par Sandro Magister: Le secret de la popularité de Benoît XVI. Malgré tout

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Le secret de la popularité de Benoît XVI. Malgré tout

Bien qu’assailli par les critiques, ce pape continue à obtenir la confiance des grandes masses. Son voyage en Afrique et une enquête en Italie le prouvent. La raison, c’est qu’il parle de Dieu à une humanité en quête d’orientation

par Sandro Magister
 

ROME, le 27 mars 2009 – Rentrant de son voyage au Cameroun et en Angola, Benoît XVI a dit aux journalistes, dans l’avion, que deux choses s’étaient particulièrement gravées dans sa mémoire:

« D’une part la cordialité quasi exubérante, la joie, d’une Afrique en fête. Ils ont vu dans le pape la personnification du fait que tous, nous sommes les enfants et la famille de Dieu. Cette famille existe et nous, avec toutes nos limites, nous sommes dans cette famille et Dieu est avec nous.

« D’autre part l’esprit de recueillement dans les liturgies, le sens aigu du sacré: dans les liturgies, il n’y avait pas d’auto-présentation des groupes, pas d’auto-animation, mais la présence du sacré, de Dieu lui-même. Les mouvements, les danses, étaient également toujours empreints de respect et de conscience de la présence divine ».

Popularité et présence de Dieu. La combinaison de ces deux éléments est le secret du pontificat de Joseph Ratzinger.

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Benoît XVI pape populaire? L’idée semble contredite par la tempête de critiques hostiles qui s’abat chaque jour sur lui, venant des médias du monde entier. Ces critiques ont enregistré un crescendo sans précédent au mois dernier. Désormais, même des représentants officiels de gouvernements n’hésitent pas à mettre le pape en accusation.

Mais si l’on se réfère aux grands nombres, l’impression est différente. A tous ses voyages, la cote de popularité de Benoît XVI a été plus élevée que prévu. Pas seulement en Afrique mais aussi dans des pays difficiles comme les Etats-Unis ou la France. A Rome, il y a à chaque fois plus de monde sur la place Saint-Pierre pour l’Angélus du dimanche à midi qu’au temps de Jean-Paul II.

Cela ne signifie pas que ces mêmes foules acceptent et pratiquent en totalité les enseignements du pape et de l’Eglise. D’innombrables enquêtes montrent qu’en matière de mariage, de sexualité, d’avortement, d’euthanasie, de contraception, les idées de bien des gens sont plus ou moins éloignées du magistère catholique.

Mais, parallèlement, beaucoup de ces mêmes personnes manifestent un profond respect pour la figure du pape et pour l’autorité de l’Eglise.

Le cas de l’Italie est exemplaire. Le 25 mars dans « la Repubblica » – le plus important quotidien progressiste, très caustique dans ses critiques de Benoît XVI – le sociologue Ilvo Diamanti a confirmé pour la énième fois la très grande confiance que les Italiens continuent à avoir en l’Eglise et en le pape, malgré le désaccord fréquent sur divers points de son enseignement.

Par exemple, quand on leur demande s’ils sont ou non d’accord avec ce qu’a dit le pape à propos du préservatif « qui ne résout pas le problème du sida mais l’aggrave », trois sur quatre disent ne pas être d’accord.

Mais les mêmes personnes, quand on leur demande quelle confiance elles ont en l’Eglise, répondent « grande » ou « très grande » à 58,1 %. Même grande confiance en Benoît XVI, avec 54,9 %.

Ce n’est pas tout. La même enquête montre que, depuis un an, la confiance en l’Eglise et en Benoît XVI n’a pas baissé mais augmenté.

Voici comment le professeur Diamanti explique ce contraste apparent:

« L’Eglise et le pape interviennent de façon ouverte et directe sur des sujets sensibles d’éthique publique et privée. Les réponses qu’ils proposent peuvent être discutées et le sont souvent, elles sont contestées à gauche ou à droite. Mais ils offrent des certitudes à une société qui en manque et recherche des références et des valeurs. Voilà pourquoi 8 italiens non pratiquants sur 10 jugent important de donner à leurs enfants une éducation catholique et les inscrivent à l’heure de religion, pourquoi une très large majorité des familles – près de 90 % – destine 0,8 % de son impôt sur le revenu à l’Eglise catholique ».

On peut ajouter que c’est pour le même motif que le chef du gouvernement italien, Silvio Berlusconi, ne s’est pas joint ces jours-ci au chœur des critiques adressées au pape par des représentants de la France, de l’Allemagne, de la Belgique, de l’Espagne, etc. Il s’est même exprimé de manière opposée.

Le 21 mars, il a dit qu’il fallait respecter l’Eglise et défendre sa liberté de parole et d’action « même quand elle proclame des principes et des concepts difficiles et impopulaires, éloignés des opinions à la mode ». Berlusconi a ainsi exprimé simplement ce qui est un sentiment commun à de très nombreux Italiens.

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Les faits que l’on vient de rappeler font déjà entrevoir le fond de la question: la popularité de Benoît XVI est précisément due à la manière dont il remplit sa mission de successeur de Pierre.

Ce pape est respecté et admiré pour une raison fondamentale: il a mis au-dessus de tout une priorité qu’il a formulée de la façon suivante dans sa lettre du 10 mars aux évêques, document capital de son pontificat:

« À notre époque où dans de vastes régions de la terre la foi risque de s’éteindre comme une flamme qui ne trouve plus à s’alimenter, la priorité qui prédomine est de rendre Dieu présent dans ce monde et d’ouvrir aux hommes l’accès à Dieu. Non pas à un dieu quelconque, mais à ce Dieu qui a parlé sur le Sinaï; à ce Dieu dont nous reconnaissons le visage dans l’amour poussé jusqu’au bout (cf. Jn 13, 1), en Jésus-Christ crucifié et ressuscité. En ce moment de notre histoire, le vrai problème est que Dieu disparaît de l’horizon des hommes et que, tandis que s’éteint la lumière provenant de Dieu, l’humanité manque d’orientation, et les effets destructeurs s’en manifestent toujours plus en son sein ».

Le dimanche 15 mars, deux jours avant son départ pour l’Afrique, Benoît XVI n’a pas dit autre chose pour expliquer le but de son voyage à la foule rassemblée pour l’Angélus sur la place Saint Pierre:

« Je pars pour l’Afrique conscient de n’avoir à proposer et donner à ceux que je vais rencontrer rien d’autre que le Christ et la bonne nouvelle de sa Croix, mystère d’amour suprême, d’amour divin qui vient à bout de toute résistance humaine et rend possibles même le pardon et l’amour pour les ennemis. C’est la grâce de l’Evangile, capable de transformer le monde, la grâce qui peut aussi renouveler l’Afrique parce qu’elle génère une irrésistible force de paix et de réconciliation profonde et radicale. L’Eglise n’a pas d’objectifs économiques, sociaux et politiques, elle annonce le Christ, sûre que l’Evangile peut toucher le cœur de tous et le transformer, renouvelant ainsi de l’intérieur les hommes et les sociétés ».

Au Cameroun et en Angola, le cœur du message du pape a effectivement été celui-là. Pas les condamnations – même s’il les a exprimées en termes forts – des maux du continent et des responsabilités de ceux qui les génèrent, mais, avant tout, ce que Pierre annonce à l’impotent, au chapitre 3 des Actes des Apôtres: « Je n’ai ni argent ni or, mais ce que j’ai, je te le donne: au nom de Jésus-Christ le Nazaréen, lève-toi et marche! »

Il serait intéressant de faire une anthologie des passages les plus significatifs des 19 discours, messages, interviews, homélies prononcés par Benoît XVI pendant les sept jours de son voyage au Cameroun et en Angola.

Mais pour comprendre le sens profond de sa mission, il suffit de reproduire ici un seul texte emblématique: l’homélie prononcée par Benoît XVI à la messe de samedi 21 mars à l’église Saint-Paul de Luanda.

L’esprit de recueillement, le sens aigu de la présence de Dieu des foules qui suivaient la liturgie sont restés gravés dans la mémoire du pape, de même que la gaieté exubérante avec laquelle elles l’ont accueilli et entouré, s’expliquent aussi par cette homélie prononcée par le pape Ratzinger dans une lointaine église d’Afrique:

« Efforçons-nous de connaître le Seigneur »

par Benoît XVI

Chers frères et sœurs, bien-aimés ouvriers de la vigne du Seigneur, comme nous venons de l’entendre, les fils d’Israël se disaient l’un à l’autre: « efforçons-nous de connaître le Seigneur » (Os 6, 3). Par ces paroles, ils s’encourageaient mutuellement, alors qu’ils étaient plongés dans les tribulations. Celles-ci les avaient accablés – explique le prophète – parce qu’ils vivaient dans l’ignorance de Dieu et leurs cœurs étaient pauvres d’amour. Le seul médecin en mesure de les guérir, c’était le Seigneur. Mieux encore, lui-même, comme un bon médecin, ouvre la plaie, afin de guérir la blessure. Le peuple se décide alors: « Allons! Revenons au Seigneur! C’est lui qui nous a cruellement déchirés, c’est lui qui nous guérira » (Os 6, 1). C’est ainsi qu’ont pu se rencontrer la misère humaine et la Miséricorde divine, qui ne désire rien d’autre que d’accueillir les miséreux.

Nous le voyons dans la page d’Évangile qui vient d’être proclamée: « Deux hommes montèrent au Temple pour prier »; de là, l’un s’en retourna « juste et l’autre, non » (Lc 18, 10.14). Ce dernier avait mis en avant tous ses mérites devant Dieu, faisant de Lui presque son débiteur. Au fond, il n’éprouvait pas le besoin de Dieu, même s’il Le remerciait de lui avoir accordé d’être si parfait « et non comme ces publicains ». Pourtant, c’est le publicain qui reviendra chez lui justifié. Conscient de ses péchés qui le faisaient rester la tête basse – mais en réalité il était tout tourné vers le Ciel – il attendait tout du Seigneur: « Mon Dieu, prends pitié du pécheur que je suis » (Lc 18, 13). Il frappait à la porte de la Miséricorde, laquelle s’ouvre et le justifie parce que, conclut Jésus: « Qui s’élève sera abaissé; qui s’abaisse sera élevé » (Lc 18, 14).

De ce Dieu, riche en miséricorde, saint Paul nous parle en vertu de son expérience personnelle, lui qui est le patron de la ville de Luanda et de cette magnifique église, construite voilà près de cinquante ans. J’ai souhaité souligner le bimillénaire de la naissance de saint Paul par la célébration de l’Année paulinienne qui est en cours, dans le but d’apprendre de lui à mieux connaître Jésus Christ. Il nous a laissé le témoignage suivant: « Voici une parole sûre et qui mérite d’être accueillie sans réserve: le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs; et moi le premier, je suis pécheur, mais si le Christ Jésus m’a pardonné, c’est pour que je sois le premier en qui toute sa générosité se manifesterait; je devais être le premier exemple de ceux qui croiraient en lui pour la vie éternelle » (1 Tm 1, 15-16). Au fil des siècles, le nombre de ceux qui ont été touchés par la grâce n’a cessé d’augmenter. Toi et moi, nous sommes de ceux-là. Nous rendons grâces à Dieu parce qu’il nous a appelés à prendre place dans cet immense cortège pour nous conduire vers l’avenir. À la suite de ceux qui ont suivi Jésus et avec eux, nous suivons le même Christ et nous entrons ainsi dans la Lumière. [...]

La rencontre avec Jésus, alors qu’il marchait sur le chemin de Damas, a été fondamentale dans la vie de Paul: le Christ lui apparaît comme une lumière éblouissante, lui parle et conquiert son cœur. L’apôtre a vu Jésus ressuscité, c’est-à-dire l’homme dans sa stature parfaite. Un renversement de perspective s’est alors produit en lui et il s’est mis à envisager toute chose à partir de cet état final de l’homme en Jésus-Christ: désormais, ce qui lui semblait à l’origine essentiel et fondamental ne vaut pas plus pour lui que des « balayures »; ce n’est plus un gain mais une perte, parce que maintenant il n’y a plus que la vie dans le Christ qui compte (cf. Ph 3, 7-8). Il ne s’agit pas d’une simple maturation du « moi » de Paul, mais d’une mort à soi-même et d’une résurrection dans le Christ: en lui est morte une certaine forme d’existence; et avec Jésus ressuscité, une forme nouvelle est née.

Chers frères et amis, « efforçons-nous de connaître le Seigneur » ressuscité! Comme vous le savez, Jésus, homme parfait, est aussi le vrai Dieu. En Lui, Dieu est devenu visible à nos yeux pour nous rendre participants de sa divinité. De cette façon, une nouvelle dimension de l’être et de la vie surgit avec lui, dans laquelle la matière a elle aussi sa part et par laquelle un monde nouveau apparaît. Mais, dans l’histoire universelle, ce saut qualitatif que Jésus a accompli à notre place et pour nous, comment rejoint-il concrètement l’être humain, en pénétrant sa vie et en l’emportant vers le Haut? Il rejoint chacun d’entre nous à travers la foi et le baptême. En effet, ce sacrement est mort et résurrection, transformation en une vie nouvelle, à tel point que la personne baptisée peut affirmer avec saint Paul: « je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20). Je vis, mais ce n’est déjà plus moi. D’une certaine façon, je suis enlevé à moi-même et je suis intégré dans un « Moi » plus grand; mon moi est encore présent, mais il est transformé et ouvert aux autres moyennant mon insertion dans un Autre: dans le Christ, j’ai acquis mon nouvel espace de vie. Qu’est-il donc advenu de nous? Paul répond: vous êtes devenus un dans le Christ (cf. Ga 3, 28).

Grâce à cet être christifié par l’œuvre et la grâce de l’Esprit-Saint, la croissance du Corps du Christ se réalise peu à peu tout au long de l’Histoire. En cet instant, il me plaît de revenir, par la pensée, cinq cents ans plus tôt, c’est-à-dire vers les années 1506 et suivantes, quand s’est formé sur cette terre, alors que les Portugais étaient présents, le premier royaume chrétien sub-saharien, grâce à la foi et à la détermination politique du roi Dom Afonso Ier Mbemba-a-Nzinga, qui régna de 1506 à 1543, année de sa mort; le royaume demeura officiellement catholique de la fin du XVIe siècle jusqu’au XVIIIe, ayant son ambassadeur à Rome. Vous voyez que deux peuples très différents – bantou et lusitanien – ont pu trouver dans la religion chrétienne un terrain d’entente et se sont ensuite employés à ce que cette entente se prolonge et que les divergences – il y en a eu et d’importantes – ne séparent pas les deux royaumes. De fait, le Baptême permet que tous les croyants soient un dans le Christ.

Aujourd’hui, frères et sœurs, il vous revient, dans le sillage des saints et héroïques messagers de Dieu, de présenter le Christ ressuscité à vos concitoyens. Ils sont très nombreux à vivre dans la peur des esprits, des pouvoirs néfastes dont ils se croient menacés; désorientés, ils en arrivent à condamner les enfants des rues et aussi les anciens, parce que – disent-ils – ce sont des sorciers. Qui ira auprès d’eux pour leur dire que le Christ a vaincu la mort et toutes les puissances des ténèbres (cf. Ep 1, 19-23; 6, 10-12)? On objectera: «Pourquoi ne pas les laisser tranquilles? Ils ont leur vérité et nous la nôtre. Cherchons à vivre pacifiquement, en laissant chacun comme il est, afin qu’il réalise le plus parfaitement possible sa propre identité ». Mais si nous sommes convaincus et avons fait l’expérience que, sans le Christ, la vie est inachevée, qu’une réalité – la réalité fondamentale – lui fait défaut, nous devons être également convaincus du fait que nous ne faisons d’injustice à personne si nous lui présentons le Christ et lui donnons la possibilité de trouver, de cette façon, non seulement sa véritable authenticité, mais aussi la joie d’avoir trouvé la vie. Bien plus, nous avons le devoir de le faire; c’est un devoir d’offrir à tous cette possibilité dont dépend leur éternité.

Frères et sœurs très chers, disons-leur comme le peuple d’Israël: « Allons! Revenons au Seigneur! C’est lui qui nous a cruellement déchirés, c’est lui qui nous guérira ». Aidons la misère de l’homme à rencontrer la Miséricorde divine. Le Seigneur fait de nous ses amis, Il s’en remet à nous, Il nous confie son Corps dans l’Eucharistie, Il nous confie son Église. Nous devons donc être véritablement ses amis, avoir avec Lui les mêmes sentiments, vouloir ce que Lui veut et ne pas vouloir ce qu’Il ne veut pas. Jésus lui-même a dit: « Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande » (Jn 15, 14). Que ce soit là notre engagement commun: faire, ensemble, sa sainte volonté: « Allez dans le monde entier. Proclamez la Bonne Nouvelle à toute la création » (Mc 16, 15). Épousons sa volonté, comme saint Paul l’a fait: Annoncer l’Évangile, « c’est une nécessité qui s’impose à moi: malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile! » (1 Co 9, 16).

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