Le Notre Père dans les Évangiles, les trois premières demandes

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Le Notre Père dans les Évangiles

Les trois premières demandes

Avant même d’examiner ces trois premières demandes selon la particularité qui caractérise chacune d’entre elles, il faut souligner le point suivant : elles ont Dieu pour objet. C’est dire que les disciples doivent d’abord être préoccupés du  » Royaume de Dieu et de sa justice ; tout le reste leur sera donné par surcroît  » (Mt 6,33) et fera l’objet de la seconde série de demandes. Prier le  » Notre Père  » équivaut donc à donner la première place à Dieu et à son Royaume !

Que ton Nom soit sanctifié ! Dans l’A.T., le nom est la personne. On ne peut donc invoquer à tort le Nom de Dieu (Ex 20,7), car il est saint (Is 57,15). La sainteté de Dieu est au cœur du message biblique :  » Saint, saint, saint est le Seigneur Sabaoth  » (Is 6,3). Cette sainteté de Dieu se communique :  » Vous serez saints parce que moi je suis saint  » (Lv 11,45). Dieu est cependant le seul Saint, à tel point que  » Saint est son Nom  » (cf. Lc 1,49). Il revient donc à Israël de  » sanctifier  » le Nom de Dieu : le peuple  » sanctifiera mon Nom, il sanctifiera le Saint d’Israël  » (Is 29,23). Cependant, Dieu seul peut véritablement sanctifier son propre Nom, car personne ne peut le rendre saint :  » Je sanctifierai mon grand Nom qui a été profané parmi les nations au milieu desquelles vous l’avez profané. Et les nations sauront que je suis Yahvé – oracle du Seigneur Dieu – quand je me sanctifierai à votre sujet sous leurs yeux  » (Ez 36,23-24).

Selon ce dernier texte, Dieu seul peut se sanctifier lui-même, c’est-à-dire, d’après le sens le plus obvie, manifester sa sainteté et la faire reconnaître par toutes les nations païennes. Or, en Ez 20,41 (cf. Is 29,23), Dieu dit :  » Je serai sanctifié par vous au milieu des nations  ». Que signifie donc la première demande du Pater ? Qu’il revient aux disciples de sanctifier le Nom de Dieu ? Ou que Dieu lui-même doit sanctifier son propre Nom ? Pour répondre à cette question, faisons trois observations. Les deux premières sont d’ordre grammatical et relatives au verbe  » sanctifier  ». Il est utilisé au passif sans que soit exprimé le complément d’agent. On admet volontiers dans les cas semblables que cette manière de faire permet de désigner l’action de Dieu sans le nommer ; c’est le procédé du  » passif divin  ». La deuxième remarque porte sur le mode et le temps : le verbe est à l’impératif aoriste et désigne donc une action ponctuelle. La troisième porte sur le lien entre cette première demande et celle qui la suit, relative à la venue du Règne, dont Dieu seul peut être le maître : par analogie, on peut dire que Dieu seul peut être le sujet de sa propre sanctification et que sa manifestation plénière aux nations (sa  » sanctification  ») n’apparaîtra qu’à la fin des temps, lorsqu’il fera advenir son Règne.

 » Fais-toi reconnaître comme Dieu  », a d’abord traduit la TOB. Puis :  » Fais connaître à tous qui tu es  ». Si ces deux traductions de Mt 6,9b sont littéralement éloignées du texte, elles sont cependant fidèles à l’esprit de la demande, qu’il faut qualifier d’eschatologique. Reconnaître que Dieu seul peut sanctifier son Nom, c’est-à-dire manifester qui il est, n’est pas inciter les disciples à demeurer passifs ; c’est les inviter à reconnaître l’initiative gratuite et absolue de Dieu dans le don qu’il fait de lui-même. Dieu seul peut dire qui il est et révéler son mystère, lequel ne sera dévoilé pleinement qu’à la fin des temps.

Que ton Règne vienne ! L’annonce de la proximité du Règne de Dieu — le mot grec  » basileia  » est aussi traduit par royaume ou par royauté — est au centre de la prédication de Jésus (Mt 4,17.23). Celui-ci apprend maintenant à ses disciples à demander au Père de faire advenir ce Règne :  » Fais venir ton Règne  », traduit la TOB. Comme la précédente, cette demande est au passif (impossible ici à rendre littéralement en français) et à l’impératif aoriste, ce qui lui donne un accent nettement eschatologique. À l’appui de cette option, on peut encore faire valoir que c’est la seule fois où, dans Matthieu, le verbe  » venir  » est appliqué au Règne ; en Mc 9,1; 11,10, ce même verbe en lien avec le Règne a un sens eschatologique. Mais, dans ces conditions, comment Matthieu peut-il à la fois affirmer que  » le Règne de Dieu s’est approché  » (cf. Mt 4,17) et demander aux disciples de prier qu’il vienne ? La contradiction n’est qu’apparente : le Règne de Dieu s’est approché en Jésus, qui a donné des signes de sa proximité. Lui-même invite donc les disciples à prier le Père de faire venir définitivement ce Règne. La venue du Règne correspondra avec l’événement du Fils de l’homme. C’est aussi le sens de la prière :  » Marana tha !  » (1 Co 16,22; Ap 22,20). L’annonce du Règne de Dieu étant au cœur du message de Jésus et l’attente de son retour étant l’objet de l’espérance des disciples, on peut dire que la demande de la venue du Règne est au cœur de la prière chrétienne. C’est d’ailleurs le demande centrale de la première partie du  » Pater  ».

Que ta volonté soit faite ! Comme les deux verbes qui le précèdent, celui utilisé ici est à l’impératif aoriste ( » genèthètô  »). Or, ce verbe ginomai est relativement peu employé sous cette forme en Matthieu : cinq fois en tout (8,13; 9,29; 15,28; 26,42). Dans tous les cas, il renvoie à une action ponctuelle.  » Ô femme, grande est ta foi ! Qu’il t’advienne comme tu veux !  », dit Jésus à la Cananéenne (15,28). Cet exemple est au demeurant très instructif, puisque, comme dans la troisième demande du  » Pater  », le verbe est mis en relation avec la volonté : ce que veut la femme, en l’occurrence la guérison de sa fille, arrive de manière soudaine et ponctuelle. Quel est donc le sens du mot  » volonté  » dans la demande :  » Que ta volonté soit faite ?  » Le terme revient cinq fois dans le premier évangile, toujours pour dire la volonté du Père (7,21; 12,50; 18,14; 21,31; 26,42 ; cf. 21,31).  » Il ne suffit pas de me dire : ‘Seigneur, Seigneur !’ pour entrer dans le Royaume des cieux ; il faut faire la volonté de mon Père qui est aux cieux  » (7,21). Si ce  » logion  » exprime de manière négative la volonté de Dieu, il n’en est pas moins intéressant dans notre perspective puisqu’il établit un lien entre volonté du Père et le Royaume des cieux : ce sont ceux qui auront fait la volonté du Père qui entreront dans le Royaume ( » basileia  ») des cieux. Dès lors, un lien est créé entre la deuxième demande ( » Que ton Règne (basileia) vienne !  ») et la troisième ( » Que ta volonté soit faite !  ») : la réalisation de la volonté de Dieu sera parfaitement accomplie le jour de la venue du Règne, c’est-à-dire lors de la manifestation du Christ. Cela dit, les hommes ont bien sûr à  » faire la volonté  » de Dieu, comme Matthieu aime à le répéter (Mt 5,17-20; 6,33, 7,21.24-27, 21,30…). Mais cette coïncidence parfaite entre l’accomplissement de la volonté de Dieu et sa réalisation parfaite par l’humanité n’arrivera qu’au dernier jour.

La volonté de Dieu est ainsi de faire advenir son Règne et on aurait tort de la réduire à une décision arbitraire, à laquelle il faudrait se soumettre avec fatalisme, selon une mauvaise interprétation de la prière de Jésus à Gethsémani :  » Mon Père, si cette coupe ne peut passer sans que je la boive, que ta volonté soit faite !  » (Mt 26,42). On a parfois utilisé ce dernier texte pour démontrer que, la formule étant exactement la même dans les deux cas, elle ne pouvait en conséquence avoir un sens eschatologique dans la troisième demande du Pater. Mais c’est oublier que l’épisode de Gethsémani a pour perspective  » l’heure  » de Jésus, qui n’est rien d’autre que l’heure décisive de la Passion, l’heure dernière, celle qui ouvre les derniers temps. On est bien dans l’un et l’autre cas dans une perspective eschatologique.

Comme au ciel (ainsi) aussi sur (la) terre. Selon une interprétation suggérée par Origène, cette expression ne concerne pas seulement la troisième requête mais l’ensemble des trois demandes. Cette hypothèse mérite d’autant plus d’être prise en considération que, comme nous l’avons déjà suggéré, les trois premières demandes forment une unique prière : on demande à Dieu de faire venir son Règne. À l ‘appui de cette hypothèse, on peut d’ailleurs faire valoir que, contrairement aux trois dernières demandes qui sont reliées par la conjonction  » et  » ( » kai  »), les trois premières sont seulement juxtaposées : elles expriment de trois manières différentes une unique prière.

Que signifie dans cette perspective :  » comme au ciel (ainsi) aussi sur (la) terre ?  » Dans la Bible, l’expression ciel/terre désigne la totalité (cf. Gn 1,1; Mt 16,19)). Le ciel représente symboliquement le lieu où la volonté de Dieu est pleinement accomplie, le lieu sur lequel il règne sans partage et où il est pleinement reconnu comme Père. Nous demandons donc au Père que la terre soit, à l’image du ciel, le lieu de la souveraineté de Dieu. Dans cette perspective, l’expression est évidemment à comprendre, elle aussi, dans le cadre eschatologique des trois premières demandes : ce n’est qu’au jour de la manifestation plénière de Dieu que la terre sera  » comme le ciel  » !

 » Notre Père (qui es) dans les cieux, comme au ciel (ainsi) aussi sur (la) terre !  » Tel pourrait être le résumé de la première partie du  » Pater  » : Notre Père, fais la terre comme le ciel ! Ce souhait ne se réalisera qu’au jour où Dieu règnera tout en tous.

© Jean-François Baudoz,
La Prière du Seigneur (Mt 6, 9-16 ; Lc 11, 2-4)
Supplément au Cahier Evangile n° 132 (pages 10-13)

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