« Heureux ceux qui croient sans avoir vu: ( Jean 20,19-31)

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« Heureux ceux qui croient sans avoir vu: ( Jean 20,19-31) 

Traditionnellement, la longue période du Temps pascal qui dure jusqu’à la Pentecôte est considérée dans l’Eglise comme une sorte de grande semaine de sept fois sept jours. La couleur blanche s’impose, comme couleur de la joie ; on met des fleurs partout ; on multiplie les Alléluia ; la communauté chrétienne est en fête. (Notons-le au passage, nous restons beaucoup plus longtemps en période pascale qu’en Carême, par exemple, et nous pouvons reconnaître là, contrairement à la caricature qu’on fait parfois du christianisme, le signe que notre foi nous invite davantage à la réjouissance qu’à l’austérité.) Alors, installons-nous posément dans cette liturgie de 50 jours, prenons le temps de la savourer, accueillons-la pour ce qu’elle est : un moyen pédagogique que l’Eglise fournit à ses enfants afin qu’ils orientent leur vie vers l’astre véritable, le Soleil du Ressuscité. 

En même temps, si une pédagogie d’une telle ampleur est déployée pour nous, c’est bien parce que notre accueil de Pâques ne va vraiment pas de soi. Reconnaissons-le : spontanément, nous ne nous orientons pas vers le Soleil du Ressuscité. Ou plutôt, si, nous nous tournons-vers lui, avec beaucoup de joie, à la faveur de telle cérémonie, de tel chant, de tel rite, nous expérimentons quel bonheur il y a de se tourner vers Jésus ressuscité Mais cette orientation ne dure pas. Notre tournesol spirituel a la tête bien faible… Nous nous le sommes peut-être déjà dit dans le secret du cœur, et, en tout cas, je l’ai beaucoup entendu au confessionnal, cette semaine : la joie de Pâques se dissipe vite. Une expérience si réjouissante de légèreté spirituelle, de libération, de joie retrouvée, d’allégresse intérieure a pu très vite redonner la place aux pesanteurs, aux médiocrités, aux incertitudes habituelles… 

Face à ce constat réaliste et bien humiliant par certains côtés, (tant mieux pour celles et ceux qui sont épargnés par cette épreuve !), je nous invite à être attentifs à la page d’Evangile de cette liturgie. On peut dire, je crois, qu’elle est adaptée à la situation… 

Nous y retrouvons cette figure bien connue de l’Apôtre Thomas. Le Christ lui enseigne une béatitude qui le concerne, lui, Thomas, bien sûr, mais qui nous rejoint profondément, nous qui vivons deux mille ans après l’événement de Pâques : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu. » Nous n’avons rien vu de ce que Thomas voulait voir : la trace sur un vivant des marques de la Mort, comme autant de signes que la Mort a été vaincue. 

Si cette béatitude nous est adressée, si nous avons à l’accueillir comme parole d’Evangile, comme Bonne Nouvelle, c’est bien parce qu’elle ressemble aux autres Béatitudes. Comme les autres Béatitudes, elle vient heurter notre vision habituelle des choses. Elle nous confronte au paradoxe de toute vie à la suite du Christ – là où les affligés se réjouissent, où les pauvres sont heureux, les doux sont les vrais forts - 

« Heureux ceux qui croient sans avoir vu. », Cela ne veut pas dire que nous n’avons rien à voir, mais que nous ne voyons pas ce que nous aimerions voir. Ni comme nous aimerions voir. Concernant la victoire du Ressuscité, nous voudrions voir du spectaculaire, de l’éclatant, et surtout du définitif. Disons-le : nous voudrions des sensations fortes. Au contraire, le plus souvent, il nous est donné, au mieux, du discret, de l’incertain, du fugace. 

Pour revenir sur notre éventuelle déception sur la fragilité de la joie liée aux fêtes de Pâques, la béatitude adressée à Thomas veut nous inviter, à ne pas nous accrocher à la joie de Pâques , mais à laisser s’installer doucement, discrètement en nous l’expérience de Pâques. une expérience dont la joie sensible n’est qu’une manifestation passagère. 

L’expérience de Pâques, 2000 ans après, nous ne la faisons pas en touchant le corps vivant d’un homme mort trois jours auparavant. Nous la faisons en rencontrant des hommes et des femmes qui auraient toutes les raisons de monde pour être porteurs de tristesse, d’angoisse, de violence, de haine, pour avoir en eux et sur eux tous les stigmates du malheur et qui, pourtant, paradoxalement – le paradoxe des Béatitudes ! – rayonnent de paix, de vraie joie, de liberté, d’amour. 

Pour nous qui ne voyons pas apparaître Jésus Christ sorti du tombeau, ils peuvent être figures véritables du Ressuscité. Mais, voilà, est-ce que nous savons les voir, les regarder ainsi ? Est-ce que nous les laissons nous dire, de leur voix souvent blessée, brisée, des mots qui sont comme l’écho des mots de consolation que le Christ est venu dire à ses disciples enfermés dans leur maison verrouillée ? 

Oui, je le crois profondément, si la joie de Pâques nous est si vite retirée, c’est pour que nous acceptions de laisser grandir en nous, pauvrement, humblement, le désir de l’expérience de Pâques. Nous risquerions de nous enfermer sur la joie de Pâques, elle pourrait satisfaire notre rêve d’une intimité douillette avec le Christ, une intimité égoïste et finalement stérile, Le désir de l’expérience de Pâques, lui, nous force à sortir de nous-mêmes, il nous pousse à ouvrir les portes, à partir rechercher les témoins du Ressuscité, toutes celles et tous ceux qui manifestent que le malheur, le mensonge, la haine ne sont pas les plus forts. 

Demandons à notre Seigneur, à notre Dieu (comme dit Thomas) de faire l’expérience de Pâques, non pas en voyant de l’extraordinaire, mais en découvrant comment la vie la plus ordinaire, la plus obscure peut être à tout instant illuminée au Soleil du Ressuscité. 

Philippe Robert, sj

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