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LES ACTES DE SAINT APOLLONIUS. A ROME, VERS 183
Apollonius, qui fut mis à mort sous Commode, appartenait à l’aristocratie romaine. Eusèbe raconte son martyre et saint Jérôme lui donne le titre de sénateur. La découverte récente des actes authentiques permet de compléter ces détails. Apollonius paraît avoir été dénoncé comme chrétien par un délateur, il fut traduit par Perennia, préfet du prétoire, devant le Sénat. Eusèbe avait induit saint Jérôme à penser qu’en cette circonstance Apollonius présenta au Sénat, pour sa défense, une apologie en règle du christianisme. Cette pièce n’a probablement jamais existé. Mais ce qui a pu donner lieu à cette imagination, c’est la longueur des discours d’Apollonius tels que nous les ont conservés les actes. Trois jours après la comparution devant le Sénat il fut interrogé par le préfet seul. Il persista dans sa confession et fut condamné à être décapité.
F. C. C.(ONYBEARE), dans The Guardian, 18 juin 1893, contenant une traduction anglaise du texte arménien donné par les Méchitharistes (Venise, 1874). — LE MÊME, The Armenian Apology and Acts of Apollonius and other monuments of early Christianity (1896). Apology and Acts of A., p. 29-49. — Une passion grecque a été découverte et donnée par les Bollandistes : Analecta Bollandiana, t. XIV (1895), p. 284. — HARNACK, dans Theolog. Literaturz., t. XX (1895), p. 590. — LE MÊME, Sitzungsberichte der koen. preussischen Akademie der Wissenschaften zu Berlin (1893), p. 721-746. — MOMMSEN, même recueil (1894), p. 497-503. — R. SEERERG, Neue Kirchliche Zeitschrift, IV (1893), 836.872.— HARDY, Christianity and the Roman government (1894), 200-208. — P. ALLARD, Le Christianisme et l’Empire romain (1897), p. 63 et suiv. — HILGEEFELD, Apollonius von Rom,
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dans Zeitschrift f. wissensch. Theol. (1894), t. I, p. 55-91. — BARDENHEWER, Patrologie (éd. all. 1894), p. 99. — KRUGER, Grundriss der Wiss. Theol., p. 240. — BATIFFOL, La Littérature grecque, p. 52-53. — KLETTE, Der Process and die Acta S. Ap., dans les Texte und Unters., XV, a (1897). — Anal. Boll. (1898), p. 234. — HILGENFELD, Die Apol. d. Apoll. von Rom, dans Zt. f. wiss. Theolog., XLI (1898), p. 180-203.
MARTYRE DU SAINT ASCÈTE APOLLONIUS
Le Christ, qui donne toutes choses, prépare une couronne de justice aux hommes de bonne volonté qui se tiennent attachés fermement à la foi en Dieu ; quant aux élus de Dieu, ils sont appelés à lui afin que, ayant livré le bon combat avec courage, ils obtiennent la réalisation des promesses qu’un Dieu, ennemi du mensonge, a faites à ceux qui l’aiment et qui croient en lui de toute leur âme.
L’un d’entre eux fut le saint martyr et vaillant champion du Christ, Apollonius. Il passa à Rome une existence remplie par les exercices de la piété et de l’ascèse, et, impatient de posséder le gage de sa vocation, il fut au nombre de ceux qui rendirent témoignage à Jésus-Christ ; ce qu’il fit en présence du Sénat et du préfet Terentius. Il s’exprima avec une grande hardiesse. Voici le procès-verbal de sa déposition.
Le préfet donna ordre d’introduire Apollonius devant le Sénat, il lui dit : « Apollonius, pourquoi résistes-tu aux lois invincibles et, aux décrets des empereurs et refuses-tu de sacrifier aux dieux ? »
Apollonius : « Parce que je suis chrétien, c’est pourquoi je crains Dieu qui a fait le ciel et la terre et je ne sacrifie pas aux faux dieux.
Le préfet : « Tu dois te repentir de ces pensées à cause des édits des empereurs, et prêter serment par la fortune de Commode. »
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Apollonius : « Ecoutez maintenant l’exposé de ma conduite. Celui qui regrette ses actions justes et vertueuses est impie et n’a pas d’espérance ; celui au contraire qui se repent de ses actions contraires aux lois et de ses pensées coupables et n’y retombe plus, celui-là aime Dieu et s’essaye à faire passer son expérience dans la réalité. En ce qui me concerne, je suis absolument résolu d’observer le beau et glorieux commandement de Dieu que nous a enseigné Notre-Seigneur le Christ à qui la pensée de l’homme est révélée et qui voit tout ce qui se fait en secret comme à découvert. Sans doute, il est préférable de ne pas jurer du tout, mais de vivre en toutes choses dans la paix et dans la foi. La vérité n’est-elle pas en elle-même un grand serment ? et pour la même raison il est mauvais et répréhensible de jurer par le Christ, mais le mensonge a produit les mécréants à cause desquels on a employé le serment. Je veux jurer volontairement, par le vrai Dieu, que nous aussi nous aimons l’empereur et prions pour lui. »
Le préfet : « Approche alors, et sacrifie à Apollon, et aux autres dieux, et à l’image de l’empereur. »
Apollonius : « Quant à changer d’idées ou à prêter serment je m’en suis expliqué. En ce qui concerne le sacrifice, les chrétiens et moi nous offrons un sacrifice non sanglant à Dieu, Maître du ciel et de la terre, et de la mer et de tout ce qui a la vie, et nous offrons ce sacrifice non pas à l’image, mais pour les personnes douées d’intelligence et de raison qui ont été choisies de Dieu pour gouverner les hommes. Voilà pourquoi, conformément aux ordres du Dieu à qui il appartient de commander, nous offrons nos prières à celui qui habite dans le ciel, au seul Dieu qui puisse gouverner la terre avec justice, tenant pour assuré que l’empereur tient de Lui ce qu’il est, et d’aucun autre, si ce n’est du Roi, du Dieu, qui tient toutes choses dans sa main. »
Le préfet : « A coup sûr ce n’est pas pour philosopher qu’on t’a amené ici. Je te laisse un jour de répit, tu peux
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réfléchir sur tes intérêts et choisir la vie ou la mort. » — Et il le fit reconduire en prison. Trois jours après il le fit comparaître de nouveau et lui dit :
« Eh bien ! à quoi t’es-tu décidé ?
— A demeurer ferme dans ma religion, comme je te l’avais dit auparavant.
— Vu le décret du Sénat je te réitère de te repentir et de sacrifier aux dieux auxquels la terre entière rend hommage et offre des sacrifices ; il est préférable pour toi de vivre parmi nous plutôt que souffrir une mort avilissante. Il me semble que tu ne dois pas ignorer le décret du Sénat.
— Je sais le commandement du Dieu tout-puissant et je demeure ferme dans ma religion, je ne rends pas hommage aux idoles fabriquées de main d’homme, façonnées avec de l’or, de l’argent, ou du bois; qui ne peuvent ni voir, ni entendre, parce qu’elles sont l’ouvrage d’hommes qui ignorent le vrai service de Dieu. Mais j’ai appris à adorer le Dieu du ciel, à ne rendre hommage qu’à lui seul, qui a insufflé le souffle de la vie dans tous les hommes et qui ne cesse de départir la vie à chacun d’eux. Je n’entends pas m’avilir moi-même et me jeter dans l’abîme. Il est honteux de rendre hommage à de vils objets, c’est une action ignominieuse d’adorer en vain, et les hommes qui le font commettent le péché. Ceux qui ont inventé ces adorations étaient fous, plus fous encore que ceux qui adorent et rendent hommage. Dans leur folie, les Égyptiens adorent un oignon. Les Athéniens, jusqu’à nos jours, fabriquent et adorent une tête de boeuf en cuivre qu’ils nomment la fortune d’Athènes, et ils lui font une place en évidence près de la statue de Jupiter et d’Héraclès, à telle enseigne qu’ils lui adressent leurs prières. Et cependant cela ne vaut guère mieux que la boue séchée ou une poterie brisée. Ils ont des yeux et ils ne voient pas, ils ont des oreilles et ils n’entendent pas, ils ont des mains mais ils ne savent qu’en faire, ils ont des pieds et ils ne marchent pas ; c’est qu’apparence
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n’est pas substance, et je pense que Socrate lui aussi se moque des Athéniens quand il jure par l’arbre populaire, par le chien et par le bois sec.
« Les hommes, en adorant ces choses, pèchent d’abord contre eux-mêmes. De plus, ils sont coupables d’impiété envers Dieu parce qu’ils ignorent la vérité. Les Égyptiens, je reviens à eux, ont donné le nom de Dieu à l’oignon, à la truelle de bois, aux fruits des champs que nous mangeons, qui entrent dans l’estomac et que nous rejetons. Ils ont adoré cela; mais ce n’est pas tout, ils rendent hommage au poisson, à la colombe, au chien, à la pierre, au loup, dans lesquels ils adorent les fantaisies de leur imagination. Enfin, les hommes pèchent encore toutes les fois qu’ils adressent leurs hommages aux hommes, aux anges ou aux démons et les appellent leurs dieux. »
Le préfet : « Assez philosophé, nous sommes pleins d’admiration ; maintenant Apollonius, rappelle-toi ce décret du Sénat qui ne tolère nulle part de chrétiens. »
Apollonius : « Sans doute, mais un décret humain, fût-il du Sénat, ne prévaut pas contre un décret de Dieu. Il est bien vrai que les hommes inconséquents haïssent leurs bienfaiteurs et les font mourir, et de la sorte les hommes restent éloignés de Dieu. Mais tu n’ignores pas que Dieu a décrété la mort, après la mort le jugement pour tous les hommes, rois ou mendiants, potentats, esclaves ou hommes libres, philosophes ou ignorants. On peut mourir de deux manières. Les disciples du Christ meurent tous les jours en mortifiant leurs désirs et en se renonçant à eux-mêmes suivant ce qu’enseignent les saintes Écritures. Quant à nous, nous ne cédons pas aux mauvais désirs, nous ne jetons pas des regards impurs, pas de coups d’oeil furtifs, notre oreille se refuse à écouter le mal, de peur que nos âmes en soient souillées. Mais puisque nous observons une conduite si pure et que nous pratiquons de si saintes résolutions, nous ne trouvons rien de si ardu à mourir
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pour le vrai Dieu, de qui vient tout ce que nous avons, par qui nous sommes tout ce que . nous sommes, pour qui nous affrontons les tortures afin d’éviter la mort éternelle.
« Bien plus, nous ne nous offensons pas quand on confisque nos biens, parce que nous savons que, soit dans la vie, soit dans la mort, nous appartenons à Dieu. La fièvre, la jaunisse et toute autre maladie peut tuer un homme. Moi-même, je puis m’attendre à mourir de l’une d’elles. »
Le préfet : « Tu veux mourir ? »
Apollonius : « Mon désir est de vivre dans le Christ, mais je n’ai pas sujet de craindre la mort à cause de mon attachement à la vie. Il n’y a rien de plus désirable que la vie éternelle, source d’immortalité pour l’âme qui a mené une vie honnête. »
Le préfet : « Je n’y comprends plus rien du tout. »
Apollonius : « Et cependant que puis-je dire de plus ? C’est à la parole de Dieu d’illuminer le coeur comme la lumière naturelle luit devant les yeux. »
Un philosophe qui se trouvait là dit : « Apollonius, tu te fais tort à toi-même, tu es sorti du chemin de la vérité, ce qui ne t’empêche pas de croire que tu développes de hautes vérités. »
Apollonius : « J’ai appris à prier et non à outrager, mais la façon dont tu parles témoigne l’aveuglement du coeur, car la vérité ne semble une insulte qu’à ceux qui ont perdu le sens. »
Le préfet : « Explique-toi. »
Apollonius : « Le Verbe de Dieu, le Sauveur des âmes et des corps, s’est fait homme en Judée et il a pratiqué tout le bien possible; il était rempli de sagesse et enseignait une religion pure, digne des enfants des hommes et d’imposer silence au péché. Il enseignait à apaiser la colère, modérer les désirs, détruire ou contenir les appétits, chasser la mélancolie, être compatissant, accroître l’amour, repousser la vaine gloire, s’abstenir de la vengeance, n’être pas intraitable,
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mépriser la mort, non pas tant par mépris que par indulgence pour ceux qui ont perdu toute loi, obéir aux lois de Dieu, honorer les princes, adorer Dieu, garder notre volonté fidèle au Dieu immortel, prévoir le jugement qui suit la mort, attendre la récompense qui suit la résurrection et que Dieu accorde à ceux qui ont vécu dans la sainteté.
« Il enseignait tout ce que je viens de dire avec beaucoup de force par ses paroles et par ses actions, tous ceux à qui il avait accordé quelque bienfait lui rendaient gloire. Mais enfin il fut mis à mort, comme, avant lui, les sages et les justes l’ont été eux aussi; car il semble que les justes soient un reproche aux méchants.
« Nous lisons dans la divine Écriture : Saisissons-nous de l’homme juste, car il est un sujet de reproche pour nous ; et un philosophe [Socrate] dit de son côté : « Le juste sera torturé, on lui crachera au visage, enfin il sera crucifié. »
« De même que les Athéniens ont porté contre lui une injuste sentence de mort et l’ont accusé faussement pour obéir à la canaille, de même notre Sauveur fut condamné à mort par les méchants que l’envie et la malice dévoraient, suivant la parole prophétique : Il fera du bien à tous et les persuadera, par sa bonté, d’adorer Dieu le Père et Créateur de toutes choses, en qui nous aussi nous croyons et à qui nous rendons hommage, parce que nous avons été instruits de ses saints commandements que nous ignorions, ce qui rend notre erreur moins profonde ; aussi, après une vie sainte, comptons-nous recevoir la vie future. »
Le préfet : « J’espérais que la nuit te porterait conseil. »
Apollonius : « Et moi aussi j’espérais que la nuit te porterait conseil et que ma réponse t’ouvrirait les yeux, et que ton coeur porterait des fruits, que tu adorerais Dieu, le Créateur de toutes choses, et que tu lui offrirais tes prières sous forme de compassion, car la compassion réciproque
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est un sacrifice non sanglant qui ne laisse pas d’être agréable à Dieu. »
Le magistrat : « Je voudrais bien t’accorder ton pardon, mais c’est impossible, il y a ce décret du Sénat, mais c’est sans haine que je prononce ta sentence. » Et il ordonna qu’on lui coupât la tête.
Apollonius : « Dieu soit béni pour ta sentence ! »
Et aussitôt les bourreaux l’entraînèrent et lui coupèrent la tête. Lui n’avait pas cessé de rendre honneur au Père, au Fils et au Saint-Esprit, à qui soit la gloire pour toujours. Amen