pour une méditation de Carême : Ambroise de Milan
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Quelques textes pour une méditation de Carême
Ambroise de Milan
N’ayons pas peur si nous avons gaspillé en plaisirs terrestres le patrimoine de dignité spirituelle que nous avons reçu. Le Père a remis au Fils le trésor qu’il avait. la fortune de la foi ne s’épuise jamais. Aurait-on tout donné, on possède tout, n’ayant pas perdu ce que l’on a donné. Ne redoute pas que le Père refuse de t’accueillir : car « Dieu ne prend pas plaisir à la perte des vivants » (Sag., I, 13). Il viendra en courant au-devant de toi, il se penchera sur toi — car « le Seigneur redresse ceux qui sont brisés » (Ps. 145, 8) — il te donnera le baiser, qui est gage de tendresse et d’amour, il te fera donner robe, anneau, chaussures. Tu en es encore à craindre un affront, il te rend ta dignité. Tu as peur du châtiment, il te donne un baiser. Tu as peur des reproches, il te prépare un festin.
Mais il est temps d’expliquer la parabole même.
Un homme avait deux fils ; et le plus jeune lui dit : donne-moi ma part de fortune. Vous voyez que le patrimoine divin se donne à ceux qui demandent. Et ne croyez pas que le père soit en faute pour avoir donné au plus jeune : il n’y a pas de bas-âge pour le Royaume de Dieu, et la foi ne sent pas le poids des ans. En tout cas celui qui a demandé s’est jugé capable ; et plût à Dieu qu’il ne se fût pas éloigné de son père ! il n’aurait pas éprouvé les inconvénients de son âge. Mais une fois parti à l’étranger — c’est donc justice que l’on gaspille son patrimoine quand on s’est éloigné de l’Eglise — après, dit-il, qu’ayant quitté la maison paternelle il fut parti à l’étranger, dans un pays lointain… . Qu’y a-t-il de plus éloigné que de se quitter soi-même, que d’être séparé non par les espaces, mais par les mœurs, de différer par les goûts, non par les pays, et les excès du monde interposant leurs flots, d’être distant par la conduite ? Car quiconque se sépare du Christ s’exile de la patrie, est citoyen du monde. Mais nous autres « nous ne sommes pas étrangers et de passage, mais nous sommes citoyens du sanctuaire, et de la maison de Dieu » (Éphés., II, 19) ; car « éloignés que nous étions, nous avons été rapprochés dans le sang du Christ » (Ib., 13). Ne soyons pas malveillants envers ceux qui reviennent du pays lointain, puisque nous avons été, nous aussi, en pays lointain, comme l’enseigne Isaïe : « Pour ceux qui résidaient au pays de l’ombre mortelle, la lumière s’est levée » (Is., IX, 2). Le pays lointain est donc celui de l’ombre mortelle ; mais nous, qui avons pour souffle de notre visage le Seigneur Christ (Lam., IV, 20), nous vivons à l’ombre du Christ ; et c’est pourquoi l’Eglise dit : « J’ai désiré son ombre, et je m’y suis assise » (Cant., II, 3). — Donc celui-là, vivant dans la débauche, a gaspillé tous les ornements de sa nature : alors vous qui avez reçu l’image de Dieu, qui portez sa ressemblance, gardez-vous de la détruire par une difformité déraisonnable. Vous êtes l’ouvrage de Dieu ; ne dites pas au bois : « Mon père, c’est toi » (Jér., II, 27) ; ne prenez pas la ressemblance du bois, puisqu’il est écrit : « Que ceux qui font les (idoles) leur deviennent semblables » (Ps. 113, 2, 8) !
Il survint une famine en cette contrée : famine non des aliments, mais des bonnes œuvres et des vertus. Est-il jeûnes plus lamentables ? En effet, qui s’écarte de la parole de Dieu est affamé, puisque « l’on ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole de Dieu » (Lc, IV,4). S’écartant de la source on a soif, s’écartant du trésor on est pauvre, s’écartant de la sagesse on est stupide, s’écartant de la vertu on se détruit. Il était donc juste que le fils vînt à manquer, ayant délaissé les trésors de la sagesse et de la science de Dieu (Col., II, 3) et la profondeur des richesses célestes. Il en vint donc à manquer et à sentir la faim, parce que rien ne suffit à la volupté prodigue. On éprouve toujours la faim quand on ne sait se combler des aliments éternels. Il alla donc s’attacher à un des citoyens : celui qui s’attache est pris au filet, et il semble que ce citoyen soit le prince de ce monde. Bref il est envoyé à sa ferme — celle dont l’acheteur s’excuse du Royaume (Lc, XIV, 18 et ci-dessus) — et il fait paître les porcs : ceux-là sans doute dans lesquels le diable demande à entrer, ceux qu’il précipite dans la mer de ce monde (Matth., VIII, 32), ceux qui vivent dans l’ordure et la puanteur. Et il souhaitait, est-il dit, se garnir le ventre de glands : car les débauchés n’ont d’autre souci que de se garnir le ventre, leur ventre étant leur dieu (Phil., III, 19). Et quelle nourriture convient mieux à de tels hommes que celle qui est, comme le gland, creuse au-dedans, molle au-dehors, faite non pour alimenter, mais pour gaver le corps, plus pesante qu’utile ? Il en est qui voient dans les porcs les troupes des démons, dans les glands la chétive vertu des hommes vains et le verbiage de leurs discours qui ne peuvent être d’aucun profit : par une vaine séduction de philosophie et par le tintamarre sonore de leur faconde ils font montre de plus de brillant que d’utilité quelconque.
Mais de tels agréments ne sauraient durer : aussi « personne ne les lui donnait » : c’est qu’il était dans la région où il n’y a personne, parce qu’elle ne contient pas ceux qui sont. Car « toutes les nations sont comptées pour rien » (Is., XL, 17) ; mais il n’y a que Dieu pour « rendre la vie aux morts et appeler ce qui n’est pas comme ce qui est » (Rom., IV, 17). Et revenant à lui, il dit : que de pains ont en abondance les mercenaires de mon père ! Il est bien vrai qu’il revient à lui, s’étant quitté : car revenir au Seigneur, c’est se retrouver, et qui s’éloigne du Christ se renie. Quant aux mercenaires, qui sont-ils ? N’est-ce pas ceux qui servent pour le salaire, ceux d’Israël ? Ils ne poursuivent pas ce qui est bien par zèle pour la droiture ; ils sont attirés non par le charme de la vertu, mais par la recherche de leur profit. Mais le fils, qui a dans le cœur le gage du Saint-Esprit (II Cor., I, 22), ne recherche pas les profits mesquins d’un salaire de ce monde, possédant son droit d’héritier. Il existe aussi des mercenaires qui sont engagés pour la vigne. C’est un bon mercenaire que Pierre — Jean, Jacques — à qui on dit : « Venez, je ferai de vous des pêcheurs d’hommes » (Matth., IV, 19). Ceux-là ont en abondance non les glands, mais les pains : aussi bien ont-ils rempli douze corbeilles de morceaux. O Seigneur Jésus, si vous nous ôtiez les glands et nous donniez les pains ! car vous êtes l’économe dans la maison du Père ; oh ! si vous daigniez nous engager comme mercenaires, même si nous venons sur le tard ! car vous engagez même à la onzième heure, et vous daignez payer le même salaire : même salaire de vie, non de gloire ; car ce n’est pas à tous qu’est réservée la couronne de justice, mais à celui qui peut dire : « J’ai combattu le bon combat » (II Tim., IV, 7 ssq.). Je n’ai pas cru devoir me taire sur ce point, parce que certains, je le sais, disent qu’ils réservent jusqu’à leur mort la grâce du baptême ou la pénitence. D’abord comment savez-vous si c’est la nuit prochaine qu’on vous demandera votre âme (Lc, XII, 20) ? Et puis, pourquoi penser que n’ayant rien fait tout vous sera donné ? Admettons qu’il y ait une seule grâce, un seul salaire : autre chose est le prix de la victoire, celui auquel tendait, non sans raison, Paul qui, après le salaire de la grâce, poursuivait encore le prix pour le gagner (Phil., III, 14), sachant que si le salaire de grâce est égal, la palme n’appartient qu’au petit nombre.
(Traité sur l’Evangile de St Luc, PL 15, col. 1755 sq)
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