Saint Paul, homme de prière

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Saint Paul, homme de prière

P. Paul Bony

Paris, Éd. de l’Atelier, coll. « Vivre, Croire, Célébrer, Recherches », 2003.

Esprit et Vie n°94 – novembre 2003 –

Le sous-titre, Originalité d’une prière d’Apôtre, dit bien l’angle d’approche spécifique de la prière paulinienne. Après tout, on pouvait s’y attendre, tellement la vocation apostolique de Paul est déterminante de son existence chrétienne. « Une conviction sous-tend les pages qui suivent : en lisant Paul, nous découvrons une prière apostolique spécifique, non point un supplément d’âme s’ajoutant à l’apostolat, mais une action qui fait partie intégrante du service de l’Évangile et, en cela, digne d’intérêt pour quiconque a aujourd’hui, d’une manière ou d’une autre, mission de servir la parole de Dieu » (p. 14).

L’auteur procède par l’analyse de textes-clés, à partir desquels il élabore quelques propositions de synthèse sur la prière apostolique. Plutôt que de suivre les quatre chapitres de l’ouvrage – où alternent, dans un plan qui pourrait être plus cohérent : analyse de textes pauliniens, rappel de l’enracinement biblique et juif de la prière paulinienne, synthèses provisoires et nouvelle analyse de texte -, cherchons à rendre compte des points de vue majeurs qui traversent tout le livre.

1. Une remarque préliminaire : Paul ne livre pas sa prière elle-même, mais ce qu’elle lui a permis de reconnaître de l’œuvre de Dieu à travers son ministère (d’où l’action de grâces) et ce qu’elle lui désigne maintenant comme progrès à attendre et favoriser dans l’existence des communautés qu’il a évangélisées (d’où la supplication). Paul ne nous livre pas sa prière en direct, cela reste le secret de son intimité avec Dieu, mais des comptes-rendus de sa prière : ce qu’il est profitable d’en communiquer à ses destinataires. Il ne dit pas : « Je te rends grâces, Dieu, pour l’Évangile qu’ils ont reçu » (je-tu-ils), mais : « Je rends grâces à Dieu pour l’Évangile que vous avez reçu » (je-lui-vous). C’est pourquoi le « compte-rendu » de prière tourne facilement à l’enseignement et anticipe en début de lettre, de manière allusive, ce qui en constituera les grandes préoccupations.

2. En effet les deux pôles de la prière apostolique, action de grâces et supplication, sont enracinés dans les événements et les situations du ministère apostolique et des communautés. On peut le vérifier dans l’analyse de Ph 1 et de Rm 1 : dans un cas, la participation active des Philippiens à la grâce apostolique de Paul dès les débuts de l’Évangile ; dans l’autre, l’accueil de l’Évangile chez les Romains, parmi les nations, mais en communion avec la foi judéo-chrétienne des origines. La prière de l’Apôtre n’est pas une addition externe au ministère ; elle est « un acte de justice » qui fait droit à la reconnaissance de « la justice de Dieu », laquelle est à l’origine de l’Évangile et de sa fécondité spirituelle, bien plus qui en est la substance même, ce qui fait que la prière d’action de grâces est encore l’annonce de la grâce. La prière de l’Apôtre est aussi discernement et accueil de ce que Dieu veut continuer de faire dans les communautés comme dans le ministère apostolique. Elle maintient ministère et communauté sous l’horizon du Jour du Christ. Elle désenclave les réalisations présentes de leurs limites et entretient l’espérance. Ainsi l’action de grâces pour le passé et la supplication dans le présent espèrent déboucher sur la louange de Dieu lors de l’avenir eschatologique, lourd « de ce fruit de justice » que nous aurons porté par le Christ Jésus ».

3. Dans la prière de l’Apôtre s’opère un acte de discernement qui relève de la dimension prophétique du ministère apostolique. Ce point de vue est fortement et judicieusement mis en valeur par Claude Tassin : « Disons que l’expérience de Paul fait de la prière un lieu de discernement prophétique de l’agir chrétien » (p. 14). En effet, Paul est conscient de la dimension prophétique de son apostolat : il est apôtre à la manière des prophètes. En annonçant l’Évangile, il discerne l’œuvre de Dieu dans l’histoire. En conséquence, il appelle à la conversion. Et comme les prophètes, il intercède pour le peuple dont il est chargé, afin qu’il parvienne à la plénitude du salut. Ce discernement prophétique, recherché dans la prière, est en premier lieu l’apanage de l’Apôtre, mais il est aussi partagé par l’ensemble des croyants, qui sont en mesure de s’exhorter et de s’entraîner mutuellement dans la fidélité à l’Évangile. De cette prière de la communauté, Paul souhaite bénéficier lui aussi pour le discernement et l’accomplissement de sa mission. L’intercession n’est pas à sens unique, elle est mutuelle, même si elle n’est pas symétrique.

4. Ce que Jeremias disait de Jésus : « Jésus et ses disciples sont issus d’un peuple qui savait prier », est aussi vrai de Paul. Claude Tassin n’a pas de peine à relier les démarches de la prière apostolique non seulement à la responsabilité prophétique, mais plus largement aux grands axes de la prière biblique et juive, spécialement des Psaumes : louange, action de grâces, cris de détresse. C’est bien cela que Paul reprend, bien que ce ne soit pas dans le même ordre : on va de l’action de grâces à la louange en passant par la supplication pour traverser la crise qui va du salut pascal au salut final. Cette trajectoire est bien visible dans le compte-rendu de la prière en Ph 1, 3-11. Au passage, Claude Tassin remarque comment Jésus, dans la parabole du pharisien et du publicain, à la différence de l’inflation des « bénédictions » et de l’action de grâces dans les confréries pharisiennes, donne l’avantage à la prière de demande, parce qu’elle maintient l’orant dans l’humilité de l’accueil et dans l’ouverture au don futur de Dieu. Paul, en tout cas, ne s’arrête jamais à l’action de grâces, si « juste » lui paraît-elle et nécessaire, mais il y joint toujours la prière de demande qui interdit la satisfaction des gens arrivés.

5. Claude Tassin aborde en finale le texte bref mais significatif de Rm 8, 26-30 sur l’intercession de l’Esprit. Celle-ci concerne tous les croyants et pas seulement l’Apôtre. Mais ne livrerait-elle pas la clé de toute prière chrétienne à commencer par la prière apostolique ? En effet, l’intercession de l’Esprit ne vise rien d’autre que le discernement et l’accomplissement ultime de l’Évangile annoncé et reçu. N’est-ce pas justement cela même qui est l’objet de la prière apostolique, en ce qu’elle a de plus spécifique, à l’image de l’intercession prophétique ? Constatant la figure exceptionnelle de l’Esprit dans ce texte de Rm 8, comme « super-intercesseur », Claude Tassin en cherche justement l’explication et l’origine dans le rôle que joue l’Esprit, selon la tradition juive, chez les prophètes, pour discerner l’œuvre de Dieu et pour en rendre grâces – ce que Luc a repris dans son Évangile et dans les Actes (voir Zacharie, Syméon, la communauté primitive de Jérusalem). L’Esprit est à la fois celui qui permet de relire les événements présents à la lumière des Écritures, et celui qui est reçu de Dieu comme fruit de la prière, pour rendre les bénéficiaires à nouveau capables de l’annonce. Paul, quant à lui, intériorise fortement ce rôle de l’Esprit. Il n’est pas le destinataire de la prière, il en est l’inspirateur. Il est celui qui ajuste, qui « met au point » le désir des croyants, pour les conformer au dessein de Dieu : les configurer au Christ, les conduire ainsi à la gloire eschatologique. L’intercession de l’Esprit est la visée même de l’Esprit au cœur des enfants de Dieu. Elle est la seule intercession qui puisse correspondre à la vérité et à la profondeur de l’Évangile.

Ce parcours paulinien met bien en valeur l’unité intérieure du ministère de l’Évangile et la prière de ceux qui le portent. Rien d’artificiel dans leur rapport, mais justesse et justice. Cela est important à redire aujourd’hui, à l’encontre de toute dichotomie entre vie spirituelle et vie apostolique. On pourrait seulement demander si cette dimension prophétique de la prière apostolique rend compte de toute la richesse spirituelle de la prière paulinienne. Mais l’auteur nous avait prévenus de son angle d’approche. On ne peut lui reprocher de ne pas avoir tout dit. Heureusement ! D’autant plus que ce qu’il dit est déjà d’une grande richesse. Sans minimiser la dimension contemplative inhérente à la relecture de l’œuvre de Dieu dans l’annonce de l’Évangile et dans la fondation des communautés, on peut se demander, quand on lit l’ouvrage d’Alan Segal, Paul le converti (qui fera l’objet d’une importante présentation dans un prochain numéro d’Esprit et Vie), s’il ne faudrait pas faire droit aussi à la dimension « apocalyptique » et « mystique » de la prière de l’Apôtre Paul. Même s’il ne veut pas faire état de son rapt au troisième ciel pour fonder l’authenticité de son apostolat et s’il se hâte de « crucifier » cette élévation par l’évocation de ses handicaps et de ses faiblesses, Paul laisse entrevoir qu’il a connu une vie de prière peu commune, dans laquelle vie en Christ et vie dans l’Esprit ont fait de lui l’émule des plus grands mystiques : le voile de Moïse est tombé. « Et nous tous qui, le visage découvert, réfléchissons comme en un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette même image, allant de gloire en gloire, comme de par le Seigneur, qui est l’Esprit » (2 Co 3, 18).

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