Archive pour le 18 février, 2008
LÉON XIII (1810-1903) Eciclique Quanquam pluries: Saint Joseph
18 février, 2008du site:
http://www.spiritualite-chretienne.com/st-joseph/st-joseph.html
Saint Joseph
LÉON XIII (1810-1903)
En 1889, Léon XIII estime que l’Eglise traverse, selon son expression, des « temps calamiteux ». Le 15 août, en la fête de l’Assomption, il signe une nouvelle Encyclique en faveur de la dévotion au chapelet, dont il s’est fait l’ardent propagateur ; elle porte le nom de Quanquam pluries. De longs développements sur la puissance de saint Joseph remplissent la majeure partie du document pontifical. Léon XIII montre surtout comment Joseph est le modèle des pères de famille et des travailleurs ; il décide que pendant le mois d’octobre, aux exercices du Rosaire sera ajoutée une prière à saint Joseph, que promulgue l’Encyclique. Voici quelques extraits de ce document :
Afin que Dieu se montre plus favorable à Nos prières et que, les intercesseurs étant nombreux, il vienne plus promptement et plus largement au secours de son Eglise, Nous jugeons très utile que le peuple chrétien s’habitue à invoquer avec une grande piété et une grande confiance, en même temps que la Vierge, Mère de Dieu, son très chaste Epoux, le bienheureux Joseph : ce que Nous estimons de science certaine être, pour la Vierge elle-même, désiré et agréable.
Au sujet de cette dévotion, dont Nous parlons publiquement pour la première fois aujourd’hui, Nous savons sans doute que, non seulement le peuple y est incliné, mais qu’elle est déjà établie et en progrès. Nous avons vu en effet, le culte de saint Joseph que, dans les siècles passés, les Pontifes romains s’étaient appliqués à développer peu à peu et à propager, croître et se répandre à notre époque, surtout après que Pie IX, d’heureuse mémoire, Notre prédécesseur, eut proclamé, sur la demande d’un grand nombre d’évêques, le très saint patriarche patron de l’Eglise catholique. Toutefois, comme il est d’une si haute importance que la vénération envers saint Joseph s’enracine dans les mœurs et dans les institutions catholiques, Nous voulons que le peuple chrétien y soit incité avant tout par Notre parole et par Notre autorité.
Les raisons et les motifs spéciaux pour lesquels saint Joseph est nommément le patron de l’Eglise et qui font que l’Eglise espère beaucoup, en retour, de sa protection et de son patronage, sont que Joseph fut l’époux de Marie et qu’il fut réputé le père de Jésus-Christ. De là ont découlé sa dignité, sa faveur, sa sainteté, sa gloire. Certes, la dignité de la Mère de Dieu est si haute qu’il ne peut être créé rien au-dessus. Mais, toutefois, comme Joseph a été uni à la Bienheureuse Vierge par le lien conjugal, il n’est pas douteux qu’il n’ait approché plus que personne de cette dignité suréminente par laquelle la Mère de Dieu surpasse de si haut toutes les natures créées. Le mariage est, en effet, la société et l’union de toutes la plus intime, qui entraîne de sa nature la communauté des biens entre l’un et l’autre conjoints. Aussi, en donnant Joseph pour époux à la Vierge, Dieu lui donna non seulement un compagnon de sa vie, un témoin de sa virginité, un gardien de son honneur, mais encore, en vertu même du pacte conjugal, un participant de sa sublime dignité.
Semblablement, Joseph brille entre tous par la plus auguste dignité, parce qu’il a été, de par la volonté divine, le gardien du Fils de Dieu, regardé par les hommes comme son père. D’où il résultait que le Verbe de Dieu était humblement soumis à Joseph ; qu’il lui obéissait et qu’il lui rendait tous les devoirs que les enfants sont obligés de rendre à leurs parents.
De cette double dignité découlaient d’elles-mêmes les charges que la nature impose aux pères de famille, de telle sorte que Joseph était le gardien, l’administrateur et le défenseur légitime et naturel de la maison divine dont il était le chef. Il exerça de fait ces charges et ces fonctions pendant tout le cours de sa vie mortelle. Il s’appliqua à protéger avec un souverain amour et une sollicitude quotidienne son Epouse et le divin Enfant; il gagna régulièrement par son travail ce qui était nécessaire à l’un et à l’autre pour la nourriture et le vêtement ; il préserva de la mort l’Enfant menacé par la jalousie d’un roi, en lui procurant un refuge ; dans les incommodités des voyages et les amertumes de l’exil, il fut constamment le compagnon, l’aide et le soutien de la Vierge et de Jésus.
Or, la divine maison que Joseph gouverna comme avec l’autorité du père contenait les prémices de l’Eglise naissante. De même que la Très Sainte Vierge est la Mère de Jésus-Christ, elle est la Mère de tous les chrétiens qu’elle a enfantés sur le mont du Calvaire, au milieu des souffrances suprêmes du Rédempteur; Jésus-Christ aussi est comme le premier-né des chrétiens, qui, par l’adoption et la rédemption, sont ses frères.
Telles sont les raisons pour lesquelles le bienheureux Patriarche regarde comme lui étant particulièrement confiée la multitude des chrétiens qui compose l’Église, c’est-à-dire cette immense famille répandue par toute la terre sur laquelle, parce qu’il est l’époux de Marie et le père de Jésus-Christ, il possède comme une autorité paternelle. Il est donc naturel et très digne du bienheureux Joseph que, de même qu’il subvenait autrefois à tous les besoins de la famille de Nazareth et l’entourait saintement de sa protection, il couvre maintenant de son céleste patronage et défende l’Eglise de Jésus-Christ.
Il existe des raisons pour que les hommes de toute condition et de tout pays se recommandent et se confient à la foi et à la garde du bienheureux Joseph.
Les pères de famille trouvent en Joseph la plus belle personnification de la vigilance et de la sollicitude paternelle ; les époux, un parfait exemple d’amour, d’accord et de fidélité conjugale, les vierges ont en lui, en même temps que le modèle, le protecteur de l’intégrité virginale. Que les nobles de naissance apprennent de Joseph à garder, même dans l’infortune, leur dignité ; que les riches comprennent par ses leçons, quels sont les biens qu’il faut désirer et acquérir au prix de tous ses efforts.
Quant aux prolétaires, aux ouvriers, aux personnes de condition médiocre, ils ont comme un droit spécial à recourir à Joseph et à se proposer son imitation. Joseph, en effet, de race royale, uni par le mariage à la plus grande et à la plus sainte des femmes, regardé comme le père du Fils de Dieu, passe néanmoins sa vie à travailler et demande à son labeur d’artisan tout ce qui est nécessaire à l’entretien de sa famille.
Il est donc vrai que la condition des humbles n’a rien d’abject, et non seulement le travail de l’ouvrier n’est pas déshonorant, mais il peut, si la vertu vient s’y joindre, être grandement ennobli. Joseph, content du peu qu’il possédait, supporta les difficultés inhérentes à cette médiocrité de fortune avec grandeur d’âme, à l’imitation de son Fils qui, après avoir accepté la forme d’esclave, lui, le Seigneur de toutes choses, s’assujettit volontairement à l’indigence et au manque de tout.
Au moyen de ces considérations, les pauvres et tous ceux qui vivent du travail de leurs mains doivent relever leur courage et penser juste. S’ils ont le droit de sortir de la pauvreté et d’acquérir une meilleure situation par des moyens légitimes, la raison et la justice leur défendent de renverser l’ordre établi par la Providence de Dieu. Bien plus, le recours à la force et les tentatives par voie de sédition et de violence sont des moyens insensés, qui aggravent la plupart du temps les maux pour la suppression desquels on les entreprend. Que les pauvres, donc, s’ils veulent être sages, ne se fient pas aux promesses des hommes de désordre, mais à l’exemple et au patronage du bienheureux Joseph, et aussi à la maternelle charité de l’Eglise, qui prend chaque jour de plus en plus souci de leur sort…
Texte de la prière promulguée par l’Encyclique de Léon XIII :
Prière à saint Joseph
Nous recourons à vous dans notre tribulation, bienheureux Joseph, et après avoir imploré le secours de votre très sainte Epouse, nous sollicitons aussi avec confiance votre patronage. Par l’affection qui vous a uni avec la Vierge Immaculée, Mère de Dieu ; par l’amour paternel dont vous avez entouré l’Enfant Jésus, nous vous supplions de regarder avec bonté l’héritage que Jésus-Christ a acquis de son sang et de nous assister de votre puissance, de votre secours dans nos besoins.
Protégez, ô très sage Gardien de la divine famille, la race élue de Jésus-Christ ; préservez-nous, ô père très aimant, de toute souillure d’erreur et de corruption ; soyez-nous propice et assistez-nous, du haut du ciel, ô notre très puissant Libérateur, dans le combat que nous livrons à la puissance des ténèbres, et de même que vous avez arraché autrefois l’Enfant Jésus au péril de la mort, défendez aujourd’hui la sainte Eglise de Dieu des embûches de l’ennemi et de toute adversité. Accordez-nous votre perpétuelle protection, afin que, soutenus par votre exemple et votre secours, nous puissions vivre saintement, pieusement mourir et obtenir la béatitude éternelle du ciel. Ainsi soit-il.
par Sandro Magister : Tout le monde au spectacle du « théâtre sacré des cieux ». Un théologien sert de guide
18 février, 2008du site:
http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/190141?fr=y
Tout le monde au spectacle du « théâtre sacré des cieux ». Un théologien sert de guide
Le théologien est Enrico Maria Radaelli. Son dernier livre, intitulé « Ingresso alla bellezza », est la preuve qu’il existe toujours une grande théologie catholique sous le pontificat du théologien Joseph Ratzinger
par Sandro Magister
ROMA, le 15 février 2008 – Cette année, Benoît XVI a demandé au bibliste Albert Vanhoye – qu’il définit comme un « grand exégète » et qu’il a créé cardinal – de prêcher les exercices spirituels du Carême à la curie.
L’année dernière, le pape avait fait appel pour cela au cardinal Biffi, un autre théologien qu’il estime particulièrement.
L’un des ouvrages de théologie les plus importants de ces dernières années est celui de Leo Scheffczyk, « Le monde de la foi catholique. Vérité et forme », publié récemment en plusieurs langues. Scheffczyk, mort en 2005, avait lui aussi été fait cardinal. Son livre débute par une interview de Benoît XVI.
Autant de signes qui témoignent du maintien d’une théologie catholique de qualité sous le pontificat du pape théologien Joseph Ratzinger.
Cette théologie est aussi discrète qu’elle est profonde et solide. Le bruit entoure des œuvres plus excitantes mais confuses, comme le livre de Vito Mancuso « L’anima e il suo destino », dont www.chiesa a parlé il y a une semaine.
A l’écart de cette agitation, mais avec beaucoup de prévoyance, la maison d’édition Jaca Book est par exemple en train de publier en Italie les imposantes « opera omnia » du plus grand spécialiste mondial en théologie médiévale, Inos Biffi, professeur émérite aux facultés de théologie de Milan et de Lugano. Il n’a aucun lien de parenté avec le cardinal homonyme, mais ce dernier le considère comme un ami et, sans l’ombre d’un doute, comme le plus grand théologien italien vivant.
En ce qui concerne son éditeur, Inos Biffi est en très bonne compagnie. Avant lui, Jaca Book a publié les œuvres complètes de deux autres géants de la théologie catholique du XXe siècle: Henri de Lubac et Hans Urs von Balthasar.
Les « opera omnia » d’un troisième grand théologien de la seconde moitié du XXe siècle, Bernard J.F. Lonergan, sont en cours de publication chez un autre éditeur, Città Nuova.
Mais il y a plus. La théologie catholique est aussi en train de mettre à son actif de nouveaux auteurs et de nouveaux livres de premier ordre.
C’est le cas d’Enrico Maria Radaelli avec son essai « Ingresso alla bellezza « .
***
La thèse centrale d’« Ingresso alla bellezza » est que le Fils de Dieu n’a pas un seul « nom » mais deux. Il est « Logos » mais aussi « Imago ». Il est verbe mais aussi image, visage, reflet de la pensée divine. Il est vérité mais aussi beauté du vrai.
« Ingresso alla bellezza » est donc une voie royale pour entrer dans le mystère du Dieu trinitaire et incarné. La beauté est l’apparition de la vérité invisible. Et, à l’inverse, ce qui est indicible dans les mystères divins se manifeste dans les splendeurs de la liturgie, de l’art, de la musique, de la poésie. Sur la couverture du livre figure une peinture de Lorenzo Lotto représentent un jeune Apollon dormant aux frontières du mystère, accompagné de Muses mimant les sublimes réalités.
En revanche l’illustration qui figure en haut de cette page est l’œuvre d’un peintre du XVIIe siècle, le Baciccia. C’est un détail des fresques de la coupole et de la voûte de l’église du Gesù, à Rome, dediée au Très Saint Nom de Jésus, c’est-à-dire, théologiquement, justement au double nom de « Logos » et « Imago ». C’est de la vision de ce « théâtre sacré des cieux » que s’inspire un article de l’auteur d’« Ingresso alla bellezza », Enrico Maria Radaelli, publié dans « l’Osservatore Romano » du 4-5 février 2008.
L’article est reproduit ci-dessous dans son intégralité. Il résume très bien l’esprit et le contenu du livre, qui va de la théologie proprement dite à la philosophie, des Saintes Ecritures à la liturgie, de l’histoire à la linguistique, de l’art à la musique. Les pages consacrées au Caravage ou à Monteverdi sont – parmi d’autres – mémorables.
Radaelli n’est pas un théologien académique. Il n’a pas reçu les ordres sacrés. Il ne fait pas partie des effectifs des universités pontificales. Il est cependant le disciple de l’un des plus grands esprits catholiques du XXe siècle, le Suisse Romano Amerio, comme lui simple laïc sans chaire universitaire. L’un et l’autre ont critiqué et critiquent sévèrement les dérives sécularisantes de l’Eglise au siècle dernier, les confusions dans le domaine de l’œcuménisme et du rapport entre les religions, les « dévastations » dans le domaine liturgique. Mais toujours dans l’obéissance au magistère hiérarchique et à cette Grande Tradition sans le souffle de laquelle – nous enseigne Benoît XVI – il n’y a pas de théologie catholique digne de ce nom.
En ce qui concerne la parenté entre l’enseignement de Benoît XVI et les thèses d’« Ingresso alla bellezza », les propos que le pape a tenus lors de sa rencontre du 7 février avec le clergé de Rome sont tout à fait révélateurs.
Répondant à la question d’un prêtre pratiquant la peinture, le pape a dit:
« L’Ancien Testament interdisait toute image; il devait le faire dans un monde plein de divinités. Il vivait dans le grand vide qui était également représenté par l’intérieur du temple, où, à la différence d’autres temples, il n’y avait aucune image, mais seulement le trône vide de la Parole, la présence mystérieuse du Dieu invisible, non défini par nos images.
« Mais ensuite ce Dieu mystérieux [il se fait chair en Jésus,] apparaît avec un visage, un corps, une histoire humaine qui est, en même temps, une histoire divine. Une histoire qui continue dans l’histoire des saints, des martyrs, des saints de la charité et de la parole, qui sont toujours une explication, une continuation dans le Corps du Christ de sa vie divine et humaine, et elle nous donne les images fondamentales dans lesquelles – au delà des images superficielles qui cachent la réalité – nous pouvons ouvrir les yeux sur la Vérité elle-même. A cet égard je trouve excessive la période iconoclaste de l’après-Concile [Vatican II], qui avait toutefois un sens, parce qu’il était peut-être nécessaire de se libérer d’une superficialité de l’excès d’images.
« Maintenant revenons à la connaissance de Dieu qui s’est fait homme. Comme nous le dit la lettre aux Ephésiens, Il est la vraie image. Et dans cette vraie image nous voyons – au delà des apparences qui cachent la vérité – la Vérité elle-même: Qui me voit voit le Père’. En ce sens, nous pouvons retrouver un art chrétien et aussi les grandes représentations essentielles du mystère de Dieu dans la tradition iconographique de l’Eglise. Nous pourrons ainsi redécouvrir l’image vraie, [...] la présence de Dieu dans la chair ».
__________
Comment découvrir le visage de l’Eternel dans un édifice sacré
« L’Osservatore Romano », 4-5 février 2008
par Enrico Maria Radaelli
J’ai levé les yeux et je me suis aussitôt trouvé comme au paradis: des saints et encore des saints, des anges, de puissants archanges, des chérubins, des séraphins joyeux, roses, rapides; une fête radieuse, des groupes lointains ou proches; parmi les nuages, des papes pleins de noblesse, de jeunes martyrs, des docteurs sévères, des vierges en extase, des ermites austères. Ils étaient tous là, hommes et anges innombrables, éparpillés dans l’air des cieux jusqu’à en atteindre les cercles les plus élevés. Je voyais les anciens patriarches et Jean-Baptiste, Marie-Madeleine, les Apôtres, la splendeur de la Vierge et, au centre, le cœur éblouissant de la vie: l’éternelle Trinité.
Je n’étais pas « hors de moi », mais sous la voûte de la coupole de l’église du Jésus, à Rome, en train de contempler la grande fresque du Baciccia qui s’appelle justement « La vision du Ciel », l’une des plus belles et des plus riches de toutes celles qui sont disséminées dans la cité des Papes.
Je n’étais donc pas dans un ravissement mystique, mais dans cette admirable extase de masse à laquelle, depuis deux mille ans, les fidèles accèdent par l’adoration, au moment où, pendant les divins mystères, un Dieu descend vraiment et – comme le dit Romano Amerio – ce Dieu, on le prend vraiment. Depuis deux mille ans, dans les catacombes ou les cathédrales, la liturgie trinitaire qui se déroule dans les cieux descend au milieu de ses troupeaux sous la forme des saintes Espèces. La liturgie descend et le Christ se matérialise, prêtre et victime. Et l’Eglise, avec sa sagesse d’épouse du Christ et de mère de ceux qui sont appelés aux mystères sacrés, permet aux fidèles d’en être toujours informés. Non seulement elle leur enseigne la doctrine la plus sûre, mais elle amène aussi leurs sens à toucher presque la réalité qui leur est donnée, à les mettre, comme disait soeur Elisabeth de la Trinité, « face à face, même dans les ténèbres » avec la Gloire de Dieu.
C’est à cause de cette nécessité intime et religieuse que, très rapidement, les murs et les voûtes des locaux sacrés destinés à l’Eucharistie — d’abord ceux qui étaient cachés dans les catacombes, puis les temples païens reconvertis pour le culte rendu à la Trinité et enfin tous les édifices sacrés de toutes tailles et de toutes configurations, éparpillés partout où le christianisme s’était répandu — s’étendent et donnent de l’espace aux saints. C’est pour cela qu’ils disparaissent sous des broderies d’étoiles et s’ouvrent pour faire place au glorieux passé de l’Eglise militante, comme avec les cortèges de vierges et de martyrs des basiliques de Ravenne, mais aussi à l’avenir, déjà présent secrètement, de l’Eglise triomphante, aux ciels joyeux des coupoles que nous voyons, pour signifier, à travers la représentation picturale, leur descente réelle bien que cachée.
Ce qui avait été réellement reçu dans les cœurs, c’était ce qu’il y avait autour des cœurs: la réalité invisible sur l’autel était visible autour de l’autel et les fidèles pardonnaient la délicate illusion suggérée par les artistes. Ils étaient conscients que les yeux voyaient des cieux « simulés » — qui suggéraient des réalités déjà vivantes secrètement — mais pas « faux », c’est-à-dire qu’ils ne présentaient pas des réalités erronées. C’était donc des cieux « annonciateurs » de réalités à venir, tandis que leurs bouches recevaient des cieux « véritables » et que leurs coeurs s’ouvraient à une réalité déjà présente dans toute sa divinité et dans toute son humanité.
La réalité eucharistique, autour de laquelle se réunissent les peuples en faisant Ekklesia, rassemblement des appelés, Eglise, demande tout de suite à être enseignée et, en même temps, à être rendue visible. Si c’était nécessaire, l’Eglise écrirait avec de l’or pur – comme elle le faisait déjà, jadis, dans les manuscrits médiévaux – les caractères des pages de doctrine, pour faire ressortir la grandeur, la supériorité suprême, et même la divinité qu’elles sous-tendent.
D’une certaine manière, la Vérité et la Beauté comportent toutes les deux un besoin: la Vérité, celui de pénétrer complètement dans les coeurs, la Beauté, celui de briller dans toute sa splendeur sur les murs.
L’inspiration qui a conduit à donner aux édifices sacrés la forme d’une croix provient directement de la sacralité de l’Eucharistie. En effet les fidèles ont presque l’impression de s’introduire directement dans le bois de la croix et dans le corps même du Christ — auquel ils accéderont véritablement — comme s’il était vraisemblable qu’ait lieu cette entrée mystique dans le sacrement ecclésial, avant-goût d’éternité.
Au XVe siècle, Filippo Brunelleschi ajoute aux murs, dont la disposition en forme de croix renvoie physiquement au mystère de l’incarnation, la représentation architecturale de l’autre mystère, encore plus grand, la Trinité. A la cathédrale Santa Maria del Fiore de Florence, il réinvente la coupole en tant que « lieu cosmique » par le croisement approprié des bras longitudinal et transversal de la basilique chrétienne à l’endroit précis où bat le coeur du Christ, là où s’accomplit le Sacrifice. Il donne ainsi à l’église la possibilité d’inculquer à ses fidèles d’autres pensées, nécessaires et élevées: là où le Très-Haut descend sur l’autel, « levez les yeux », ô fidèles, et « vous verrez » tout ce qui, à travers l’autel, est entré dans votre coeur.
En ayant recours à la coupole, comme le feront par la suite tous les architectes, grands et moins grands, de la Renaissance et de l’âge baroque, cet architecte de génie permet à l’église de suggérer aux chrétiens une métaphore. Cette métaphore – peut-être la plus accomplie et la plus profonde que, parmi les vestiges de l’art, l’on puisse trouver de la Trinité, tout du moins telle que celle-ci est décrite notamment dans les textes de saint Augustin et de saint Thomas d’Aquin – permet d’illustrer avec la plus grande vraisemblance l’indicible et sublime mystère où bat le cœur du Christ. Le cœur du Christ bat en fait pour le Père, ce Père qui l’a engendré « avant l’aurore » (Psaume 109, 3), ce Père pour lequel il se donne en sacrifice pour faire couler les torrents de sa miséricorde – qui sont en réalité lui-même: le Christ.
Que disent en effet de la Trinité ces grands docteurs de l’Eglise? Saint Thomas, en l’occurrence, fait figurer dans le « De Trinitate » de sa « Summa Theologiæ » (I, 27-43) la formulation la plus accomplie de toutes les vérités écrites par les saints théologiens sur ce sujet. Il nous offre ainsi la synthèse la plus complète et en quelque sorte la plus compréhensible pour nous, pour conclure que la très sainte Trinité est semblable à un esprit qui pense et aime par ses opérations.
Saint Augustin fait référence à la même analogie, en particulier dans son « De Trinitate », X, 10, 18, dont s’inspirera d’ailleurs l’autre docteur, saint Thomas. Naturellement, le mystère trinitaire s’élève au-delà de toute image, au moins parce que ce qui est assimilé à un esprit est en réalité une Personne. Cela vaut aussi pour une pensée, autre Personne, et pour leur « souffle » lui-même, qui est la Troisième personne. Mais l’analogie proposée par les deux docteurs reste au moins utile « pour comprendre – résume Battista Mondin dans son ‘Dizionario enciclopedico del pensiero di san Tommaso d’Aquino’ – comment l’existence simultanée de trois individus distincts et de même nature est possible en Dieu, sans tomber dans le polythéisme ».
On pourra apprécier encore mieux l’œuvre maternelle de l’Eglise quand celle-ci, après avoir développé convenablement l’analogie sur le plan théologique, en mettant au travail ses esprits les plus distingués et les plus saints, la transposera des livres aux murs grâce à l’influence qu’elle aura sur ses artistes. Alors l’Eglise ressemblera à une Bibliothèque-Pinacothèque Ambrosienne sans limites, où les livres et les tableaux sont rassemblés en un ensemble unique; la Trinité pourra être adorée non seulement dans les livres, mais aussi quand les hommes lèveront les yeux vers l’ensemble des nombreuses coupoles qui caractérisent le panorama de Rome, vers les courbes puissantes de la coupole de Saint-Pierre, ou quand un curé de village lèvera les yeux vers l’humble coupole de sa petite église de campagne.
Mais essayons de comprendre la relation entre la coupole et le mystère trinitaire et, au préalable, comment celui-ci a été expliqué par saint Thomas.
Un esprit qui comprend — dit saint Thomas — génère ou émet une pensée, qui est le « logos », le « verbum ». L’esprit est le principe — avant lequel il n’y a rien d’autre — de la pensée qui en émane; c’est pourquoi la Personne divine par qui est généré le Fils Unique s’appelle « Père »: parce qu’un esprit a la paternité de la pensée qui en provient.
Mais la pensée — ce qui naît de l’esprit — serait en soi non pas une pensée mais un rien si elle ne reflétait pas en soi l’esprit dont elle procède, si elle n’en reflétait pas la nature. Il n’y aurait pas de pensée si celle-ci n’était pas l’image parfaite de l’esprit dont elle émane.
C’est ainsi que, à côté du « Logos » ou « Verbum », émerge avec force le concept d’« Imago »: le nom, le miroir, le visage. Ce n’est que grâce à lui qu’est parfaitement soutenue la ressemblance entre le Fils et le Père. Comme l’explique saint Thomas: « Le Fils procède comme Verbe et le concept de verbe implique la ressemblance de forme avec le sujet dont il procède [et qui est le Père] » (« Summa Theologiae » I, 35, 2).
Dans le cas de la Trinité, la pensée générée par l’esprit du Père est la pensée qui dit tout de l’esprit dont elle naît et dont elle est le reflet fidèle et complet. C’est la pensée de l’ »être », en conformité avec ce que Dieu dit de Lui-même quand, à la question de savoir qui Il est, quel est son Nom, Il répond: « Je suis Celui qui suis » (Exode 3, 14). L’esprit est la réalité forte de l’être et la pensée générée par l’esprit exprime l’ »être », c’est-à-dire qu’elle en est le Verbe, elle est la Parole infinie, positive, forte, de « Je suis Celui qui suis ».
Cela se comprend mieux si l’on revient à notre coupole, que nous pouvons aussi trouver assez semblable, notamment, à une tête d’homme. La coupole se dresse haut dans le ciel, se courbant vers le centre, vers la lanterne d’où elle reçoit la lumière. Ses pierres répercutent leurs forces le long de ses nervures. Celles-ci les répercutent puissamment vers le bas, de telle sorte que, recevant plus bas, sous la tour de croisée, les poussées contraires des bras des nefs sur lesquelles repose la tour, elles soient corrigées dans leur trajectoire et restent à l’intérieur de la zone d’appui. Il faut le noter, parce que toute cette puissante construction en vient ainsi à constituer en quelque sorte l’équivalent architectural de ce qui, dans la Trinité est donné par la personne du Père: la puissante permanence de l’ »Etre ». Ce n’est pas un hasard. En effet, depuis toujours, la pierre a été appelée par l’homme à témoigner de la solide fermeté de l’éternité; il suffit de penser, par exemple, à toutes les fois où Jacob dresse de grandes pierres pour assurer que là, à tels endroits précis, le Seigneur qui lui a parlé sera rappelé « pour toujours ».
Dans sa puissance, la voûte de la coupole est donc le Père et elle est comme le Père. Et elle l’est puissamment, transformant le ciel en une immensité soutenue par des piliers colossaux. Et voici que, encore comme le Père, la voûte de la coupole fait jaillir de la puissance des pierres la fresque des cieux, c’est-à-dire qu’elle émet le Fils, elle génère sur l’étendue infinie de son « être » la Pensée qui reflète le Père et sa puissance. Comment la génère-t-elle? Par la manifestation la plus exhaustive de son essence, c’est-à-dire de tout ce que le Père contemple en lui-même. Ce que nous voyons, presque comme si nous étions dans l’Esprit du Père, c’est le Logos, c’est la vision de la Gloire de Dieu comme Dieu la voit en lui-même. Cela se produit par une sorte de transsudation de figures et de couleurs provenant des pierres de la coupole — voilà l’action de l’Esprit Saint — parce que les pierres de la coupole « parlent », et révèlent en quoi consiste la béatitude de son firmament céleste.
Structure architecturale et fresques ne font qu’un, puisque la coupole émet et produit presque les fresques et que celles-ci expriment et manifestent la voûte de la coupole. On voit les fresques, pas la coupole, comme lorsque Jésus dit: « Qui Me voit voit le Père » (Jean 14, 9). Qui voit le « Logos », « Imago » et Fresque du Père, voit le Père qui l’a généré, voit la divine Coupole que l’Etre donne à lui-même et à son émanation intellectuelle.
L’analogie de la coupole met en oeuvre avec force ce qui constitue certainement l’une des découvertes théologiques les plus significatives de saint Thomas d’Aquin, qui n’a pourtant jamais été creusée, par la suite, dans ses très remarquables implications scientifiques et philosophiques. Je parle du second Nom du Fils, « Imago », que saint Thomas, s’appuyant sur la base pertinente que constituent les Saintes Ecritures (Jean 14, 9; Colossiens, 1, 15; Hébreux 1, 3), place avec autorité à côté du premier nom, « Logos », de la même façon que la représentation d’une pensée se place à côté de cette pensée, l’aspect d’un concept à côté du concept, l’expression d’une notion à côté de la notion. En effet comment une pensée pourrait-elle s’exprimer – c’est-à-dire, étymologiquement, « se presser hors d’elle-même » – si ce n’est à travers son aspect, son effigie, son image? En fait, on peut même déduire de saint Thomas qu’une pensée n’existerait même pas si elle ne s’exprimait pas dans une représentation: ce serait du noir, un gribouillis, un bruit.
A notre époque de relativisme, de faiblesse et de dissociation de l’art et de la religion, le fait que le Fils ait deux Noms et non pas un seul, c’est-à-dire que le Fils soit autant l’« Imago » que le « Verbum » du Père, permet de rétablir un lien fort, surnaturel, entre Beauté et Vérité.
La comparaison de la coupole n’est certes pas satisfaisante à tous égards. Elle semble être néanmoins la meilleure représentation que l’on puisse associer à la Trinité en architecture et – ce n’est pas un hasard – elle indique avec une force expressive sans égale la catholicité d’un bâtiment.
Ce serait donc aussi un geste à caractère nettement religieux que de réinventer la coupole selon des modalités actuelles, puisque nous disposons aujourd’hui de beaucoup de matériaux élastiques presque faits exprès pour se plier aux exigences que j’appellerai « trinitaires ». L’important est que la coupole conserve son caractère sacré de « théâtre des Cieux », que soit respecté le nombre d’or — mesure quasi sacrée, en raison de son étroite relation au « Logos » —, que soit exalté le mystère doré de la Trinité, dont la sublime liturgie peut inspirer l’art le plus magnifique. Un véritable art « trinoliturgique », pour rendre à la Vérité la Beauté divine la plus appropriée.
bonne nuit
18 février, 2008« Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux »
18 février, 2008
dal sito:
http://levangileauquotidien.org/
Youssef Bousnaya (vers 869-979), moine syrien
Vie et doctrine de Rabban Youssef Bousnaya par Jean Bar Kaldoum (trad. Chabot in Deseille, Evangile au désert, Cerf 1999, p. 325)
« Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux »
La miséricorde est l’image de Dieu, et l’homme miséricordieux est, en vérité, un Dieu habitant sur la terre. De même que Dieu est miséricordieux pour tous, sans distinction aucune, de même l’homme miséricordieux répand ses bienfaits sur tous également.
Mon fils, sois miséricordieux et répands des bienfaits sur tous, afin de t’élever au degré de la divinité… Prends garde de te laisser séduire par cette pensée que tu pourrais trouver attrayante : « Il vaut mieux que je sois miséricordieux pour celui qui est attaché à la foi que pour celui qui nous est étranger ». Ce n’est pas là la miséricorde parfaite imitant Dieu qui répand ses bienfaits sur tous, sans jalousie, « qui fait également lever son soleil et descendre sa pluie sur les bons et sur les méchants » (Mt 5,45)…
« Dieu est amour » (1Jn 4,8) ; son essence est amour, et son amour est son essence même. Par son amour, notre Créateur a été poussé à produire notre création. L’homme qui possède la charité, c’est vraiment Dieu au milieu des hommes.