un écrit de Saint Augustin sur l’évangile de Jean, première partie (deux partie)
http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/jean/tr31-40/tr34.htm
SUR L’ ÈVANGILE DE JEAN
TRENTE-QUATRIÈME TRAITÉ.
SUR CE PASSAGE « JE SUIS LA LUMIÈRE DU MONDE CELUI QUI ME SUIT NE MARCHE PAS DANS LES TÈNÈBRES, MAIS IL AURA LA LUMIÈRE DE LA VIE ». (Chap. VIII, 12.)
JÉSUS, LUMIÈRE DE VIE.
Jésus est la lumière du monde, non pas une lumière matérielle, mais la lumière incréée qui est Dieu : il est aussi source de vie; et comme, en Dieu, la lumière et la vie se trouvent réunies, nous en jouirons au ciel pendant l’éternité. Pour y parvenir, il nous faut ici-bas suivre Notre-Sauveur, imiter ses vertus, et quand nous aurons victorieusement lutté coutre les ennemis de notre salut, nous entrerons en possession de la lumière et de la vie éternelles, promises comme récompense à nos généreux efforts.
1. Nous venons d’entendre la lecture du saint Evangile; nous l’avons écoutée avec attention, et, j’en suis sûr, nous nous sommes tous efforcés d’en saisir le sens. Les grandes et mystérieuses choses dont on nous y a entretenus, chacun de nous en a pris ce qu’il a pu, selon l’étendue de ses moyens; le pain de la parole a été placé devant nous : personne, sans doute, ne se plaindra de n’y avoir pas goûté. Encore une fois, ce passage de l’Evangile offre des difficultés; mais j’en suis sûr, il en est parmi nous pour l’avoir compris tout entier. Néanmoins, celui qui a suffisamment saisi toutes les paroles précitées du Sauveur, nous permettra de remplir notre ministère; il nous permettra de les expliquer, autant que possible, avec le secours de la grâce divine, et, par là, de faire comprendre à tous ou à beaucoup, ce dont un petit nombre se trouve déjà heureux d’avoir l’intelligence.
2. Ces paroles du Sauveur: « Je suis la lumière du monde », une semblent assez claires pour ceux qui ont des yeux à l’aide desquels on peut contempler cette lumière: ceux, au contraire , qui n’ont d’autres yeux que les yeux de leur corps, [569] s’étonnent d’entendre ces paroles : «Je suis la lumière du monde », sortir de la bouche de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il en est, sans doute, plus d’un pour se dire à lui-même Le Seigneur Jésus serait-il ce soleil, dont le lever et le coucher forment la mesure de nos jours? Plusieurs hérétiques l’ont pensé : en effet, les Manichéens voyaient la personnification du Christ dans cet astre dont les rayons frappent nos regards, et qui, placé au centre du monde, sert à tous, aux hommes et aux animaux, pour se conduire. Mais là vraie foi de l’Eglise catholique repousse une telle ineptie, elle y voit la doctrine du démon; et elle ne se contente pas de croire la vérité; elle cherche aussi, par des preuves péremptoires, à faire passer ses convictions dans les âmes près desquelles, elle trouve accès. C’est pourquoi nous condamnons nous-mêmes cette erreur que la sainte Eglise a, dès le commencement, anathématisée. N’allons donc point voir Jésus-Christ dans ce soleil qui se lève à nos yeux, en Orient, pour aller se coucher en Occident; à l’éclat duquel succèdent les ombres de la nuit, dont les rayons sont interceptés par les nuages, et qui passe avec une admirable régularité de mouvements, d’un lieu dans un autre: non, le Sauveur Jésus n’est pas ce soleil; non, il n’est pas cet astre sorti du néant : il en est le Créateur; « car, par lui toutes choses ont été faites, et rien m’a été fait sans lui ».
3. Il est donc la lumière qui a créé les rayons du soleil puissions-nous l’aimer, désirer la comprendre et en éprouver comme une soif ardente ! Ainsi elle nous conduira un jour jusqu’à elle-même, et nous vivrons en elle de manière à ne jamais mourir complètement. C’est en parlant de cette lumière que le Prophète adit, longtemps auparavant, dans un psaume : « Seigneur Dieu, vous sauverez les hommes et les bêtes; car votre miséricorde est sans bornes ». Telles sont les paroles du saint psalmiste : remarquez bien ce qu’ont dit d’avance de cette lumière divine les hommes de Dieu qui ont vécu dans les temps anciens et consacré leur vie à la sainteté : « Seigneur Dieu, vous sauverez les hommes et les bêtes ; car votre miséricorde est sans bornes». Parce que vous êtes Dieu et que vous êtes rempli d’une immense miséricorde, vous en avez répandu l’intarissable abondance, non-seulement sur les hommes, que vous avez créés à votre image, mais encore sur les animaux, que vous avez soumis à l’empire de l’homme. Le salut des bêtes vient de la même source que le salut de l’homme: il vient de Dieu. Ne rougis point de nourrir, à l’égard du Seigneur ton Dieu, de pareilles pensées; au contraire, livre-toi, à cet égard, à la confiance et même à la présomption: prends garde d’avoir d’autres sentiments. Celui qui te sauve, sauve aussi ton cheval et ta brebis: ne craignons pas de parler des moindres animaux, il sauve encore ta poule ; car le salut vient de Dieu, et Dieu sauve tous ces êtres (1). Cela te jette dans l’étonnement; tu m’interroges : je suis surpris de te voir aussi défiant. Le Seigneur, qui a daigné tout créer, dédaignerait-il de tout sauver? De lui vient le salut des anges, des hommes, des bêtes; car le salut vient de lui. Comme personne n’est le principe de sa propre existence, ainsi aucun homme ne peut se sauver lui-même. Voilà pourquoi le Psalmiste dit avec tant de vérité et d’à-propos: « Seigneur Dieu, vous sauverez les hommes et les bêtes », pourquoi? « parce que votre miséricorde est sans bornes ». Car vous êtes Dieu, vous avez tout créé : vous sauvez tout : vous avez donné l’être à toutes choses; vous le conservez dans son intégrité.
4. Si, en raison de son infinie miséricorde, le Seigneur sauve les hommes et les animaux, les hommes ne jouissent-ils donc d’aucun bienfait d’en haut qui leur soit particulier, et qu’ils ne partagent point avec les êtres sans raison ? N’y a-t-il aucune différence entre l’animal créé à l’image de Dieu, et l’animal soumis à cette image? Certes, il yen a une outre le salut qui nous est commun avec les brutes, il en est un autre que le Seigneur nous accorde et qu’il leur refuse. Quel est ce salut ? Voici la suite du psaume : « Mais les enfants des hommes espéreront à l’ombre de vos ailes ». Ils partagent aujourd’hui avec les animaux le même salut; « in ais les «enfants des hommes espéreront à l’ombre « de vos ailes ». Maintenant ils jouissent de l’un, et ils espèrent l’autre. Le salut du temps présent est le même pour les hommes et pour les bêtes ; mais il en est un autre qui fait l’objet des espérances de l’homme: ceux qui espèrent, entrent en sa possession : il n’est
1. Ps. III, 9.
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point le partage de ceux qui s’abandonnent au désespoir; car, dit le Psalmiste , « les enfants des hommes espéreront à l’ombre de vos ailes ».Ceux dont l’espérance ne s’affaiblit point, vous les protégerez afin que le démon ne les en dépouille pas. « Ils espéreront à l’ombre de vos ailes ». Si donc ils espèrent, qu’espéreront-ils, sinon ce que ne posséderont jamais les êtres dépourvus de raison? « Ils seront enivrés de l’abondance de votre maison, et vous les abreuverez du torrent de vos délices ». Quel est le vin dont il sera beau de s’enivrer? Quel est le vin qui éclaire l’âme au lieu de la troubler? Quel est le vin qui donne une perpétuelle santé, quand on s’en abreuve, sans lequel on tombe nécessairement malade? « Ils seront enivrés » de quoi? « de l’abondance de votre maison, et vous les abreuverez du torrent de vos délices ». Comment cela? «Car en vous est la source de la vie ». Cette source de la vie se présentait elle-même aux hommes, et leur disait: « Que celui qui a soif, vienne à moi (1)». Jésus-Christ était cette source. Mais en commençant, nous avions parlé de lumière, et nous avions entrepris d’expliquer une difficulté relative à la lumière, et à laquelle avait donné lien la lecture de l’Evangile. Nous avons lu, en effet, ce passage où le Sauveur dit : « Je suis la lumière du monde ». De là, une explication à donner pour que personne, sous l’influence d’idées charnelles, ne croie qu’il soit, en ce passage, question de l’astre du jour: nous avons été ainsi amenés à étudier le psaume précité, et nous y avons vu que le Sauveur est la source de la vie. Bois-y donc et vis. « En vous », dit le Psalmiste, « est la source de la vie ». C’est pourquoi les enfants des hommes qui veulent s’y enivrer, espèrent à l’ombre de vos ailes. Mais il s’agissait de lumière, Continue donc; car, après avoir dit : « En vous est la source de la vie », le Prophète ajoute: « Et, dans votre lumière, nous verrons la lumière (2)»; Dieu de Dieu, la lumière de la lumière. Par cette lumière a été créé l’éclat du soleil; et cette lumière, par quia été fait le soleil, cette lumière qui nous a créés nous-mêmes et nous a placés sous le soleil, s’est établie aussi au-dessous du soleil pour l’amour de nous. Oui, je le répète, elle s’est, à cause de nous, placée dans un rang inférieur à celui du soleil qu’elle avait fait
1. Jean, VII, 37. — 2. Ps. XXIV, 8, 10.
sortir du néant. Que le nuage charnel derrière lequel elle s’est cachée ne t’inspire aucune pensée de mépris pour elle : elle s’est ainsi cachée, non pour obscurcir ses rayons, mais pour en tempérer l’éclat.
5. Cette inaltérable lumière, cette lumière de la sagesse, cachée derrière le nuage de la chair, s’adresse aux hommes et leur dit : «Je suis la lumière du monde : celui qui me suit ne marchera point dans les ténèbres, mais il aura la lumière de vie». Vois comme il détourne tes regards de tout objet matériel, pour te rappeler à la considération d’un objet de nature toute différente. Il ne lui suffit pas de dire: « Celui qui me suit ne marchera point dans les ténèbres, mais il aura la lumière »; car il ajoute: «de la vie », comme l’avait dit auparavant le Psalmiste: « Parce qu’en vous est la source de la vie ». Voyez donc, mes frères, quel accord se trouve entre les paroles du Sauveur et celles du Roi-Prophète: dans le psaume, il est aussi bien question de la lumière que de la source de vie, et Jésus-Christ nous parle de la lumière de vie. Dans notre manière d’apprécier les objets matériels, autre est la lumière, autre est une source : se servir de celle-ci, c’est le propre de notre gorge; nos yeux doivent percevoir celle-là: quand nous avons soif, nous nous mettons en quête d’une fontaine; nous nous munissons d’une lumière, si nous nous trouvons dans les ténèbres; et si nous éprouvons, pendant la nuit, le besoin de boire, nous allumons un flambeau pour nous diriger plus sûrement vers la fontaine. Lorsqu’il s’agit de Dieu, il n’en est pas ainsi: en lui, ce qui est lumière, est en même temps source vive ; celui dont les rayons brillent à tes yeux pour t’éclairer, t’offre aussi d’abondantes eaux pour te rafraîchir.