle tantôt la « promesse de l’Esprit » (Ga 3, 14), tantôt l’« Esprit de la promesse » (Ep 1,13)[1]
Ce sont deux idées nouvelles qui sont introduites par l’Apôtre dans le concept de promesse. La première est que la promesse de Dieu ne dépend pas de l’observance de la loi, mais de la foi, et donc de la grâce. Dieu ne promet pas l’Esprit à celui qui observe la loi, mais à celui qui croit au Christ : « Est-ce pour avoir pratiqué la Loi que vous avez reçu l’Esprit, ou pour avoir cru à la prédication ? » « Car si on hérite en vertu de la Loi, ce n’est plus en vertu de la promesse » (Ga 3, 2.18).
C’est précisément à travers le concept de promesse que la théologie de l’Esprit Saint est raccordée, chez Paul, au reste de sa pensée et en devient la démonstration concrète. Les chrétiens le savent bien : c’est à la suite de la prédication de l’évangile qu’ils ont fait l’expérience nouvelle de l’Esprit, non pas pour s’être mis à observer la loi plus fidèlement que d’habitude.
La seconde nouveauté est, en un certain sens, déconcertante. Comme si Paul voulait tuer dans l’œuf toute tentation d’« enthousiasme », en déclarant que la promesse n’est pas encore accomplie, du moins pas entièrement ! Deux concepts appliqués à l’Esprit Saint sont, à ce propos, révélateurs : prémices (aparchè) et arrhes (arrabôn). Le premier est présent dans notre texte de Romains 8, le second dans la Deuxième Epître aux Corinthiens. « Nous-mêmes qui possédons les prémices de l’Esprit, nous gémissons nous aussi intérieurement dans l’attente de la rédemption de notre corps » (Rm 8, 23). « Et Celui qui nous affermit avec vous dans le Christ et qui nous a donné l’onction, c’est Dieu. Lui qui nous a aussi marqués d’un sceau et a mis dans nos cœurs les arrhes de l’Esprit » (2 Co 1, 21-22). « Et Celui qui nous a faits pour cela même, c’est Dieu, qui nous a donné les arrhes de l’Esprit » (2 Co 5, 5).
Que veut nous dire par là l’Apôtre ? Que l’accomplissement survenu en Christ n’a pas épuisé la promesse. Nous, dit-il, dans un contraste saisissant, « possédons… en attendant », nous possédons, et nous attendons. C’est justement parce que ce que nous possédons n’est pas encore la plénitude, mais seulement des prémices, une anticipation, que l’espérance naît en nous. Ou plutôt, le désir, l’attente, l’aspiration se font encore plus intenses qu’auparavant parce que, maintenant, nous savons ce qu’est l’Esprit. Sur la flamme du désir humain, la venue de l’Esprit à la Pentecôte a en quelque sorte rajouté du combustible.
Exactement comme pour le Christ. Sa venue a accompli toutes les promesses, mais n’a pas mis fin à l’attente. L’attente est relancée, sous forme d’attente de son Retour dans la gloire. La désignation « promesse du Père » place l’Esprit Saint au coeur même de l’eschatologie chrétienne. On ne peut donc qu’émettre des réserves quant à l’affirmation de certains spécialistes, selon laquelle « dans la conception des juifs chrétiens, l’Esprit était principalement la force du monde futur, dans celle des chrétiens hellénistiques il est la force du monde supérieur ». Paul démontre que les deux conceptions ne s’opposent pas nécessairement, mais peuvent au contraire coexister. En lui l’Esprit est, dans le même temps, réalité du monde supérieur, divin, et force du monde à venir.
Dans le passage des prémices à la plénitude, les premières ne seront pas jetées pour faire place à la deuxième, c’est plutôt qu’elles-mêmes deviendront plénitude. Autrement dit, nous conserverons ce que nous possédons déjà et nous acquerrons ce que nous n’avons pas encore. Ce sera l’Esprit lui-même qui se répandra en plénitude.
Le principe théologique « la grâce est le commencement de la gloire », appliqué à l’Esprit Saint, signifie que les prémices sont le début de l’accomplissement, le début de la gloire, une partie de celle-ci. Il ne faut pas, dans ce cas, traduire arrabôn par « gage » (pignus), mais uniquement par arrhes (arra). Le gage n’est pas un début de paiement, mais une chose qui est donnée dans l’attente du paiement. Une fois le paiement effectué, on rend le gage. Il n’en est pas de même pour les arrhes. Elles ne sont pas rendues au moment du paiement, mais complétées. Elles font déjà partie du paiement. « Si Dieu nous a donné comme un gage l’amour par l’opération de son Esprit, ne nous ôtera-t-il pas ce gage lorsque la réalité entière nous sera donnée ? Nullement. Il complètera plutôt ce qu’il a déjà donné »[2].
L’amour de Dieu dont nous avons un avant-goût ici-bas, grâce aux « arrhes de l’Esprit », est donc de la même qualité que celui que nous goûterons dans la vie éternelle, mais n’a pas la même intensité. Il en va de même pour la possession de l’Esprit Saint.
Une transformation profonde est intervenue, on le voit, dans la signification de la fête de la Pentecôte. A l’origine, la Pentecôte était la fête des prémices[3], c’est-à-dire le jour où l’on offrait à Dieu les prémices de la moisson. Elle est encore aujourd’hui la fête des prémices, mais des prémices que Dieu offre à l’humanité, dans son Esprit. Les rôles du donateur et du bénéficiaire sont inversés, en parfait accord avec ce qui se produit, dans tous les domaines, dans le passage de la loi à la grâce, du salut en tant qu’œuvre de l’homme au salut comme don gratuit de Dieu.
Voici pourquoi l’interprétation de la Pentecôte, fête des prémices, curieusement, n’a pour ainsi dire pas eu d’équivalent dans le contexte chrétien. Saint Irénée a bien fait une tentative en ce sens, en déclarant que le jour de la Pentecôte « l’Esprit offrait au Père les prémices de toutes les nations » [4], mais cela n’a eu quasiment aucune suite dans la pensée chrétienne.
3. L’Esprit Saint âme de la Tradition
A la différence de tous les autres aspects de la pneumatologie, l’apport de l’époque patristique, à propos de l’Esprit en tant que promesse, n’a pas été important, et ceci parce que les Pères ont manifesté moins d’intérêt pour la perspective historique et eschatologique que pour la perspective ontologique. Saint Basile a écrit un beau texte sur le rôle de l’Esprit dans la consommation finale : « Egalement au moment de la manifestation attendue du Seigneur du Ciel, l’Esprit Saint ne sera pas absent…Qui peut ignorer à ce point les biens que Dieu prépare pour ceux qui en sont dignes, jusqu’à ne pas comprendre que même la couronne des justes est grâce de l’Esprit Saint »[5]. Mais, si l’on observe attentivement, le saint se borne à dire que l’Esprit Saint aura une part active également dans l’acte final de l’histoire humaine, au moment du passage du temps à l’éternité. Toute réflexion sur ce que l’Esprit Saint accomplit, déjà maintenant, dans le temps, pour pousser l’humanité vers l’accomplissement, est absente. Il manque le sens d’élan de l’Esprit Saint, de force propulsive du peuple de Dieu en chemin vers la patrie.
L’Esprit pousse les croyants à être vigilants et dans l’attente du Retour du Christ, en enseignant à l’Eglise à dire « Viens, Seigneur Jésus » (Ap 22, 20). Lorsque l’Esprit dit Marana-tha avec l’Eglise, c’est comme lorsqu’il dit Abba dans le coeur du croyant : il faut l’entendre dans le sens qu’il fait dire, il se fait la voix de l’Eglise. En effet, le Paraclet ne pourrait pas de lui-même crier Abba, parce qu’il n’est pas le fils du Père ; et il ne pourrait pas crier Marana-tha, « Viens, Seigneur », parce qu’il n’est pas serviteur du Christ, mais « Seigneur », son égal, comme nous le professons dans le Credo.
« Il vous dévoilera les choses à venir », déclare Jésus à propos du Paraclet (Jn 16, 13) : autrement dit, il dévoilera la connaissance du nouvel ordre de choses qui a émergé de la Pâque. L’Esprit Saint est donc le ressort de l’eschatologie chrétienne, celui qui maintient l’Eglise tendue en avant, vers le retour du Seigneur. Et c’est précisément cela que la réflexion biblique et théologique de nos jours a cherché à mettre en lumière. La nouvelle existence suscitée par l’Esprit, écrit Moltmann, est déjà elle-même eschatologique, sans attendre le moment final de la Parousie ; en ce sens qu’elle est le début d’une vie qui ne se manifestera pleinement que lorsque sera établi le mode d’existence déterminé par le seul Esprit, qui n’est plus désormais contrecarré par la chair. L’Esprit n’est pas seulement promesse au sens statique, mais la force de la promesse, celui qui fait percevoir la possibilité de la libération, qui fait sentir à quel point les chaînes sont encore plus lourdes et intolérables, et pousse à les briser[6].
Cette vision paulinienne de l’Esprit Saint comme promesse et comme prémices nous permet de découvrir le véritable sens de la Tradition de l’Eglise. La Tradition n’est pas tout d’abord un ensemble de choses « transmises », elle est, en premier lieu, le principe dynamique de transmission. Mieux, elle est la vie même de l’Eglise : en effet, animée par l’Esprit sous la conduite du Magistère, elle se développe dans la fidélité à Jésus Christ. Saint Irénée écrit que la révélation est « comme un dépôt précieux conservé dans un vase de valeur qui, grâce à l’Esprit de Dieu, rajeunit toujours et fait rajeunir également le vase qui la contient »[7]. Le vase de valeur qui rajeunit avec son contenu est précisément la prédication de l’Eglise et la Tradition.
L’Esprit Saint est donc l’âme de la Tradition. Si on supprime, ou si on oublie, l’Esprit Saint, ce qui reste de celle-ci n’est que lettre morte. Si, comme l’affirme saint Thomas d’Aquin, « sans la grâce intérieure de l’Esprit Saint, même l’Evangile donc serait resté une lettre qui tue », alors que devrions-nous dire de la Tradition ?
La Tradition est donc, il est vrai, une force de constance et de conservation du passé, mais elle est aussi une force d’innovation et de croissance ; elle est à la fois mémoire et anticipation. Elle est comme la vague de la prédication apostolique qui avance et se propage au cours des siècles[8]. La vague ne peut être captée qu’en mouvement. Geler la tradition à un moment donné de l’histoire signifie en faire une « tradition morte », non plus une « tradition vivante » comme l’appelle saint Irénée.
4. L’Esprit Saint nous fait abonder dans l’espérance
Avec son encyclique sur l’espérance, le Saint-Père Benoît XVI nous indique la conséquence pratique qui découle de notre méditation : espérer, espérer toujours, et si nous avons déjà espéré mille fois en vain, recommencer à espérer encore ! L’encyclique (dont le titre « Spe salvi » : « Nous avons été sauvés dans l’espérance », est justement tiré du passage de Paul que nous avons commenté) commence par ces paroles :
« La rédemption nous est offerte en ce sens que nous a été donnée l’espérance, une espérance fiable, en vertu de laquelle nous pouvons affronter notre présent : le présent, même un présent pénible, peut être vécu et accepté s’il conduit vers un terme et si nous pouvons être sûrs de ce terme, si ce terme est si grand qu’il peut justifier les efforts du chemin ».
Une sorte d’équivalence et d’interchangeabilité s’établit entre espérer et être sauvés, comme entre espérer et croire. « La foi, écrit le pape, est espérance », confirmant ainsi, d’un point de vue théologique, l’intuition poétique de Charles Péguy qui commence son poème sur la deuxième vertu par ces paroles : « La foi que j’aime le mieux, dit Dieu, c’est l’espérance ».
De même que nous distinguons deux types de foi : la foi crue et la foi croyante (c’est-à-dire les choses auxquelles on croit et l’acte même de croire), nous distinguons deux types d’espérance. Il existe une espérance objective qui indique la chose espérée – l’héritage éternel – et il existe une espérance subjective qui est l’acte même d’espérer cette chose. Cette dernière est une force de propulsion en avant, un élan intérieur, une extension de l’âme, une dilatation vers l’avenir. « Une migration amoureuse de l’esprit vers ce que l’on espère », disait un ancien Père[9].
Paul nous aide à découvrir la relation vitale qui existe entre la vertu théologale de l’espérance et l’Esprit Saint. Il fait remonter chacune des trois vertus théologales à l’action de l’Esprit Saint. Il écrit : « Car pour nous, c’est l’Esprit qui nous fait attendre de la foi les biens qu’espère la justice. En effet, dans le Christ Jésus ni circoncision ni incirconcision ne comptent, mais seulement la foi opérant par la charité »[10].
L’Esprit Saint nous apparaît ainsi comme la source et la force de notre vie théologale. C’est grâce à lui, en particulier, que nous pouvons « abonder dans l’espérance ». « Que le Dieu de l’espérance, écrit l’Apôtre un peu plus loin dans la même Lettre aux Romains, vous donne en plénitude dans votre acte de foi la joie et la paix afin que l’espérance surabonde en vous par la vertu de l’Esprit Saint » (Rm 15, 13). « Le Dieu de l’espérance » : quelle définition insolite de Dieu !
L’espérance a parfois été appelée la « parente pauvre » parmi les vertus théologales. Il y a eu, il est vrai, un moment de réflexion intense sur le thème de l’espérance, qui a fini par donner lieu à une « théologie de l’espérance ». Mais il n’y a pas eu de réflexion sur la relation entre espérance et Esprit Saint. Et pourtant, on ne peu comprendre la particularité de l’espérance chrétienne et son altérité vis-à-vis de tout autre idée d’espérance, si on ne la considère pas dans sa relation profonde avec l’Esprit Saint. C’est lui qui fait la différence entre le « principe espérance » et la vertu théologale de l’espérance. Les vertus théologales sont telles non seulement parce qu’elles ont Dieu comme fin, mais aussi parce qu’elles ont Dieu comme principe ; Dieu n’est pas seulement leur objet, mais aussi leur cause. Elles sont provoquées, transmises par Dieu.
Nous avons besoin d’espérance pour vivre et nous avons besoin d’Esprit Saint pour espérer ! L’un des principaux dangers sur le chemin spirituel est celui de se décourager face à la répétition des mêmes péchés et l’inutilité apparente d’une succession de bonnes intentions et de rechutes. L’espérance nous sauve. Elle nous donne la force de toujours repartir à zéro, de croire à chaque fois que ce sera la bonne, celle de la vraie conversion. C’est ainsi que s’attendrit le cœur de Dieu qui viendra à notre secours par sa grâce.
« La foi ça ne m’étonne pas. (C’est encore le poète de l’espérance qui parle, au plutôt, qui fait parler Dieu). J’éclate tellement dans ma création…La charité, dit Dieu, ça ne m’étonne pas. Ces pauvres créatures sont si malheureuses qu’à moins d’avoir un cœur de pierre, comment n’auraient-elles point de charité les unes des autres… Mais l’espérance, dit Dieu, voilà ce qui m’étonne. Que ces pauvres enfants voient comme tout ça passe et qu’ils croient que demain ça ira mieux. Ça c’est étonnant et j’en suis étonné moi-même. Et il faut que ma grâce soit en effet d’une force incroyable »[11].
Nous ne pouvons pas nous contenter d’avoir de l’espérance uniquement pour nous. L’Esprit Saint veut faire de nous des semeurs d’espérance. Il n’y a pas de don plus beau que celui de répandre l’espérance dans notre foyer, dans notre communauté, dans l’Eglise locale et universelle. Elle est comme certains produits modernes qui régénèrent l’air, parfumant toute une pièce.
Je termine la série de ces méditations de Carême par un texte de Paul VI qui résume plusieurs des points que nous y avons abordés :
« Nous nous sommes demandés souvent… quel besoin, premier et dernier, nous sentons pour notre Eglise bénie et très chère. Nous devons le dire presque anxieux et en priant, parce que c’est son mystère et sa vie, vous le savez : l’Esprit, l’Esprit saint, animateur et sanctificateur de l’Eglise, son souffle divin, le vent de ses voiles, son principe unificateur, sa source intérieure de lumière et de force, son soutien et son consolateur, sa source de charismes et de chants, sa paix et sa joie, son gage et son prélude de vie bienheureuse et éternelle. L’Eglise à besoin de sa perpétuelle Pentecôte ; elle a besoin de feu dans le cœur, de paroles sur les lèvres, de prophétie dans le regard. L’Eglise a besoin d’acquérir de nouveau l’anxiété, le goût, la certitude de sa vérité »[12].
Que par les mérites de sa passion et de sa mort, le Ressuscité nous accorde à tous, en cette sainte Pâque, une effusion renouvelée de son Esprit.
Traduit de l’italien par ZENIT
[1] NDT : En français, la Bible de Jérusalem propose dans les deux cas la traduction « l’Esprit de la promesse ».
[2] S. Augustin, Discours, 23, 9 (CC 41, p. 314).
[3] Cf. Nom 28, 26 ; Lev 23, 10.
[4] S. Irénée, Contre les hérésies , III, 17,2; cf. Également Eusèbe de Césarée, Sur la solennité de Pâques, 4 (PG 24, 700A).
[5] S. Basile, Sur l’Esprit Saint, XVI, 40 (PG 32, 141A).
[6] Cf. J. Molmann, L’Esprit de la vie, Brescia 1994, pp. 18. 92 s. 190.
[7] S. Irénée, Adv. Haer. III, 24, 1.
[8] H. Holstein, La tradition dans l’Eglise, Grasset, Parigi 1960 (Trad. ital. La tradizione nella Chiesa, Vita e Pensiero, Milano 1968.
[9] Diadoco di Fotica, Cento capitoli, preambolo (SCh 5, p.84).
[10] Ga 5, 5-6; cf. Rm 5,5.
[11] Ch. Péguy, Le porche du mystère de la deuxième vertu, in Œuvres poétiques complètes, Gallimard, Paris 1975, pp. 531 ss.
[12] Discorso all’udienza generale del 29 Novembre 1972 (Insegnamenti di Paolo VI, Tipografia Poliglotta Vaticana, X, pp. 1210s.).
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