La patience, la vigilance et l’espérance (Esprit et Vie n°136 – octobre 2005)
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La patience, la vigilance et l’espérance
P. Charles Mullier
Esprit et Vie n°136 – octobre 2005 – 2e quinzaine, p. 34-35.
La fête du Christ, Roi de l’univers, célébrée dimanche dernier, a clôturé l’année liturgique. Nous entrons dans un autre temps, le temps de l’avent préparant Noël. Cette période ouvre pour l’Église une nouvelle étape dans sa marche en avant sous la conduite de l’Esprit Saint. Les lectures de ce jour nous invitent à méditer sur La patience, la vigilance et l’espérance.
Un temps de patience
Nous avons le sentiment aigu d’une absence de Dieu dans la vie du monde. Le créateur apparaît de moins en moins nécessaire à l’explication de la formation de l’univers, comme aux moyens d’assurer la vie et le bonheur des hommes. Aux yeux de nos contemporains, la religion chrétienne semble souvent obsolète, dépassée. La vie économique et sociale se construit habituellement sans référence à la conception chrétienne de l’existence. Nous participons nous-mêmes à cette vision du monde. Qui peut dire : « Je me réfère constamment à Dieu, à l’Évangile, aux enseignements de l’Église, dans mes choix, mes décisions, ma conduite, tout ce qui fait l’étoffe de ma vie » ?
Devant cette situation, même si l’interprétation traditionnelle est légitime, il serait dommage de réduire la portée des textes de ce dimanche à une mise en garde de caractère moral : « Attention ! le maître est parti en voyage mais il reviendra et chacun devra rendre compte de sa conduite ! » L’accent est à mettre aujourd’hui sur l’absence apparente du maître. Isaïe s’exclamait déjà : « Tu nous as caché ta face […] nous vivons le temps de l’absence de Dieu. » Dans l’exercice de la pastorale, nous sommes pressés de cueillir les fruits de nos efforts. N’oublions pas que d’excellents vins proviennent de vendanges tardives et qu’on ne tire pas sur une plante pour la faire grandir. Dieu a le temps pour lui, il laisse du temps au temps face à ses enfants distraits, endormis, indifférents, repliés sur la recherche égoïste de leurs petits bonheurs, incapables de comprendre où se situe leur vrai bien.
Ce temps de la patience n’est pas un temps mort, il nous est donné pour prendre des initiatives, nous secouer et agir. Les événements ne sont pas le seul résultat de la fatalité. En ce temps marqué, au premier abord, par l’absence d’un Dieu qui se serait retiré de la vie des hommes livrés à toutes sortes de convoitises, sachons qu’en permanence, malgré les apparences, l’Esprit Saint est à l’œuvre dans le cœur de chacun. Ne vivons pas en somnambules mais en veilleurs.
Un temps de vigilance
« Ce que je vous dis, je le dis à tous : veillez ! » Selon l’Évangile de Marc, ces mots clôturent la prédication du Christ, par la promesse de la venue du Fils de l’homme, à la fin du monde. Il ne s’agit pas d’une attente passive : le maître de maison délègue aux serviteurs la mission d’agir, chacun selon sa vocation : il ordonne au portier de veiller. En quelques lignes, à quatre reprises, ce verbe revient et prend même une tournure insistante : « Veillez donc ! »
Veiller, c’est l’attitude du médecin de garde dans un hôpital, du guetteur qui, du haut d’un mirador, s’efforce de détecter un incendie récent dans la forêt. C’est le rôle de la sentinelle qui veille sur le camp des soldats endormis. La vigilance n’est pas une mission confiée à des spécialistes, c’est l’affaire de tous. Elle est à l’opposé du rêve, de la distraction et le danger demeure si chacun s’enferme dans sa spécialité. Nous l’avons constaté quand, en Asie, l’annonce de l’imminence d’un raz de marée n’a pas été transmise aux populations au moment même où les sismographes enregistraient un tremblement de terre sous-marin.
Il en est de même pour le chrétien, non seulement appelé à transmettre le message de l’Évangile, mais à le faire dans un langage audible pour nos contemporains. Mieux encore, par la conviction que l’efficacité de notre témoignage dépend d’une recherche commune de la vérité.
Le pouvoir de prévention et d’action dont disposent les hommes n’est pas seulement applicable à la construction d’une digue, à la solidité d’un édifice ou au respect de la nature. Il a une dimension morale par l’appel à un meilleur partage des biens de la terre, la recherche inlassable de la paix et le respect de la justice, par exemple. En de nombreux domaines, il eût été plus judicieux de prévenir que de tenter de guérir, après coup, en catastrophe !
Un temps d’espérance
Le Christ évoque le temps de l’absence du maître… Il prophétise aussi, comme une certitude, le temps de son retour. Autant il ne convient pas de s’obnubiler sur la fin des temps au point de déserter les tâches terrestres, autant il serait déraisonnable de faire l’impasse sur les promesses de l’Écriture. Nous appartenons à un peuple en marche, tendu vers l’avenir, la rencontre du Christ et la vie éternelle.
« Veilleur, où en est la nuit ? », interroge le prophète Isaïe, et, dans un chant inspiré par son message, l’Église chante depuis des décennies : « Peuple qui marchez dans la longue nuit, le jour va bientôt se lever ; il est temps de lever les yeux vers un monde qui vient. » Cessons de nous lamenter sur la crise de la foi, la perte des valeurs, l’effondrement de la pratique religieuse. L’Évangile n’a pas pris une ride. Les jeunes des JMJ le pressentent. Les foules spontanément rassemblées place Saint-Pierre à la mort de Jean-Paul II en témoignent. Les fidèles de plus en plus nombreux présents à Lourdes le confirment. Les évêques et les théologiens réfléchissent et travaillent. L’implosion culturelle, institutionnelle et sociale de certaines formes de présence de l’Église au monde ne doit pas nous désespérer. Les insondables richesses du Christ ne sauraient être figées dans leur expression par une culture particulière. Les promesses de Dieu répondent aux légitimes aspirations des hommes.
Imitons le mieux possible la patience du Seigneur ; soyons des veilleurs attentifs aux signes des temps ; rendons compte de l’espérance qui est en nous, bien convaincus de l’amour de Dieu pour tous les hommes.
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