Archive pour le 25 février, 2008
Frédéric Manns : PAUL, FONDATEUR DU CHRISTIANISME ?
25 février, 2008
du site:
http://198.62.75.5/www1/ofm/sbf/dialogue/paul.html
PAUL, FONDATEUR DU CHRISTIANISME ?
Frédéric Manns
Décidément l’idée lancée par Joseph Klausner en 1939 dans son ouvrage De Jésus à Paul fait son chemin. C’est à Paul de Tarse, juif de la Diaspora, que le christianisme devrait d’être devenu une religion qui a conquis le monde. Sans lui le christianisme serait resté une secte juive. Paul aurait été le premier à affirmer qu’on peut suivre le Messie, sans se soumettre à toutes les pratiques juives. En employant les mêmes mots, mais en leur donnant un sens différent, judaïsme et christianisme se sont dès le départ mal compris.
Paul n’a pas connu Jésus de son vivant. Il a même persécuté les adeptes du Crucifié. Il ne s’est converti qu’après avoir eu une vision du Christ ressuscité sur le chemin de Damas. Ses épîtres écrites avant les Evangiles rendent compte de la querelle qui oppose, depuis la crucifixion, les juifs qui suivent Jésus et leurs coreligionnaires qui se rattachent aux différents courants du judaïsme.
Un des textes fondateurs de Paul est à l’origine de vingt siècles de débats : «Abraham eut deux fils, un de la femme esclave et un de la femme libre, mais le fils de la servante était né selon la chair, tandis que le fils de la femme libre l’était par l’effet de la promesse. Il y a là une allégorie: ces femmes sont, en effet, les deux alliances. [...]Agar correspond à la Jérusalem actuelle puisqu’elle est esclave avec ses enfants. Mais la Jérusalem d’en haut est libre, et c’est elle notre mère» (Galates 4, 21-26).
Tout est dit : la femme esclave, c’est Israël, la Jérusalem terrestre, l’ancienne alliance entre Dieu et un peuple élu selon la chair. La femme libre est le «Nouvel Israël», dont la capitale est au ciel et dont le peuple est engendré selon l’esprit. Ce que la tradition postérieure va résumer ainsi : aux juifs la chair, aux chrétiens l’esprit.
La théologie chrétienne apparaît d’emblée aux juifs comme une captation d’héritage, à la fois dépossession, relégation et exclusion. Pour ne pas avoir reconnu le Messie, les juifs s’écarteraient eux-mêmes du projet de Dieu, jusqu’au jour où ils l’accepteraient. Du reste, la portée de ses propos n’échappe pas à Paul, qui persiste : «Je demande donc: est-ce pour une chute définitive qu’ils [les juifs] ont trébuché ? Certes non ! Mais grâce à leur faute, les païens ont accédé au salut, pour exciter la jalousie d’Israël» (Romains 11,11). «Exciter la jalousie d’Israël», Paul va y parvenir mieux que prévu. Il proclame qu’ «il n’y a plus ni juif ni Grec» (Galates 3, 28), et ajoute : «Si vous vous faites circoncire, le Christ ne vous servira plus de rien. Et j’atteste encore une fois à tout homme qui se fait circoncire qu’il est tenu de pratiquer la Loi intégralement. Vous avez rompu avec le Christ si vous placez votre justice dans la Loi ; vous êtes déchu de la grâce» (Galates 5, 2-3). La grâce : autre sujet de discorde. Pour Paul, c’est la foi – don de Dieu – qui sauve l’homme et non ses œuvres ; c’est la sincérité de la croyance et non pas l’exemplarité de la pratique. Autrement dit, le respect de la Loi, pratiqué par les juifs, est pour l’apôtre insuffisant, voire inutile. Entre les deux religions, cette divergence-là est peut-être la plus grande.
Reprenons les différents éléments du débat. Paul a été marqué par son apparition du Ressuscité. Sa conviction profonde est que le Christ est vivant et continue à vivre dans la communauté des croyants. Pour lui, les deux femmes d’Abraham [1] symbolisent les deux alliances. Paul s’inspire en fait d’Ezéchiel 23,2 pour qui les deux femmes symbolisaient la Judée et la Samarie. Agar représente l’économie juive et la Jérusalem d’ici-bas. Quant à Sara, elle est le type [2] de la Jérusalem céleste et la mère des croyants.
La typologie que Paul exploite n’est pas une invention chrétienne. Elle est un procédé juif de lecture biblique, comme L. Ginzberg [3] l’a rappelé. Paul emploie le mot « allégorie ». Or l’allégorie se subdivise en interprétation typologique et en interprétation philosophique et mystique. Non seulement les rabbins tannaites connaissaient les dorshei reshumot [4], mais le livre de la Sagesse donne déjà une interprétation symbolique des plaies d’Egypte. Le serpent élevé par Moïse est un symbole de salut et la manne symbolise la parole de Dieu [5]. A Qumran le puits découvert dans le désert est le symbole de la Torah [6]. Bien plus, dans la Bible elle-même, en Osée 12,5, la lutte de Jacob avec l’ange devient l’objet d’une relecture : elle symbolise la prière.
Le judaïsme avait interprété également le conflit entre Isaac et Ismaël comme un combat spirituel. Le Targum Néofiti et Jonathan Gen 21,9 évoquent une rivalité spirituelle entre les deux. Sara vit qu’Ismaël adorait une idole [7]. Telle est aussi l’interprétation de Sifre Dt 6,4 et du midrash Genèse Rabba 53,11. Paul s’inscrit dans cette tradition juive. L’enfant de la chair persécutait l’enfant de l’esprit. Avec le problème des judaïsants Paul a sous les yeux un conflit entre chair et esprit.
Si Paul a choisi Agar comme symbole de l’ancienne alliance, c’est qu’il est convaincu que, comme Agar était esclave, les judaïsants demeurent esclaves de la Tora donnée au Sinaï [8]. Maintenant la valeur des 613 commandements, ils tombent sous le joug pesant de la Tora qui les asservit. Chassée de la maison, Agar s’enfuit vers le désert du Sud selon Gen 16,7. La version liturgique du Targum mentionne Hegra comme l’endroit où Agar découvrit le puits et rencontra l’ange. Gen 21,21 affirme qu’Ismaël s’établit dans le désert de Pharan. Or le Talmud, au traité Sab 89a identifie Pharan, à la suite de Dt 33,3, avec le Sinaï. Paul est en pleine harmonie avec la tradition juive.
La théologie de la grâce mérite un approfondissement. En Ga 3, 24-25 Paul reprend une pensée rabbinique : la loi a été notre surveillant, en attendant le Christ afin que nous soyons justifiés par la foi. Mais après la venue de la foi, nous ne sommes plus soumis à ce surveillant. En grec c’est le mot de pédagogue qui est employé. Or dans le livre des Proverbes 8,30 il est question de la sagesse qui se définit comme « enfant chéri ». Ce terme a été compris au sens de pédagogue. La Loi était donc auprès de Dieu comme sagesse et comme un pédagogue. Son but comme maître était de conduire les hommes à la foi qui donnerait la justice. « Avant la venue de la foi nous étions gardés en captivité sous la Loi, en vue de la foi qui devait être révélée» (Ga 3,23). Cette mission de la Loi a été accomplie par le Christ. L’homme n’a donc plus besoin d’un maître. Il est justifié par la foi, sans la loi. Voilà le résultat de la conversion dramatique de Paul.
Le renversement des valeurs pharisiennes se traduit curieusement chez Paul par un rapprochement de la théologie essénienne. Les Esséniens étaient une secte juive indépendante quant à leur idéologie et à leur organisation. Ils prétendaient être le véritable Israël, les élus de Dieu, et ils s’appelaient les fils de la lumière. Ils pensaient que leur élection était un effet de la grâce de Dieu et qu’elle remontait à la création du monde. « Et moi je sais que ce n’est pas à l’homme qu’appartiennent les oeuvres de justice, ni au fils de l’homme la perfection de la voie : c’est au Dieu très haut qu’appartiennent toutes les oeuvres de justice, tandis que la voie de l’homme n’est pas ferme, si ce n’est par l’Esprit que Dieu a créé pour lui en vue de rendre parfaite une voie pour les fils des hommes, afin que toutes ses oeuvres connaissent la force de sa puissance et l’immensité de sa miséricorde envers tous les fils de sa bienveillance » (1QH 4,30-32). Privé de la grâce de Dieu l’homme est esclave du péché. La nature pécheresse de l’homme, les esséniens la désignent du terme de « chair ».
La communauté des Esséniens se définit comme ville sainte, maison et temple de Dieu : «C’est la maison de sainteté pour Israël et la maison de sainteté pour Aaron; ils sont témoins de vérité en vue du jugement et les élus de la bienveillance chargés d’expier pour la terre et de faire les sanctions sur les impies. C’est le mur éprouvé, la pierre d’angle précieuse; ses fondements ne trembleront pas ni ne s’enfuiront de leur place. C’est la demeure de suprême sainteté pour Aaron dans la connaissance en vue de l’alliance du droit et pour faire des offrandes d’agréable odeur et la maison de perfection et de vérité en Israël pour établir l’alliance selon les préceptes éternels » (1QS 8,5-10).
Cet enseignement essénien est repris dans la lettre de Paul aux Romains 9,30-32 où il cite les textes de Is 28,16 et Osée 2,25 exploités par Qumran. Rom 9,6-23 est l’expression classique de la théologie de la double prédestination à la perdition et à la gloire. Les Esséniens auraient volontiers signés ces versets de Paul selon lesquels tous ceux qui sont de la postérité d’Israël ne sont pas Israël. Ils ont légué à Paul l’image de la communauté comme maison spirituelle, comme temple de Dieu et comme cité de Dieu. Paul a assimilé la conception essénienne selon laquelle la communauté et ses membres sont élus par un décret intemporel de la grâce de Dieu. Dans sa théologie de la croix il reprend l’enseignement de l’élection par grâce divine. La grâce de Dieu envers l’homme s’est accomplie dans le sacrifice du Christ par lequel les élus sont sauvés. Même la chute du premier homme n’est qu’une condition pour que la grâce soit manifestée en un seul homme, le Christ (Rom 5,15). Selon les rabbins l’humanité était souillée par la chute d’Adam jusqu’à ce que la loi vînt libérer Israël. Selon l’interprétation de Paul la mort gouvernait l’homme et le péché n’était pas compté. Mais depuis Moïse la loi est venue pour que la faute soit complète. Mais là où le péché avait abondé, la grâce surabondait par la mort du seul Jésus-Christ. Pour les rabbins le don de la loi entraînait la libération du péché originel, alors que pour Paul le péché est devenu par la révélation de la loi, intolérable. La puissance rédemptrice de la croix est au coeur de l’évangile de Paul. Par la doctrine essénienne de la grâce élective de Dieu, Paul peut justifier sa théorie selon laquelle la croix est un simple acte de grâce qui n’a pas dû aux mérites de l’homme, puisque le monde entier est sous l’emprise du péché et que c’est Dieu qui élit par sa grâce. La croix est donc le seul chemin du salut.
La conséquence en est que l’homme n’est justifié que par la foi. C’est la réponse de l’élu à la grâce de Dieu. Paul a ainsi transformé la structure de la doctrine essénienne de sorte qu’il lui a été possible d’affronter l’interprétation que le judaïsme donnait de la loi. La foi est rattachée au don de l’Esprit. Les actions exécutées en fonction de la loi sont inscrites dans le domaine de la chair. Pour Paul les bonnes actions sont liées à la chair dans une opposition entre la chair pécheresse et l’Esprit qui est un don de la grâce, hors de tout mérite. Pour les Esséniens l’homme ne peut être justifié par lui-même; il a besoin de Dieu. Les Esséniens reprochaient aux Pharisiens d’être des interprètes des «choses faciles». Ils avaient choisi la voie facile de la justification par les oeuvres de la loi. Or la Loi ne peut pas donner l’Esprit (Ga 3,1-5).
Paul s’est converti à la foi en Jésus deux ans après la crucifixion. Il n’a connu qu’indirectement les récits concernant le ministère de Jésus qui circulaient avant de devenir les évangiles. Il a dû penser l’événement-Jésus et particulièrement l’événement du salut représenté dans la mort et la résurrection de Jésus. Il lui fallait dire comment et pourquoi le salut est manifesté en Jésus. Paul se trouve en situation de rupture avec son monde : pour annoncer Jésus il faut comprendre et interpréter cette histoire récente comme un événement salvateur qui s’inscrit dans l’histoire des relations entre Dieu et son peuple. Il ne peut pas se contenter de répéter que le Royaume de Dieu est proche; il doit mettre au centre de son message que Dieu est intervenu en Jésus par pure grâce.
Ceux qui affirment que Paul est le fondateur du christianisme oublient que dans les Evangiles Jésus a fait une révolution concernant les lois de la pureté alimentaire. Dans l’Evangile de Marc, qui passe pour être le plus ancien, cet enseignement sur le pur et l’impur est rapporté: «Il n’est rien d’extérieur à l’homme qui pénétrant en lui, puisse le rendre impur, mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui le rend impur ». Dans les Actes des Apôtres Pierre qui se rend à Césarée chez le centurion romain reçoit l’ordre de manger des animaux impurs. Dieu venait de lui montrer qu’il ne faut appeler aucun homme souillé ou impur. L’épisode est suivi de la Pentecôte des païens,l’Esprit descendant sur les invités.
Bien avant Paul, Jésus et Pierre ont obligé les Juifs à repenser certaines idées reçues. Bien que les Evangiles relisent ces prises de position à la lumière de Pâque, il est impossible d’éliminer tout noyau historique de leur présentation. Impossible de dire que le christianisme est né dans un milieu païen et qu’il n’a rien en commun avec le judaïsme observant de Jésus. Que Klausner ait voulu faire de Paul le fondateur du christianisme, on le comprend, puisqu’il écrivait avant la découverte de Qumran. Mais depuis que les textes de la Mer Morte ont été publiés, il paraît de plus en plus difficile de maintenir cette position.
Autre élément de réflexion: le thème de l’humilité de Dieu qui « demeure avec le contrit et l’humble » (Is 57,15) est porté à son accomplissement dans l’enseignement de Jésus qui proclame bienheureux les pauvres. Pour Paul ce thème culmine dans l’idée de kénose, thème selon lequel Dieu se dépouille par amour de ses attributs divins pour se faire homme. Paul n’a pas kidnappé la Bible pour la soumettre à la culture hellénistique. La Bible est le livre de l’alliance de Dieu avec les hommes. Dieu parle avec Noé avant de parler à Abraham. Que Paul ait abandonné l’imposition de la circoncision aux convertis, c’est clair. Mais ce fait est à resituer dans le contexte culturel du monde païen qui assimilait la circoncision à la castration.
Jésus a affirmé avoir été envoyé aux brebis perdues de la maison d’Israël, mais cela ne l’a pas empêché de guérir la fille de la Cananéenne. Tout juif observant qu’il fût, il n’a pas hésité à sortir des limites territoriales d’Israël pour se rendre dans la Décapole. Pour le juif il était essentiel d’ériger un mur de protection devant la Tora pour maintenir sa propre identité. Pour Jésus et pour Paul, c’est dans l’ouverture, un excès d’ouverture, que se trouve l’identité du juif appelé à témoigner devant les hommes d’un Dieu d’alliance et de communion. Le chemin de la sainteté n’est pas celui des restrictions, il est celui qui porte à la liberté, liberté de Jésus devant les Pharisiens, liberté de Paul devant les judaïsants. C’est bien Jésus le juif qui demeure le fondateur du christianisme qu’il définit d’ailleurs comme le rassemblement de l’Israël eschatologique par le choix des douze. Le génie de Paul est d’avoir compris que l’inculturation était une nécessité vitale.
[1] K. Berger, «Abraham in den paulinischen Hauptbriefen», MThZ 17 (1966) 47-89. [texte]
[2] Il est plus juste de parler de typologie que d’allégorie. Eusèbe, Vita Const 3,33 présente le Saint-Sépulcre comme la nouvelle Jérusalem annoncée par prophètes. [texte]
[3] On Jewish Law and Lore, New York 1977, 132. Voir aussi I. Christiansen, Die Tecknik der allegorische Auslegungswissenschaft bei Philo von Alexandrien, Tübingen 1969. Paul lui-même exploite l’allégorie en 1 Co 10,1-13 et en 2 Co 3,14-18. [texte]
[4] Ainsi en Mekilta de R. Ismaël, Ex 15,22. «Ils ne trouvèrent pas d’eau» est interprété : «Ils ne trouvèrent pas la Torah», comme en Is 55,1. Dieu montra à Moïse un arbre signifie que Dieu enseigna la Torah (yarah) qui est appelé un arbre de vie en Pr 3,18. [texte]
[5] Sag 16,6.26. [texte]
[6] CD 6,2-10. [texte]
[7] Cf. Targum Ex 32,6 (Néofiti et Jonathan). Josèphe, Ant 1,215 et Jérôme, Quaestiones 24 connaissent cette tradition : quod idola ludo fecerit. Voir M. McNamara, The New Testament and the Palestinian Targum to the Pentateuch, Rome 1966,164-168. Par contre, Tosephta Sota 6,6 donne l’interprétation de R. Ismaël du verbe mshq : le verbe signifierait ‘verser le sang’. Cf. 2 Sam 2,14. [texte]
[8] On trouve des échos de cette problématique en Jn 8,33. [texte]
Et la compassion ? Qu’en est-il ?
25 février, 2008du site:
http://www.culture-et-foi.com/texteliberateur/metz_compassion.htm
Et la compassion ? Qu’en est-il ?
Regarde le monde et tu comprendras !
Johann-Baptist Metz
La souffrance du monde est bien trop facilement relativisée à l’aide de la doctrine chrétienne de la Rédemption alors que Jésus est le témoin d’une tout autre vision biblique…
Les traditions bibliques concernant le discours sur Dieu et les épisodes historiques qui constituent la vie de Jésus nous renvoient à un modèle de globalisation assumée en responsabilité, auquel nul ne peut échapper. Toutefois l’universalisme de cette responsabilité est bien entendu orienté ici non pas sur le caractère universel du péché des hommes, mais sur celui de la souffrance répandue dans le monde. Le regard de Jésus ne s’est pas porté en premier sur le péché des autres, mais sur leur souffrance. Le péché était à ses yeux, ne l’oublions pas, le refus de participer à la souffrance des autres, le refus de jeter les yeux au-delà de l’horizon ténébreux d’une histoire personnelle marquée par la souffrance, il était pour lui, comme saint Augustin l’a nommé « un repli du coeur sur lui-même », un abandon au narcissisme secret qui habite toute créature. Et c’est ainsi qu’a débuté le christianisme comme communauté du souvenir qui inscrit ses récits dans l’imitation de ce Jésus historique dont le regard se porte en premier sur la souffrance d’autrui. .
C’est cette sensibilité élémentaire à la souffrance de l’autre qui caractérise la manière nouvelle dont Jésus a vécu. Cette approche de la souffrance n’a rien à voir avec le dolorisme, avec un culte morose de cette souffrance. Elle est bien plutôt, dans le refus de tout sentimentalisme, l’expression de cet amour auquel pensait Jésus lorsque – se situant du reste par là pleinement dans la mouvance héritée d’Israël – il parlait de l’unité indissociable de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain : l’attachement de Dieu à la souffrance est celui de l’empathie, il est, dans l’acception « politique » du terme, une mystique de la compassion. Voilà à quoi est constamment confronté un christianisme quand il retourne à ses racines. Quiconque reconnaît « Dieu » au sens où l’entend Jésus est prêt à en payer le prix au préjudice de son intérêt personnel qui s’impose dans l’immédiat et auquel le malheur de l’autre porte atteinte. Voilà ce que suggère la parabole du « bon Samaritain » par laquelle les récits concernant Jésus se sont inscrits dans la mémoire de l’humanité.Et si je souligne avec une telle insistance cette empathie qui d
écoule de l’attachement de Dieu à la souffrance, c’est à mon avis parce que le christianisme a rencontré très tôt déjà de grosses difficultés face à l’attention élémentaire réclamée par cette souffrance, qui est le propre de son message et qui est abordée ici. La question, lancinante dans les traditions bibliques, que pose la justice en faveur des innocents qui souffrent a été en effet, à la naissance d’une formulation théologique du christianisme, bien trop rapidement transformée dans son fond et dans ses formulations pour devenir celle qui concerne la Rédemption des coupables. A cette dernière question s’est offerte la réponse toute trouvée de l’action rédemptrice du Christ. La doctrine chrétienne de la Rédemption a bien trop radicalisé la question de la faute et relativisé celle de la souffrance. De la sorte la théologie a cru ôter au christianisme l’écharde que lui posait la question de la théodicée. Le problème de la souffrance a été intégré dans l’argumentation propre à la doctrine de la Rédemption. Le christianisme qui était une religion d’abord sensible à la souffrance, s’est transformé pour devenir une religion prioritairement attentive au péché. Ce n’est plus sur la souffrance des créatures qu’a porté le regard, mais sur leur péché. Mais la sensibilité qui s’attache en priorité à la souffrance de l’étranger ne s’en est-elle pas trouvée ainsi émoussée et la vision biblique de la grandeur de Dieu dans sa Justice qui, d’après Jésus, devait porter sur toute forme de faim et de soif n’en a-t-elle pas été assombrie ?
Bien sûr : mettre ainsi l’accent sur la sensibilité à la souffrance, telle qu’elle est propre au message chrétien et à son discours sur Dieu, ce n’est pas vouloir remettre en question l’importance du péché et de la faute, de l’expiation et du rachat ( et surtout pas face à cette hystérie qui prône aujourd’hui partout l’innocence dans la société) Et ce sont avant tout nous-mêmes, les chrétiens, qui sommes ici confrontés à cette question – au sens où je l’ai moi-même posée explicitement dans le contexte d’un christianisme après Auschwitz. Est-ce que nous n’avons pas, au fil du temps, peut-être trop exclusivement interprété et vécu le christianisme comme une religion sensible au péché et, par voie de conséquence trop peu à la souffrance ? Est-ce que, dans l’abîme insondable des souffrances qui grèvent l’histoire humaine, nous n’avons pas relégué le cri des hommes peut-être trop rapidement et trop à la légère hors de l’annonce chrétienne de la Passion ? N’avons-nous pas classé trop vite dans le domaine qui relève « strictement du séculier » ces autres hommes qui souffrent ? Et ne sommes-nous pas ainsi devenus sourds à la prophétie dont le message nous dit que c’est justement en partant de cette histoire «séculière » de la souffrance que le Fils de l’Homme vient à nous et juge du sérieux de notre engagement à sa suite ? « Alors, ils furent saisis d’étonnement et commencèrent à lui demander », lisons-nous dans la Parabole de Jésus sur le Jugement dernier (Mat., XXV). « ‘Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir souffrir ?’ [ ... ] Et il leur répondit : ‘En vérité je vous le dis : dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.’ ». Voilà quel est bel et bien ce rapport, cette union scellée mystiquement entre la Passion du Christ et les passions souffertes par les hommes ! Or il n’y a dans la langue allemande aucun terme qui exprime sans
équivoque cette sensibilité qui s’attache dans l’immédiat à la souffrance – et qui évoque tout autant le premier regard de Jésus porté sur elle. C’est à peine si le mot allemand « Mitleid » (n.d.tr.: traduit le plus souvent en français par « pitié ») peut être utilisé sans mauvaise conscience. Ce terme a en tous cas une connotation trop affective, trop peu en prise sur la pratique, sur le domaine du « politique ». Il encourt le soupçon de vider les réalités sociales de leur aspect politique en les soumettant à une tendance moralisatrice, de masquer par le sentimentalisme les injustices régnantes. Et c’est pourquoi je risque d’utiliser le mot étranger « compassion » pour résumer le projet universel du christianisme à l’ère de la globalisation comme du pluralisme des religions et des cultures qui la constituent. Et par cette compassion j’entends non pas une vague « participation affective » dictée par en haut ou de l’extérieur, mais une empathie, cet accueil de la souffrance de l’autre, qui implique que l’on prenne part à sa situation et que l’on s’y soumette par devoir, dans l’acceptation consciente et l’engagement concret face à cette souffrance étrangère. Cette compassion exige au préalable que l’on soit prêt à modifier son regard, pour qu’il devienne celui auquel ne cessent de nous inviter les traditions bibliques, spécialement aussi les épisodes historiques concernant Jésus, qui nous appellent à nous placer nous-mêmes dans la perspective et à adopter les critères de jugement de ceux qui souffrent et qui sont menacés. Et à supporter ce regard au moins un peu plus longtemps que nous le permettent les réflexes spontanés que nous impose le souci de nous affirmer nous-mêmes. Cette compassion est soumise à l’impératif catégorique formulé par Hans Jonas : « Regarde le monde et tu comprendras ! ».
Dès que cette compassion intervient, c’est la « mort du Moi » évoquée dans le Nouveau Testament qui s’instaure, ce Moi, ses désirs et son intérêt présents dans l’immédiat commencent à être relativisés – ils sont maintenant disposés à la « rupture » imposée par la souffrance de l’étranger. C’est alors que commence ce que l’on nomme d’un terme aussi exigeant qu’ insécurisant la « mystique ».Cette mystique de la compassion est du reste à mes yeux l’approche typiquement biblique de ce qu’est en soi la mystique, c’est-à-dire pleinement celle qui souligne le caractère relatif du Moi, l’amène à « s’abandonner ». Mais non pas à se livrer, à disparaître dans le vide informel d’un univers impersonnel, mais à pénétrer toujours plus profondément et à grandir dans une « alliance », une alliance mystique entre Dieu et les hommes. À la différence des religions d’Extrême-Orient, le Moi n’est pas mystiquement dissout dans cette alliance, mais il est sollicité moralement et dans le domaine du « politique ». Mais il l’est dans une mystique de la compassion: c’est la souffrance de Dieu qui est vécue et confirmée comme souffrance partagée, comme mystique du regard lucide sur le monde. Et je me répète : un christianisme qui retourne à ses racines est toujours confronté à elle; cette mystique de la compassion n’est pas une affaire d’ésotérisme, elle est offerte à tous, elle est exigée de chacun. Et elle concerne non seulement la sphère privée, mais aussi la vie publique dans l’ordre du « politique ».Cette mystique de la compassion est une mystique qui, par la rencontre de l’
étranger qui souffre, se trouve « reliée à la terre »; en même temps elle n’est souvent pas autre chose que l’expérience assumée de « notre souffrance imputée par nous à l’attitude de Dieu ». Non pas pour coiffer de la sorte d’une expérience religieuse les expériences douloureuses du quotidien dont le caractère « séculier » est souvent terrible, non pas pour couronner l’histoire du monde, pleine de souffrances connues de tous, par une nouvelle souffrance religieuse vécue en privé. Mais pour rassembler dans la mystique de cette souffrance que nous imputons à l’attitude de Dieu toutes les expériences abominables de nos souffrances, pour les arracher à l’abîme du désespoir et de l’oubli, et pour nous encourager à adopter de nouvelles pratiques. Ces nouvelles pratiques qui incluent intégralement la faillibilité et le besoin de conversion propres à ceux qui sont dans l’action – et non pas pour insensibiliser aussitôt ce nouvel engagement publique par un romantisme religieux, loin de l’action déployée dans l’ordre du « politique », mais pour arracher à cet engagement son fondement de haine et de pure violence. Voilà ce qui me semble particulièrement important dans une situation où tous les conflits politiques de grande envergure menacent de déboucher sur des affrontements entre les cultures et les religions.
De même que la curiosité peut être prise au niveau de la pensée théorique comme la dot caractéristique léguée dans l’héritage de la Grèce, et que les conceptions républicaines de l’Etat et du Droit peuvent être considérées comme celle de Rome, de même on peut, à mon avis, voir la spécificité d’une dot dans celle que nous accorde la Bible pour l’Europe à l’époque de la globalisation et de son pluralisme des univers culturels et religieux. C’est dans cet esprit de compassion que se manifeste le christianisme par la force qui exerce son impact sur le monde et le pénètre. Il envoie les chrétiens au front des conflits sociaux et politiques dans l’univers actuel. C’est dans cet esprit que se trouve la racine qui permet de résister à un christianisme privatisé par lui-même dans le contexte pluraliste qui est le nôtre. Il définit la mystique de la compassion comme une mystique du politique. Mais, bien s
ûr, cette exigence n’apparaît-elle pas aujourd’hui comme une pastorale purement romantique ? Il se peut que cet esprit inspiré par la compassion ait pu éventuellement être vécu jadis, à des époques révolues, dans des univers marqués autrefois par la proximité, dans des sociétés urbaines et rurales archaïques, où l’on se trouvait à portée de vue des autres. Mais aujourd’hui : comment cet esprit fait-il face aux tempêtes de l’anonymat qui exclut le contact visuel et qui est le propre de la globalisation planétaire ? Face à de telles questions nous ne devrions cependant pas l’oublier : ce ne sont pas seulement la souffrance et le malheur qui habitent ce monde, le christianisme est lui aussi présent dans notre univers qui se soude, à notre porte et dans les lointains les plus reculés, ici et là, tantôt dans des minorités, tantôt en proportions plus fortes. Et ce n’est pas en vain si l’Eglise passe dans notre monde pour la plus ancienne des institutions aux dimensions globales. Elle est présente partout, à portée de voix et de vue, et n’a au fond pas besoin de recourir à une éthique abstraite, désincarnée et qui n’engage à rien.
Dans les tentatives actuelles (tout à fait méritoires) qui cherchent à formuler une éthique globale, il est souvent question d’un universalisme moral qui peut être établi sur la base d’un consensus défini comme minimum ou comme fondamental entre les religions et les civilisations; cependant, au sens strictement théologique et non seulement dans celui de la politique religieuse, une idée s’impose : une éthique globale n’est pas le résultat d’un scrutin ou d’un consensus. Quiconque désire ramener cette éthique globale à l’accord de tous oublie en effet que le consensus, cet accord obtenu de l’ensemble, peut être la conséquence, mais non le fondement et le critère d’une exigence universelle. Ce n’est pas le consensus qui fonde l’autorité attribuée à cette éthique, mais c’est l’autorité préalablement intrinsèque de cette éthique qui rend possible et qui fonde le consensus universel. Mais que serait l’autorité qui peut être aujourd’hui invoquée dans toutes les grandes religions et civilisations de l’humanité ? C’est, pour le résumer à l’extrême, l’autorité qu’imposent ceux qui souffrent, qui souffrent innocemment, victimes de l’injustice
Cette autorité exercée par ceux qui souffrent (mais non par la souffrance !) est, mesurée aux critères modernes du consensus et du discours, une autorité « de faible poids ». Elle ne peut être assurée ni par l’herméneutique ni sur le discours argumenté, car l’obéissance qu’elle exige précède l’accord et l’argumentation – et cela, comme l’exige toute considération de morale universelle.
Publik-Forum, 26 mai 2006
(Traduit de l’allemand par Jean Courtois, Lyon.)
(Traduction réalisée à partir de l’extrait légèrement abrégé d’un écrit du théologien allemand intitulé : Memoria passionis. Ein provozierendes Gedächtnis in pluralistischer Gesellschaft [ = Memoria passionis. Une commémoration qui nous provoque dans une société pluraliste ] Herder éditeur, Fribourg-en-Brisgau, 2006).
Jean Baptiste Metz, théologien allemand né en 1928 et élève de Karl Rahner, est professeur émérite de théologie fondamentale à la Faculté de théologie catholique de l’Université de Münster / Westphalie. Il est considéré comme le promoteur de la « nouvelle théologie politique », apparentée en Allemagne au « catholicisme de gauche » et représentée par l’ « École de Francfort », qui a exercé une influence profonde sur la « théologie de la libération » en Amérique Latine. Ce théologien est considéré comme l’un des plus importants et des plus influents dans le monde germanophone après le Concile de Vatican II.
Le cardinal Jaime Ortega et la visite de Jean-Paul II à Cuba
25 février, 2008du site:
http://www.cardinalrating.com/article_last__read.htm
Le cardinal Jaime Ortega et la visite de Jean-Paul II à Cuba
Feb 23, 2008
Jaime Lucas Cardinal Ortega y Alamino
Le cardinal Jaime Ortega, archevêque de La Havane (Cuba) affirme lors d’une interview accordée au magazine « Encuentro Digitale » que la visite de Jean-Paul II à Cuba a été « un nouveau point de départ sur le chemin de foi des Cubains ».
(eucharistiemisericor.free.fr, 23/02/08) Selon ce qu’affirme le cardinal, « l’Église à cette occasion, se présenta au peuple de Cuba et au monde comme une Église vivante, capable de préparer cette visite de manière soignée, d’accueillir le Pape avec un dévouement et un enthousiasme débordants, et de recevoir avec gratitude le message et les enseignements de ses paroles ».
De plus la visite du Saint-Père Jean-Paul II « n’a pas été un passage furtif pour notre histoire, mais au contraire une graine qui a germé et a porté des fruits ». En effet l’Eglise a pris plus conscience de sa mission et depuis lors certains fruits ont été appréciés. Par exemple, continue le cardinal, à Cuba on n’a pas pu construire de nouvelles églises pendant de nombreuses années, mais « depuis quelques années nous avons réparé, ou construit totalement, des églises dans de mauvaises conditions ». Dans de nombreux quartiers également, dans des zones rurales et de nouvelles installations où n’existait pas de lieu de culte, se sont créés des centres où se réunissent des communautés de 30, 40 ou plus de personnes, on y proclame la Parole de Dieu, on réfléchit, on établit un chemin de catéchuménat pour ceux qui doivent recevoir les sacrements de l’initiation chrétienne et les catéchèses pour enfants et adolescents, de véritables communautés chrétiennes se créent progressivement. Dans ces communautés parfois au cours de l’année des célébrations du Baptême et de l’Eucharistie peuvent se réaliser « parce que dans l’archidiocèse de La Havane il existe plus de 500 centres missionnaires et 210 églises qui doivent fournir seulement 100 prêtres, dont des diocésains et des religieux ». Les centres missionnaires sont soignés de très nombreuses fois par des missionnaires laïcs, des diacres, des religieux et des religieuses « et nous nous efforçons pour qu’il y ait des catéchistes de la même communauté qui se forment pour les servir ». Ceci, comme l’affirme le cardinal est l’une des réalités ecclésiales qui se sont développées après la visite du pape Jean-Paul II.
Le travail de la Caritas également “dans des programmes d’attention et de promotion des personnes âgées ou des personnes en état de besoin, dans les maisons d’urgence pour des phénomènes climatologiques et dans de nombreuses autres actions a été également organisé et s’est développé de manière notable après la visite du pape”. Un autre fruit a été « l’apparition progressive de documents imprimés avec une vaste gamme de thèmes » qui incluent des publications du Centre de Bioéthique Jean-Paul II de La Havane, ou le magazine mensuel de Signis sur le Cinéma et les Moyens de Communication Sociale, en plus de nombreuses magazines de tous les diocèses.
Même les vocations au sacerdoce ont augmenté : « Actuellement environ quatre-vingts se préparent au sacerdoce dans tout le pays”, affirme le cardinal. De plus, « à La Havane on construit un nouveau séminaire national, et la vie religieuse féminine a également montré une augmentation ». Surtout, affirme l’archevêque de La Havane on a observé “une croissance en profondeur et dans la conscience évangélisatrice ».
Par rapport aux difficultés plus sérieuses de l’Église à Cuba, le cardinal constate spécialement « la sécularisation, qui produit surtout l’indifférence religieuse dans un pays qui a été travaillé par l’athéisme d’état ». Un autre problème est le manque de personnel et de ressources pastorales pour réaliser les grands devoirs de l’Église. De plus l’Église continue le cardinal, “n’a pas d’école ni accès habituel aux moyens de communication sociale ». L’Église est préoccupée également par “le manque d’engagement de la jeunesse actuelle dans tous les domaines, également dans le domaine de la foi”.
Le cardinal conclut l’interview en affirmant que les Églises de l’Amérique latine doivent s’aider réciproquement selon l’esprit d’Aparecida, « la grande aide mutuelle doit être de notre solidarité dans la prière, la mission, qui n’est rien d’autre que l’amour converti en vécu d’habitude ».
bonne nuit
25 février, 2008« Il y avait beaucoup de veuves en Israël »
25 février, 2008du site:
http://levangileauquotidien.org/
Guillaume de Saint-Thierry (vers 1085-1148), moine bénédictin puis cistercien
La Contemplation de Dieu, 12 (trad. SC 61, p.133 rev.)
« Il y avait beaucoup de veuves en Israël »
Mon âme misérable, Seigneur, est nue et transie ; elle désire être réchauffée par la chaleur de ton amour… Dans l’immensité du désert de mon coeur, je ne ramasse pas quelques branches comme la veuve de Sarepta, mais seulement ces brindilles, afin de me préparer de quoi manger, avec la poignée de farine et le vase d’huile, et puis en entrant dans la tente de ma demeure, je mourrai (1R 17,10s). Ou plutôt, je ne mourrai pas si vite ; non, Seigneur, je ne mourrai pas, mais je vivrai et je raconterai tes oeuvres (Ps 117,17).
Je me tiens donc dans ma solitude…et j’ouvre la bouche vers toi, Seigneur, et je cherche le souffle. Et quelquefois, Seigneur,…tu me mets quelque chose dans la bouche du coeur ; mais tu ne me permets pas de savoir ce que c’est. Sans doute, je goûte une saveur si douce, si suave, si réconfortante, que je ne recherche plus rien d’autre ; mais quand je la reçois, tu ne me permets pas de discerner ce que c’est… Quand je la reçois, je veux la retenir et la ruminer, la savourer, mais aussitôt elle passe…
Par expérience, j’apprends ce que tu dis de l’Esprit dans l’Evangile : « On ne sait d’où il vient ni où il va » (Jn 3,8). En effet, tout ce que j’ai pris soin de confier à ma mémoire, afin de pouvoir y revenir quand je voudrais et de le soumettre ainsi à ma volonté, tout cela je le trouve mort et insipide. J’entends ta parole : « L’Esprit souffle où il veut » et je découvre en moi qu’il souffle non pas quand je le veux, mais quand lui il le veut…
Vers toi donc, Seigneur, vers toi mes yeux sont tournés (Ps 122,1)… Combien de temps attendras-tu ? Combien de temps mon âme se traînera-t-elle après toi, misérable, anxieuse, à bout de souffle ? (Ps 12,2) Cache-moi, je t’en prie, dans le secret de ta face, loin des intrigues des hommes ; protège-moi dans ta tente, loin de la guerre des langues (Ps 30,21).