par Sandro Magister: C’est le pape théologien qui le dit: la beauté est la preuve de Dieu
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C’est le pape théologien qui le dit: la beauté est la preuve de Dieu
La beauté de l’art et de la musique. Les merveilles de la sainteté. La splendeur de la création. C’est ainsi que Benoît XVI défend la vérité du christianisme, en répondant aux questions des prêtres de Bressanone
par Sandro Magister
ROMA, le 11 août 2008 – Comme chaque année, Benoît XVI a rencontré cet été les prêtres de la région de ses vacances. Pour un dialogue informel fait de questions et réponses.
La rencontre a eu lieu dans la matinée du mercredi 6 août, à la cathédrale de Bressanone, au pied des Alpes, à quelques kilomètres de la frontière italo-autrichienne. Le pape a répondu à six questions, s’exprimant tantôt en allemand tantôt en italien, les deux langues officielles de la région. La rencontre avait lieu à huis clos, hors de la présence des journalistes. La transcription intégrale du dialogue a été diffusée deux jours plus tard par la salle de presse du Vatican.
Les sujets, très variés, étaient parfois brûlants. Un prêtre a demandé s’il fallait continuer à administrer les sacrements à ceux qui se montrent éloignés de la foi. Le pape lui a répondu en avouant qu’il était “plutôt sévère“ dans sa jeunesse, mais qu’il avait compris par la suite que “nous devons plutôt suivre l’exemple du Seigneur, qui était un Seigneur de la miséricorde, très ouvert aux pécheurs“.
Un autre prêtre a demandé si le petit nombre de prêtres n’imposait pas d’aborder les questions du célibat, de l’ordination de “viri probati“ et de l’admission de femmes aux ministères. Le pape a défendu avec force le célibat comme signe que “l’on met tout son être à la disposition du Seigneur et donc à celle des hommes”.
On trouvera ci-dessous deux des six questions et réponses. La première porte sur le lien entre raison et beauté, avec des références évocatrices à l’art, la musique, la liturgie. La seconde porte sur la protection de la création.
1. « Toutes les grandes œuvres d’art sont une épiphanie de Dieu »
Q. – Saint Père, je m’appelle Willibald Hopfgartner, je suis franciscain. Dans votre discours de Ratisbonne, vous avez souligné le lien substantiel entre l’Esprit divin et la raison humaine. D’autre part, vous avez aussi toujours souligné l’importance de l’art et de la beauté. Alors, à côté du dialogue conceptuel sur Dieu, en théologie, l’expérience esthétique de la foi dans l’Eglise ne devrait-elle pas être sans cesse soulignée pour l’annonce et la liturgie?
R. – Oui, je pense que les deux choses vont ensemble: la raison, la précision, l’honnêteté de la réflexion sur la vérité d’une part, la beauté de l’autre. Une raison qui voudrait en quelque sorte se dépouiller de la beauté serait diminuée de moitié, elle serait une raison aveuglée. Seules les deux choses unies forment l’ensemble et cette union est importante précisément pour la foi. La foi doit constamment affronter les défis de la pensée de notre époque, pour ne pas ressembler à une sorte de légende irrationnelle que nous maintenons en vie, mais être soit vraiment une réponse aux grandes questions; pour ne pas être une habitude mais une vérité, comme Tertullien l’avait dit autrefois.
Dans sa première lettre, saint Pierre a écrit cette phrase que les théologiens du Moyen âge ont considérée comme une légitimation, presque comme un ordre pour leur travail théologique: “Soyez toujours prêts à rendre compte du sens de l’espérance qui est en vous” – apologie du “logos” de l’espérance, c’est-à-dire une transformation du “logos” – la raison de l’espérance – en apologie, en réponse aux hommes. Il est clair que saint Pierre était convaincu que la foi était “logos”, qu’elle était une raison, une lumière qui provient de la Raison créatrice, et non un joli mélange, fruit de notre pensée. Voilà pourquoi la foi est universelle et peut être communiquée à tous.
Mais ce “Logos” créateur n’est justement pas qu’un “logos” technique. Il est plus large, c’est un “logos” qui est amour et par-là même il est fait pour s’exprimer dans la beauté et dans le bien. Et, en réalité, l’art et les saints sont pour moi la plus grande apologie de notre foi.
La raison fournit des arguments tout à fait importants et essentiels, mais il y aura toujours un désaccord quelque part. En revanche, si nous observons les saints – la traînée lumineuse par laquelle Dieu marque l’histoire – nous voyons qu’il y a vraiment là une force du bien qui résiste aux millénaires, que c’est là que se trouve réellement la lumière de la lumière.
De même, si nous contemplons les beautés que la foi a créées, je dirais qu’elles sont simplement la preuve vivante de la foi. Si je regarde cette belle cathédrale: c’est une annonce vivante! Elle-même nous parle et en partant de la beauté de la cathédrale, nous parvenons à annoncer visuellement Dieu, le Christ et tous ses mystères: ici, ces derniers ont pris forme et nous regardent. Toutes les grandes œuvres d’art – les cathédrales gothiques et les splendides églises baroques – sont un signe lumineux de Dieu et ainsi véritablement une manifestation, une épiphanie de Dieu.
Dans le christianisme, il s’agit précisément de cette épiphanie: Dieu est devenu une Epiphanie voilée, Il apparaît et resplendit. Nous venons d’écouter le son de l’orgue dans toute sa splendeur et je pense que la grande musique née dans l’Eglise rend la vérité de notre foi audible et perceptible: du chant grégorien à la musique des cathédrales jusqu’à Palestrina et à son époque, jusqu’à Bach et ensuite à Mozart et Bruckner et ainsi de suite… En écoutant toutes ces œuvres – les Passions de Bach, sa Messe en si bémol et les grandes compositions de la polyphonie religieuse du XVIe siècle, de l’école viennoise, de toute la musique, y compris celles des compositeurs moins connus – nous entendons soudain: c’est vrai! Là où naissent de telles choses, il y a la Vérité.
Sans une intuition capable de découvrir le vrai centre créatif du monde, cette beauté ne peut pas naître. C’est pourquoi je pense que nous devrions toujours faire en sorte que les deux choses soient ensemble, les porter ensemble. A l’époque actuelle, lorsque nous nous demandons si la foi est raisonnable, nous parlons justement du fait que la raison ne finit pas là où finissent les découvertes expérimentales, elle ne finit pas dans le positivisme; la théorie de l’évolution voit la vérité, mais elle n’en voit que la moitié: elle ne voit pas que, derrière, se trouve l’Esprit de la création. Nous luttons pour l’élargissement de la raison et donc pour une raison qui soit justement aussi ouverte à la beauté, qui ne la laisse pas de côté comme si c’était quelque chose de totalement différent et déraisonnable.
L’art chrétien est un art rationnel – pensons à l’art gothique ou à la grande musique, ou encore, justement, à notre art baroque – mais il est l’expression artistique d’une raison beaucoup plus large, où cœur et raison se rencontrent. Voilà la clé. Voilà, je pense, d’une certaine manière, la preuve de la vérité du christianisme: cœur et raison se rencontrent, beauté et vérité se touchent. Et plus nous réussissons nous-mêmes à vivre dans la beauté et dans la vérité, plus la foi pourra redevenir créatrice, y compris à notre époque, et s’exprimer sous une forme artistique convaincante.
2. « La terre attend des hommes qui la soignent comme œuvre du Créateur »
Q. – Saint Père, je m’appelle Karl Golser, je suis professeur de théologie morale à Bressanone et directeur de l’Institut pour la justice, la paix et la protection de la création. Je me souviens avec plaisir de la période où j’ai pu travailler avec vous à la congrégation pour la doctrine de la foi. […] Que pouvons-nous faire pour développer, dans la vie des communautés chrétiennes, le sens de la responsabilité à l’égard de la création? Comment parvenir à contempler de plus en plus la création et la rédemption ensemble?
R. – Je pense moi aussi qu’il faut donner plus d’importance au lien indissociable entre création et rédemption. Au cours des dernières décennies, la doctrine de la création a presque disparu en théologie, elle est devenue presque imperceptible. Aujourd’hui, nous nous rendons compte des dégâts qui s’ensuivent. Le Rédempteur est le Créateur et si nous n’annonçons pas Dieu dans toute sa grandeur – de Créateur et de Rédempteur – nous enlevons aussi de la valeur à la rédemption. En effet, si Dieu n’a rien à dire dans la création, s’Il est simplement relégué à un contexte historique, comment peut-Il réellement comprendre notre vie toute entière? Comment pourra-t-Il vraiment apporter son salut à l’homme tout entier et au monde entier?
Voilà pourquoi, selon moi, il est extrêmement important de renouveler la doctrine de la création et de comprendre à nouveau que création et rédemption ne peuvent pas être dissociées. Nous devons à nouveau reconnaître qu’Il est le “Creator Spiritus”, la Raison qui est le commencement, dont tout naît et dont notre raison n’est qu’une étincelle. Et c’est Lui, le Créateur même, qui est pourtant entré dans l’histoire et qui peut entrer et agir dans l’histoire précisément parce qu’Il est le Dieu de l’ensemble et pas seulement d’une partie. Si nous reconnaissons cela, il en découle évidemment que la rédemption, le fait d’être chrétien, ou simplement la foi chrétienne signifieront également, toujours et en tout cas, une responsabilité à l’égard de la création.
Il y a entre vingt et trente ans, on accusait les chrétiens – je ne sais pas si c’est encore le cas – d’être les vrais responsables de la destruction de la création, parce que la phrase de la Genèse – “Assujettissez la terre“ – aurait conduit à cette arrogance à l’égard de la création, dont nous subissons aujourd’hui les conséquences. Je pense que nous devons à nouveau apprendre à comprendre toute l’erreur de cette accusation: tant que la terre a été considérée comme la création de Dieu, le devoir de “l’assujettir “ n’a jamais été interprété comme un ordre de la rendre esclave mais plutôt comme un devoir d’être les gardiens de la création et d’en développer les dons; de collaborer nous-mêmes de manière active à l’œuvre de Dieu, à l’évolution qu’Il a donnée au monde, afin que les dons de la création soient valorisés et non piétinés et détruits.
Quand nous observons ce qui est né autour des monastères, comment y ont été créés et continuent d’y naître de petits paradis, des oasis de la création, nous constatons que, de toute évidence, ce ne sont pas que des paroles. C’est là où la Parole du Créateur a été correctement comprise, là où il y a eu la vie avec le Créateur et le Rédempteur, qu’il y a eu une volonté de sauver la création et non pas la détruire.
Le chapitre 8 de la lettre aux Romains s’inscrit aussi dans ce contexte: il y est dit que la création souffre et gémit à cause de la soumission dans laquelle elle se trouve et qu’elle attend la révélation des fils de Dieu: elle se sentira libérée quand viendront des créatures, des hommes qui sont fils de Dieu et qui la traiteront à partir de Dieu.
Je pense que c’est justement cela que nous pouvons aujourd’hui considérer comme une réalité: la création gémit – nous le percevons, nous l’entendons presque – et elle attend des êtres humains qui la regardent à partir de Dieu. La consommation brutale de la création débute là où il n’y pas Dieu, là où la matière est désormais uniquement matérielle pour nous, là où nous sommes nous-mêmes les dernières instances, là où l’ensemble est simplement notre propriété et où nous le consommons seulement pour nous-mêmes. Et le gaspillage de la création débute là où nous ne reconnaissons plus aucune instance au-dessus de nous, mais où nous ne voyons que nous-mêmes; il débute là où il n’existe plus aucune dimension de la vie au delà de la mort, là où nous devons tout accaparer dans cette vie et posséder la vie avec le plus d’intensité possible, là où nous devons posséder tout ce qu’il est possible de posséder.
Je pense donc qu’il est possible de créer et développer de vraies instances efficaces contre le gaspillage et la destruction de la création, qui soient comprises et vécues uniquement là où la création est envisagée à partir de Dieu; là où la vie est envisagée à partir de Dieu et où elle a de plus grandes dimensions – dans la responsabilité devant Dieu – et, un jour, Dieu nous donnera la vie dans sa plénitude et de façon irrévocable: en donnant la vie, nous la recevons.
Ainsi, je pense que nous devons tenter par tous les moyens dont nous disposons, de témoigner notre foi au monde, particulièrement là où il existe déjà une sensibilité à son égard. Et je pense que c’est parce que nous sentons que le monde est peut-être en train de nous glisser entre les doigts – car c’est nous qui le chassons – et que nous nous sentons oppressés par les problèmes de la création que nous avons l’occasion idéale pour exprimer notre foi en public et la valoriser comme force de proposition.
En effet, il ne s’agit pas simplement de trouver des techniques qui empêchent les dégâts, même s’il est important de trouver des énergies alternatives ou autres. Tout cela ne sera pas suffisant si nous-mêmes nous ne trouverons pas un nouveau style de vie, une discipline faite aussi de renonciations, une discipline de la reconnaissance des autres, auxquels la création appartient autant qu’à nous qui pouvons en disposer plus facilement; une discipline de la responsabilité par rapport à l’avenir des autres et à notre propre avenir, parce que c’est une responsabilité devant Celui qui est notre Juge et qui, en tant que Juge, est Rédempteur mais surtout vraiment notre Juge.
Je pense donc qu’il faut en tous les cas réunir les deux dimensions – création et rédemption, vie terrestre et vie éternelle, responsabilité envers la création et responsabilité envers les autres et l’avenir – et qu’il est de notre devoir d’intervenir ainsi de manière claire et affirmée dans l’opinion publique.
Pour être écoutés, nous devons montrer à la fois par notre propre exemple et notre style de vie, que nous transmettons un message auquel nous croyons et selon lequel il est possible de vivre. Et nous voulons demander au Seigneur qu’Il nous aide tous à vivre notre foi, à être responsables de notre foi de façon à ce que notre style de vie devienne un témoignage et ensuite à parler de telle sorte que nos mots portent la foi comme orientation de notre temps.
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