SAINT AUGUSTIN: EXPLICATION DU SERMON SUR LA MONTAGNE

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SAINT AUGUSTIN

EXPLICATION DU SERMON SUR LA MONTAGNE 

Traduction de M. l’abbé DEVOILLE. 

LIVRE PREMIER. PREMIÈRE PARTIE DU SERMON (1). 

 

CHAPITRE PREMIER. RÈGLE PARFAITE DE LA VIE CHRÉTIENNE. —  MONTAGNE. —  OUVRIR SA BOUCHE. —  LES PAUVRES D’ESPRIT. 

 

 

1. En étudiant avec piété et avec prudence le sermon que Notre-Seigneur Jésus-Christ a prononcé sur la montagne, tel que nous le lisons dans l’évangile selon saint Matthieu, on y trouvera, je pense, tout ce qui regarde les bonnes mœurs, un parfait modèle de la vie chrétienne. Je ne m’aventure point en disant cela, mais je me fonde sur les paroles mêmes du Seigneur. En effet, en concluant ce discours, le Sauveur laisse entendre qu’il y a renfermé tous les préceptes propres à former notre vie, puisqu’il dit : «Donc, quiconque entend ces paroles que je publie et les accomplit, je le comparerai à un homme sage qui a bâti sa maison sur la pierre; la pluie est descendue, les fleuves se sont débordés, les vents ont soufflé et sont venus fondre sur cette maison ; et elle n’a pas été renversée, parce qu’elle était fondée sur la pierre. Mais quiconque entend ces paroles que je dis et ne les accomplit pas, je le comparerai à un homme insensé qui a bâti sa maison sur le sable; et la pluie est descendue, les fleuves se sont débordés, les vents ont soufflé, et sont venus fondre sur cette maison ; et elle s’est écroulée, et sa ruine a été grande. » En disant, non pas simplement : « Celui qui entend mes paroles, » mais: «celui qui entende ces paroles que je dis, » le Seigneur a assez indiqué, ce me semble, que les paroles qu’il a prononcées sur la montagne peuvent imprimer à la conduite de ceux qui veulent les mettre en pratique une perfection telle qu’on pourra justement les comparer à un homme qui bâtit sur la pierre. Je dis ceci pour montrer que ce discours renferme 

1 Matt. V. 

toutes les règles de la perfection chrétienne; car nous reviendrons plus en détails sur ce chapitre.

2. Voici donc le préliminaire de ce sermon : « Or Jésus, voyant une grande foule, monta sur la montagne, et lorsqu’il se fut assis, ses disciples s’approchèrent de lui, et ouvrant sa bouche, il les instruisait, disant. » Si on demande ce que signifie la montagne, ils est raisonnable de penser qu’elle désigne l’importance plus grande des préceptes de la justice, comparativement à ceux de la loi judaïque qui leur sont inférieurs. Cependant c’est le même Dieu qui, par ses saints prophètes et ses serviteurs, selon l’exacte convenance du temps, adonné des commandements de moindre valeur à un peuple qu’il fallait encore enchaîner par la crainte ; et d’autres, plus précieux, par son Fils, à un peuple qu’il convenait d’affranchir par la charité. Mais les uns et les autres, selon leurs proportions, ont été donnés par celui qui seul sait appliquer à propos le remède convenable aux maux du genre humain. Et il n’y a rien d’étonnant à ce que le même Dieu qui a fait le ciel et la terre, ait donné des préceptes plus grands en vue du royaume du ciel, et d’autres moins grands en vue du royaume de la terre. Or c’est de cette justice plus grande qu’il est dit dans le roi-prophète : « Votre justice est élevée comme les montagnes de Dieu (1). » Et voilà précisément ce que signifie la montagne sur laquelle enseigne le maître unique, le seul propre à enseigner de si grandes choses. Et il s’asseoit pour enseigner, comme il convient à la dignité d’un maître; et ses disciples s’approchent de lui, afin d’être plus près, de corps, pour entendre ses paroles, comme ils se rapprochaient déjà par l’esprit pour les accomplir. « Et, ouvrant sa bouche, il les instruisait, disant. » Cette circonlocution: « Et ouvrant

 

1 Ps. XXXV, 7. 

 

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sa bouche, » a peut-être pour but, en retardant un peu le commencement du discours, d’indiquer qu’il sera plus long; à moins qu’on n’y voie une allusion à ce qui se lit souvent dans l’ancienne loi, que Dieu ouvrait la bouche des prophètes, tandis que lui-même ici ouvre la sienne.

3. Que dit donc le Sauveur? Bienheureux les pauvres d’esprit, parce qu’à eux appartient le royaume des cieux. » Nous lisons, à propos de l’ambition des choses temporelles : « Tout est vanité et présomption d’esprit (1). » Or présomption d’esprit veut dire audace et orgueil; on dit en effet vulgairement des orgueilleux qu’ils ont l’esprit haut, magnus spiritus, et avec raison, puisque le mot spiritus veut dire aussi vent; comme nous lisons dans un psaume : « le feu, la grêle, la neige, la glace, l’esprit de la tempête (2). » Et qui ignore qu’on donne aussi aux orgueilleux le nom d’enflés, comme qui dirait bouffis par le vent? A quoi revient encore le mot de l’Apôtre : « La science enfle, mais la charité édifie (3). » C’est pourquoi on a raison d’entendre ici par pauvres d’esprit les hommes humbles et craignant Dieu, c’est-à-dire qui n’ont point l’esprit qui enfle. Or la béatitude ne pouvait absolument avoir un autre principe, puisqu’elle doit arriver à la souveraine sagesse, et que « la crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse (4); » tandis qu’au contraire, « l’orgueil est donné comme le commencement de tout péché (5). » Que les orgueilleux ambitionnent donc et aiment les royaumes de la terre; mais « heureux les pauvres d’esprit, parce qu’à eux appartient le royaume des cieux. » 

 

CHAPITRE II. EXPLICATION DES AUTRES BÉATITUDES. 

 

 

4. « Bienheureux ceux qui sont doux, parce qu’ils posséderont la terre en héritage. » Cette terre, je pense, est celle dont parle le Psalmiste Vous êtes mon espérance, mon partage sur la terre des vivants (6). » Le Seigneur entend ici un héritage solide, ferme, perpétuel, où l’âme trouve par ses lieuses affections le lieu de son repos, comme le corps le trouve dans la terre; y puise son aliment, comme le corps l’emprunte à la terre; et c’est le repos et la vie des saints. Or, les hommes doux sont ceux qui cèdent aux injustices, n’opposent point de résistance au mal, mais en triomphent par le bien (7). Donc que ceux qui sont 

 

1 Eccl. I, 44 selon les Septante. — 2 Ps. CXLVIII, 3. —  3 I Cor. VIII, 1. —  4 Eccli I, 16. —  5 Ib. X, 15. —  6 Ps. CXLI, 6. — 7 Rom. XII, 21. 

 

privés de cette vertu se querellent, qu’ils se disputent lesbiens terrestres et passagers ; mais « bienheureux ceux qui sont doux, parce qu’ils posséderont la terre en héritage, » et cet héritage, personne ne les en dépouillera.

5. « Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés. » Le deuil est la tristesse causée par la perte des choses que l’on aime. Or ceux qui se convertissent à Dieu, perdent par là même tout ce qu’ils aimaient dans le monde; car leur jouissance n’est plus où elle était autrefois, et jusqu’à ce que les biens éternels soient l’objet de leur affection, ils éprouvent une certaine tristesse. Ils seront donc consolés parle Saint-Esprit; appelé pour cela Paraclet, c’est-à-dire Consolateur ; en sorte qu’en perdant les joies du temps ils goûtent celles de l’éternité.

6. « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés. » Le Sauveur désigne ici ceux qui sont épris du bien vrai et immuable. Ils seront donc rassasiés de cette nourriture dont le Seigneur a dit : « Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père, » en quoi consiste proprement la justice, et de cette eau dont le même Sauveur a dit: « Pour quiconque en boira, elle deviendra en lui une fontaine d’eau jaillissante jusque dans la vie éternelle (1). »

7. « Bienheureux les miséricordieux, parce qu’ils obtiendront miséricorde. » Il appelle bienheureux ceux qui viennent au secours des malheureux, parce qu’en retour ils seront eux-mêmes délivrés du malheur.

8. « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu. » Qu’ils sont donc insensés ceux qui cherchent Dieu des yeux du corps, quand on le voit des yeux du coeur, ainsi qu’il est écrit : « Cherchez-le dans la simplicité de votre coeur (2) ! » Car un coeur pur n’est autre chose qu’un cœur simple; et de même que la lumière ne peut être perçue que par des yeux purs, ainsi Dieu ne peut être vu si ce qui peut le voir n’est pur lui-même.

9. « Bienheureux les pacifiques; parce qu’ils seront appelés enfants de Dieu. » La perfection est dans la paix, qui exclut tout combat; c’est pourquoi les pacifiques sont appelés enfants de Dieu, parce qu’en eux rien ne résiste à Dieu, et que les enfants doivent ressembler à leur Père. Or ceux-là sont pacifiques en eux-mêmes qui maîtrisent tous les mouvements de leur âme et 

1 Jean, IV, 34-14. —  2 Sag. I, 1. 

 

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les soumettent à la raison, c’est-à-dire à l’intelligence et à l’esprit, qui domptent tous les appétits de la chair, et deviennent le royaume de Dieu là où tout est réglé de telle sorte que la partie principale et la plus excellente de l’homme commande, sans éprouver de résistance, aux autres parties qui nous sont communes avec les animaux, tandis qu’elle-même, c’est-à-dire l’intelligence et la raison, reste soumise à une autorité plus grande, qui est le Fils unique de Dieu, la Vérité même. Car, on ne peut commander à des puissances inférieures, si l’on ne se soumet à une puissance supérieure. Et voilà la paix réservée sur la terre aux hommes de bonne volonté (1); voilà la vie d’un homme parfait et consommé en sagesse. De ce royaume, où la paix et l’ordre sont dans leur plénitude, est exclu le. prince de ce siècle qui domine les coeurs pervers et rebelles à l’ordre. Cette paix intérieure une fois établie et consolidée, quelles que soient les tempêtes excitées par celui qui a été jeté dehors, elles ne font qu’augmenter la gloire qui est selon Dieu; rien ne s’ébranle dans l’édifice; et l’impuissance des machines dressées contre lui fait voir avec quelle solidité il est construit à l’intérieur. Voilà pourquoi on lit ensuite : « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce qu’à eux appartient le royaume des cieux. » 

 

 

2 Réponses à “SAINT AUGUSTIN: EXPLICATION DU SERMON SUR LA MONTAGNE”

  1. Anonyme dit :

    Un tres grand merci pour cet article. Auriez-vous l’amabilite de m’indiquer les references precises de ce texte, dans son edition latine ?

  2. gabriellaroma dit :

    Bonjour,

    sur le site italien de l’ « Opera Omnia » de Sain Augustin:

    http://www.sant-agostino.it/latino/

    toi trouve Le « Sermon sur la Montagne à la pag:

    http://www.sant-agostino.it/latino/montagna/index2.htm

    sous le titre:

    « De Sermone Domini in Monte »

    de 1.1.

    à 2.9.

    aussi, je me suis fermé à 2.9. (Mt 5, 1-9) le texte continue a commenter Matthieu
    5.10ss;

    bonne étude,

    Gabriella

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