Le culte des saints dans l’Église catholique

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Le culte des saints dans l’Église catholique 

Maurice Jourjon

Le culte des saints dans l’Église catholique Tout au long de l’année, nous fêtons des saints : apôtres, martyrs, évêques, docteurs, religieux et religieuses, hommes et femmes ayant exercé une fonction pédagogique ou une activité caritative. Nous les fêtons parce qu’ils ont rempli une fonction dans l’Église de Dieu, parce qu’ils sont été des serviteurs et des ministres du peuple de Dieu, rejoignant les intendants fidèles et avisés de l’Évangile.

À côté de ces « fonctionnaires », au meilleur sens du terme, l’Esprit Saint suscite librement des hommes et des femmes hors catégorie, qui ne sont pas des fonctionnaires mais des prophètes : François d’Assise, Catherine de Sienne, Jeanne d’Arc, Thomas More, Frédéric Ozanam, Thérèse de Lisieux ou Edith Stein, dont le P. Jourjon dit, dans une belle formule, qu’ » ils ont jeté l’Église en avant ». Leur canonisation répond à la mission ce l’Église de présenter aux chrétiens ceux et celles qui sont « non seulement nos ancêtres dans la foi, mais des hommes et des femmes d’avenir, et des enfants de grande espérance ».

L’étude originale du P. Jourjon nous aide à mieux saisir la place des saints dans la vie de l’Église, de notre Église qui en permanence est à la fois institutionnelle et charismatique. Il conviendrait de la prolonger par une recherche sur les critères et les modalités des béatifications et des canonisations, qui ont sensiblement évolué au long des siècles, et donc par une nouvelle réflexion théologique et ecclésiologique sur le culte que nous rendons aux saints.

Pour aborder la question du culte des saints dans l’Église catholique, nous prendrons le terme de canonisation au sens large, nous l’étendrons pour ainsi dire tout au long des siècles. La canonisation des saints, c’est leur inscription sur une liste, l’enregistrement de leurs noms dans un document officiel (un martyrologe) après un jugement, officiel lui aussi, porté sur eux au cours d’un véritable procès. Nous écrirons donc par une induction vérifiée et pas du tout un abus de langage trois chapitres de l’histoire de ce que, peu à peu, on appellera canonisation.

Nous réfléchirons d’abord sur la liste primitive, celle de l’Église à ses origines, celle des deux premiers siècles. Puis, sur la liste dressée, peu à peu, par l’Église ancienne, l’Église des Pères, comme on dit, l’Église du iie au ve siècles. Enfin, franchissant allégrement Moyen Âge et Temps modernes, nous évoquerons quelques canonisés de notre xxe siècle qui s’achève.

Pour ce faire, nous utiliserons, nous analyserons trois textes. Nous ferons vraiment trois explications de textes, tournant à la théologie historique et à la spiritualité.

Les martyrs, premiers canonisés. Un texte percutant d’Irénée

C’est par le truchement d’un texte percutant d’Irénée que nous aborderons notre premier sujet : les martyrs premiers canonisés. Que veut dire Irénée lorsqu’il affirme que, grâce à l’Esprit Saint, le christianisme est : « une connaissance vécue comportant : l’enseignement des apôtres ; l’organisme originel de l’Église répandu à travers le monde entier ; la marque distinctive du Corps du Christ consistant dans la succession des évêques auxquels les apôtres remirent chaque Église locale ; parvenue jusqu’à nous, une conservation immuable des Écritures […] ; enfin le don suréminent de l’amour […]. Voilà pourquoi l’Église, en tout lieu, à cause de son amour pour Dieu, envoie sans cesse au-devant d’elle une multitude de martyrs vers le Père » (Contre les hérésies (A. H.), IV, 33, 8-9 ; trad. A. Rousseau, p. 519).

Expliquons le texte d’Irénée par Irénée lui-même, c’est-à-dire par son ouvrage intitulé Contre les hérésies : une connaissance vraie et non une connaissance au nom menteur (celle des sectes gnostiques) c’est, pour Irénée, cette sorte d’expérience de la présence, en nous, par la foi baptismale, de l’Esprit de vérité promis par le Christ pour nous enseigner toutes choses (Jn 14, 26) et nous conduire vers la vérité tout entière (Jn 16, 13).

Selon l’enseignement des apôtres, il y a un seul Dieu, Père tout-puissant, un seul Christ, Jésus, Fils de Dieu qui s’est incarné pour notre salut, et l’Esprit Saint qui, par les prophètes, a annoncé tout cela. (Voir A. H. I, 10, 1 ; trad., p. 65.)

L’organisme originel de l’Église, c’est son lien, son articulation avec le Père qui est la tête du Christ, le Verbe, qui est la tête de l’Église et l’Esprit qui est « l’eau vive octroyée par le Seigneur » (A. H. V, 18, 2 ; trad., p. 624).

La continuité apostolique de toutes les Églises grâce à la succession des évêques est la marque distinctive du Corps du Christ. Cette marque, qui est comme le signal de l’Église du Christ, prend sens et signification, devient signe d’authenticité par la prédication de l’Évangile et la vie selon l’Évangile (A. H. IV, 26, 5 ; trad., p. 495). C’est pourquoi il faut s’attacher à ceux qui gardent la succession depuis les apôtres et offrent une parole saine et une conduite irréprochable, comme c’est le cas de l’Église que Pierre et Paul fondèrent à Rome (A. H. III, 3, 2 ; trad., p. 279-280).

La conservation immuable des Écritures, c’est leur transmission intégrale et la proclamation de leur enseignement (A. H. I, 10, 2 ; trad., p. 66) par une lecture exempte de fraude et une interprétation légitime. Enfin le don par excellence, supérieur à tous les autres charismes, c’est l’amour pour Dieu, cause de l’irréfutable sainteté de l’Église : la multitude des martyrs.

Lorsque, vers 180 ap. J.-C., Irénée compose ce beau texte, quels sont les chrétiens que leur martyre a, si nous nous permettons cet anachronisme, canonisés ? Saint Étienne, Pierre et Paul et les autres victimes de Néron ; Polycarpe de Smyrne, Ignace d’Antioche, Justin et ses compagnons, les martyrs lyonnais, les martyrs scilitains. Le martyre d’Étienne est dans l’Écriture Sainte (Ac 7, 54-60) ; celui de Pierre et Paul est attesté par la lettre de l’Église de Dieu qui pérégrine à Rome, de l’Église de Dieu qui pérégrine à Corinthe. Pour ceux (et implicitement pour celles) que je viens de citer, nous avons des documents sûrs, authentiques, qui attestent l’historique vérité de leur mort pour le Christ. Le martyre de Polycarpe est attesté par une lettre de son Église, celle de Smyrne, à celle de Philomélium « et à toutes les communautés de la sainte Église catholique ». Pour Ignace, nous n’avons de récit de sa mort que légendaire, mais sept lettres de lui nous disent qu’il a été jugé et condamné à être livré aux bêtes. Pour Justin et ses disciples ou élèves ou étudiants, nous avons les Actes officiels mêmes de son procès et de sa condamnation. La lettre sur la persécution des chrétiens de Lyon, lettre des serviteurs du Christ qui sont à Vienne et à Lyon, nous raconte ces faits. Des martyrs de Scili, bourgade près de Carthage, par les Actes de leur procès (qui sont également l’acte de naissance du christianisme en Afrique), nous connaissons même les noms : Speratus, Nartzalus, Cittinus, Donata, Secunda, Vestia (trois hommes, trois femmes, quatre Romains, deux Berbères).

Ce sont des documents, certes, mais plus et mieux encore : ce sont des sources de vie et un pain nourrissant. Souvent, en les relisant, monte de mon cœur à ma mémoire l’étonnante parole de saint Jean de la Croix :

Cette source d’eau vive que je désire

Et ce pain de la vie, moi je la vois

Encore que de nuit.

Comme on ne peut pas tout dire, ni tout lire, nous procéderons selon la méthode bien connue de l’adjudant ; il demandait : « Pourquoi Pasteur et Berthelot sont-ils de grands savants du xixe siècle ? » et il fallait répondre : « C’est pour ne citer que les principaux ! » Nous allons considérer comme principaux : Étienne, Pierre et Paul, les Lyonnais.

Étienne

Le premier martyr, c’est-à-dire le premier qui restitua au Christ le sang que le Christ versa pour nous. On peut même dire le premier à prier le Christ, c’est-à-dire à le confesser comme Dieu. Étienne, en effet, adresse au Christ la prière du Christ au Père. La mort d’Étienne est comme la reprise de la mort de Jésus, une nouvelle version, un remake de la mort de Jésus. La mort de Jésus est un passage de Jésus à son Père. La mort d’Étienne est un passage d’Étienne à Jésus.

« Étienne prononçait cette invocation : « Seigneur Jésus, reçois mon esprit. » Puis il fléchit les genoux et lança un grand cri : « Seigneur, ne leur compte pas ce péché. » Et sur ces mots il mourut. » (Ac 7, 59-60.)

Telle est la première canonisation. Et le premier canonisé a, pour ainsi dire, signé son entrée au ciel : « Étienne, plein de grâce et de vérité » (Ac 6, 8). « Rempli d’Esprit Saint fixa le ciel : il vit la gloire de Dieu et Jésus debout à la droite de Dieu. « Voici, dit-il, que je contemple les cieux ouverts, et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu. » » (Ac 7, 55-56.)

Pierre et Paul, plus une immense foule d’élus

Témoigne d’eux la lettre écrite, en 95-96, par l’Église de Rome à celle de Corinthe : « Pierre qui […] a supporté tant de souffrances […] et qui après avoir rendu ainsi témoignage [littéralement  : avoir accompli son martyre] s’en est allé au séjour de gloire qui lui était dû […]. Paul […] après avoir enseigné la justice au monde entier et atteint les bornes de l’Occident rendit témoignage [litt. : accomplit son martyre] et s’en alla au séjour de sainteté. […] À ces hommes qui ont vécu dans la sainteté est venue se joindre une immense foule d’élus… » (Clément de Rome, Épître aux Corinthiens, Paris, Éd. du Cerf ; coll. « Sources chrétiennes » (SC), n° 167, p. 109).

Ignace

« Comme l’a dit quelqu’un des nôtres, condamné aux bêtes à cause du témoignage rendu par lui à Dieu : « Je suis le froment du Christ et je suis moulu par la dent des bêtes, pour être trouvé un pur pain de Dieu. » » (Rousseau, p. 654.)

Polycarpe

« Je te bénis pour m’avoir jugé digne de ce jour et de cette heure de prendre part, au nombre de tes martyrs, au calice de ton Christ pour la résurrection… » (Ignace d’Antioche, Lettres, SC 10, p. 263.)

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