Archive pour le 10 décembre, 2007
Saint Jean Damascène : Deuxième Homélie sur la Dormition de la Vierge Marie
10 décembre, 2007du site:
http://www.jesusmarie.com/jean_damascene_homelies_sur_la_dormition_2.html
Saint Jean Damascène – Saint Jean de Damas
Deuxième Homélie sur la Dormition de la Vierge Marie
édition numérique par Myriam Stagnaro et www.JesusMarie.com – septembre 2002
DEUXIEME HOMELIE SUR LA DORMITION
DU MÊME, DEUXIEME DISCOURS
SUR L’ILLUSTRE DORMITION.
DE LA TOUTE SAINTE ET TOUJOURS VIERGE MARIE.
1. Il n’est entre les hommes personne qui puisse célébrer dignement la migration sacrée de la Mère de Dieu, quand même il aurait mille langues et mille bouches. Que dis-je ? Les langues de tous les hommes dispersés, fussent-elles réunies, ne parviendraient pas à exprimer les louanges qui lui conviennent. Car elle est au-dessus de toute loi du genre laudatif. Mais puisque l’offrande est chère à Dieu, qui est faite selon nos forces, par amour, par zèle et par une volonté droite, et que ceci est cher à la Mère de Dieu qui est cher et agréable à son Fils, entreprenons encore une fois ses louanges, pour obéir à vos ordres, pasteurs excellents et très aimés de Dieu, après avoir appelé à notre aide le Verbe qui s’est incarné par elle, qui remplit toute bouche s’ouvrant vers lui, et qui seul fut son ornement et son éloge souverainement glorieux. Nous savons qu’en commençant ses louanges, nous acquittons notre dette, et qu’après l’avoir acquittée, nous sommes encore ses débiteurs : ainsi la dette demeure, toujours renouvelée à mesure qu’elle est acquittée. Puisse nous
être propice celle que nous célébrons, elle qui surpasse toutes les créatures et qui domine toutes les œuvres divines, comme Mère de Dieu, du Créateur et du Démiurge, du Maître universel.
Pardonnez-moi, vous aussi, assemblée désireuse d’écouter les paroles divines ; accueillez ma bonne volonté, applaudissez à mon zèle, mais compatissez à la faiblesse de ma parole. Supposez le prince aux mains de qui Dieu a remis le gouvernail de son peuple, dont la table est toujours abondante et couverte de mets variés, et le palais embaumé de parfums précieux : si quelqu’un, hors de la saison, vient lui offrir une violette couleur de pourpre, ou une rose, fleur odorante des épines, avec son enveloppe verdoyante, dont elle sort doublement colorée en prenant par degré une belle teinte rouge, et quelque fruit de l’automne à la vive teinte de miel, ce prince, sans faire attention au peu de valeur du cadeau, remarquera sa nouveauté ; il admirera ce qu’il a d’insolite, en bon juge et en vrai connaisseur ; et il récompensera le paysan des dons les plus abondants et les plus beaux. Ainsi nous, qui dans notre hiver offrons les fleurs de notre éloquence à notre Reine, nous qui préparons notre voix vieillie à affronter les discours d’apparat, nous qui, stimulant notre bonne volonté avec notre esprit, comme on frappe une pierre avec le fer, ou pressant, comme une grappe qui n’est pas mûre, nos facultés d’élocution, pour vous donner dans ce discours une obscure étincelle et un vin nouveau, à vous qui êtes des lettrés et des auditeurs exigeants, puissions-nous être accueillis bien plus favorablement encore ! Qu
’offrir à la Mère de la Parole, sinon notre parole ? Ce qui est semblable plaît au semblable, et ce qui est amical à l’ami. A présent donc, ouvrons la barrière à notre discours, lâchons un peu les rênes et poussons-le comme un cheval à la course. Mais, ô Parole de Dieu, sois toi-même mon auxiliaire et mon secours : fais éloquente ma pensée sans éloquence ; ouvre à ma parole une carrière unie et dirige sa course vers ton bon plaisir, auquel tendent toute parole et toute pensée du sage.
I. LA MERE DE DIEU DEVAIT TRIOMPHER DE LA MORT.
La mort ne peut retenir la Théotokos, ciel vivant et trésor de la vie
2. Aujourd’hui la sainte et l’unique Vierge est amenée au temple hypercosmique et céleste, elle qui a brûlé d’une telle ardeur pour la virginité, qu’elle fut transformée en elle comme en un feu très pur. Toute vierge perd sa virginité en enfantant, mais celle-ci, vierge avant l’enfantement, demeure vierge en enfantant et après la naissance. Aujourd
’hui l’arche sacrée et vivante du Dieu vivant, celle qui a porté dans son sein son Auteur, se repose dans le temple du Seigneur non fait de main d’homme, et David, son ancêtre et l’ancêtre de Dieu, exulte ; et les anges mènent leurs chœurs avec lui, les archanges applaudissent, les Vertus rendent gloire, les Principautés avec lui tressaillent, les Dominations jubilent, les Puissances se réjouissent, les Trônes sont en fête, les Chérubins chantent des louanges, les Séraphins proclament : « Gloire ! ». Car ce n’est point pour eux une faible gloire que de glorifier la Mère de la Gloire.
Aujourd’hui la colombe toute sacrée, ? l’âme pure et innocente, consacrée par l’Esprit divin, ? envolée de l’arche, je veux dire de son corps, réceptacle de Dieu et source de vie, a trouvé « où reposer ses pieds » : elle est partie pour le monde intelligible, et s’est établie sur la terre sans tache de l’héritage d’en haut. Aujourd
’hui, l’Eden du nouvel Adam accueille le paradis spirituel, où la condamnation est effacée, où l’arbre de vie est planté, où fut recouverte notre nudité. Car nous ne sommes plus nus et sans vêtements, privés de l’éclat de la divine image, et dépouillés de la grâce abondante de l’Esprit. Nous ne déplorons plus l’antique nudité, en disant : « J’ai quitté ma tunique, comment la remettrai-je ? ». Car dans ce paradis le serpent n’eut pas d’entrée, lui dont nous avons convoité la divinisation mensongère, ce qui nous a valu de ressembler au bétail sans raison. Le Fils unique de Dieu en personne, qui est Dieu et consubstantiel au Père, de cette Vierge et de cette terre pure s’est lui-même façonné une nature humaine ». Et je suis devenu dieu, moi qui suis homme ; mortel, je suis immortalisé ; j’ai dépouillé les tuniques de peau : j’ai rejeté le manteau de la corruption, je me suis couvert du vêtement de la divinité.
Aujourd’hui la Vierge sans tache, qui n’a pas entretenu d’affections terrestres, mais s’est nourrie des pensées du ciel, n’est pas retournée à la terre » ; comme elle est en réalité un ciel vivant, elle est placée dans les tentes célestes. Qui donc en effet manquerait à la vérité en l’appelant un ciel ? A moins de dire peut-être, avec justesse et intelligence, qu’elle dépasse les cieux mêmes par d’incomparables privilèges. Car celui qui a construit les cieux et qui les contient, l’artisan de toute la création cosmique et hypercosmique, visible et invisible, qui n’est dans aucun lieu, parce qu’il est lui-même le lieu de tous les êtres ? puisque le lieu, par définition, contient ce qui est en lui ? s’est fait lui-même en elle petit enfant, sans semence humaine : il a fait d’elle la spacieuse demeure de sa divinité qui remplit tout, unique et sans limites ; tout entier ramassé en elle sans s’amoindrir, et demeurant tout entier en dehors, étant à soi-même son lieu infini. Aujourd
’hui le trésor de la vie, l’abîme de la grâce ? je ne sais comment m’exprimer de mes lèvres audacieuses et intrépides ? entre dans l’ombre d’une mort porteuse de vie ; sans crainte elle s’en approche, elle qui a engendré son destructeur, si toutefois il est permis d’appeler mort son départ plein de sainteté et de vie.
Car celle qui pour tous fut la source de la vraie vie, comment tomberait-elle au pouvoir de la mort ? Mais elle obéit à la loi établie par son propre enfant, et comme fille du vieil Adam, elle acquitte la dette paternelle, puisque son Fils même, qui est la vie en personne, ne l’a pas reniée ». Mais comme Mère du Dieu vivant, il est juste qu’elle soit emportée auprès de lui. Car si Dieu a dit : « De peur que l’homme », le premier créé, « n’étende la main, ne cueille de l’arbre de vie, n’en goûte et ne vive pour la durée des temps … », comment celle qui a reçu la vie elle-même, sans principe et sans terme, affranchie des limites du commencement et de la fin, ne vivrait-elle pas pour la durée illimitée ?
Eve et Marie devant la mort.
3. Jadis, le Seigneur Dieu frappa les auteurs de la race mortelle, qui s’étaient
gorgés du vin de la désobéissance, avaient assoupi le regard de leur cœur par l’ivresse de la transgression, appesanti les yeux de leur esprit par l’intempérance du péché, et s’étaient endormis d’un sommeil de mort ; il les exila et les chassa du Paradis d’Eden. Mais ici, celle qui a repoussé tout mouvement de passion, qui a produit le germe de l’obéissance à Dieu et au Père, l’initiatrice de la vie pour la race entière, le Paradis ne la recevra-t-il pas ? Oui, n’en doutons pas. Eve, qui prêta l’oreille au message du serpent, qui écouta la suggestion de l’ennemi, dont les sens goûtèrent le charme du plaisir mensonger et trompeur, emporte une sentence de tristesse et d’affliction ; elle subit les douleurs de l’enfantement, elle est condamnée à la mort avec Adam et reléguée aux profondeurs de l’Hadès. Mais celle-ci, la toute heureuse en vérité, qui s’inclina docile à la parole de Dieu, fut remplie de la force de l’Esprit et reçut dans son sein, à l’assurance de l’archange, celui qui était la bienveillance paternelle, elle qui, sans volupté et sans union humaine, conçut la Personne du Verbe de Dieu qui remplit tout, elle qui enfanta sans les douleurs naturelles, elle qui fut unie à Dieu dans tout son être, comment la mort pourrait-elle l’engloutir ? l’Hadès se fermer sur elle ? Comment la corruption oserait-elle s’en prendre au corps qui a contenu la vie ? Toutes choses qui répugnent et sont absolument étrangères à l’âme et au corps qui ont porté Dieu.
La mort recule avec crainte.
A son seul aspect, la mort est saisie d’effroi : instruite par sa défaite quand elle s’attaqua à son Fils, la leçon de l’expérience l’a rendue prudente. Non, celle-ci n’a pas connu les sombres descentes de l’Hadès, mais la voie vers le ciel, droite, unie et facile, lui a été préparée. Si le Christ, qui est vie et vérité, a dit : « Où je suis, là aussi sera mon serviteur », comment sa Mère, bien davantage, n’habiterait-elle pas avec lui ? L’enfantement avait prévenu les douleurs, sans douleurs aussi fut son départ de cette vie. « La mort des pécheurs est funeste », mais pour celle en qui « l’aiguillon de la mort, le péché », a été tué, que dirons-nous, sinon que sa mort fut l’entrée dans une vie immortelle et meilleure ? Précieuse, en vérité, la mort des saints du Seigneur Dieu des armées : plus que précieuse la migration de la Mère de Dieu.
Cité vivante de Dieu et Jérusalem céleste. Maintenant, que les cieux se r
éjouissent, que les anges applaudissent ! Maintenant, « que la terre exulte », que les hommes bondissent de joie ! Maintenant, que l’air retentisse des chants de l’allégresse, que la nuit obscure rejette la ténèbre sinistre et son manteau de deuil, mais que, brillante, elle imite l’éclat du jour avec des éclairs de feu. La vivante cité du Seigneur Dieu des armées est élevée dans les hauteurs, et les rois apportent un présent inestimable, du temple du Seigneur, l’illustre Sion, dans la Jérusalem d’en haut, celle qui est libre, celle qui est leur mère : ceux que le Christ a établis chefs de toute la terre ? les Apôtres ? escortent la Mère de Dieu, la toujours Vierge.
II. LA TRADITION DE L’EGLISE DE JERUSALEM
CONCERNANT LA DORMITION. Dans la sainte Sion, centre de toutes les
églises.
4. Et ici, il ne me paraît pas déplacé de décrire par la parole, autant que cela
est possible, d’évoquer et de faire revivre en un tableau les merveilles qui se sont accomplies à propos de cette sainte Mère de Dieu : c’est une tradition dont on peut dire raisonnablement, et d’une manière très générale, qu’elle nous est transmise de père en fils depuis une époque ancienne. Je me la repr
ésente, plus sainte que les saints, sacrée entre toutes, vénérable entre toutes, cette douce demeure de la manne, ou plutôt et plus véritablement, sa source, étendue sur un lit de repos, dans la divine et renommée cité de David, dans cette Sion illustre et couronnée de gloire, où fut menée à son terme la loi selon la lettre, et proclamé le nom de l’esprit ; où le Christ législateur mit fin à la Pâque typique, et où le Dieu de l’ancienne et de la nouvelle Alliance a transmis la Pâque véritable ; où l’Agneau de Dieu qui porte le péché du monde a initié ses disciples au repas mystique, et pour eux s’est immolé comme le veau gras et a foulé la grappe de la vraie vigne. Là le Christ ressuscité des morts se fait voir aux Apôtres, et amène Thomas, et par lui l’univers, à croire qu’il est Dieu et Seigneur, ayant en lui deux natures, même après sa résurrection, avec deux opérations qui leur correspondent, et des décisions libres qui demeurent pour l’éternité. C’est là la métropole des églises, c’est là le séjour des disciples. Là l’Esprit très saint est survenu, avec grand bruit, multitude de langues et apparence de feu, et fut répandu sur les Apôtres. Là le héraut de la parole de Dieu, qui avait reçu chez lui la Mère de Dieu, subvenait à ses besoins. Cette demeure, qui est la mère des églises de la terre entière, devint la résidence de la Mère de Dieu après le retour de son Fils d’entre les morts. C’est donc là que la bienheureuse Vierge reposait sur son lit trois fois béni.
5. Mais parvenu à ce point de mon discours, s’il faut dévoiler mes sentiments
intimes, je suis consumé d’une vive ardeur et d’un feu brûlant, saisi d’un frisson avec des larmes de joie, comme si j’embrassais en réalité ce lit bienheureux et aimable, débordant de merveilles, qui reçut la demeure d’où est sortie la vie, et qui à son contact a participé à sa sainteté. Cette demeure sacrée elle-même, sacro-sainte, digne de Dieu, il me semblait la tenir de mes mains, l’entourer de mes bras. Les yeux, les lèvres, le front, le cou, les joues, appliqués à ces membres, j’ai eu le sentiment de toucher le corps comme s’il était présent, et cependant avec toute mon attention je n’ai pu voir de mes yeux ce que je désirais. Comment apercevoir ce qui a été emporté dans les hauteurs vers les parvis célestes Mais en voilà assez sur ce point. Marie, reine des ap
ôtres, des prophètes et des anges, qui l’entourent.
6. Quels honneurs lui furent alors rendus par l’auteur de la loi qui prescrit
d’honorer ses parents ! Ceux qui
étaient dispersés sur toute l’étendue de la terre pour leur mission de pêcheurs d’hommes, ceux qui, par les harmonies multiples et les langues variées de l’Esprit, avec le filet de leur parole, ramenaient les hommes des abîmes de l’erreur jusqu’à la table spirituelle et céleste du repas mystique, au festin sacré des noces spirituelles de l’époux céleste, que le Père célèbre avec une splendeur toute royale en l’honneur de son Fils, son égal en puissance et en nature, ? voici que par un ordre divin, la nuée les amenait, à la manière d’un filet, vers Jérusalem, elle les pressait et les rassemblait, comme des aigles, des extrémités de la terre. « Là où est le corps, a dit le Christ qui est la vérité, les aigles se rassembleront. » Sans doute cette parole s’applique à la seconde parousie de celui qui l’a prononcée, parousie grandiose et manifeste, et à sa descente du ciel ; cependant il ne sera pas hors de propos de l’employer ici comme un agrément du discours. Ils étaient donc là, les témoins oculaires et les serviteurs de la Parole, pour servir aussi sa Mère, selon leur devoir, et pour puiser auprès d’elle la bénédiction, comme un magnifique et précieux héritage. Pour qui, en effet, est-ce une opinion douteuse, qu’elle soit la source de la bénédiction et la fontaine jaillissante de tous les biens ? Avec eux étaient leurs compagnons et leurs successeurs, pour avoir part à leur service comme à la bénédiction qu’ils en recevaient où le travail est commun, les fruits du travail le sont dans la même proportion. Et pareillement la communauté, élue de Dieu, de tous ceux qui séjournaient à Jérusalem.
Il convenait aussi que les principaux des anciens justes et des prophètes se joignissent à leur escorte, pour prendre part à cette garde sacrée, eux qui avaient annoncé d’avance que le Dieu Verbe devait naître de cette femme, à cause de nous, et devait prendre chair par amour pour les hommes. Mais l
’assemblée même des anges n’était pas exclue. Tout être en effet qui obéissait au désir du Roi et méritait par là l’honneur de l’assister, devait escorter aussi sa Mère selon la chair, celle qui est vraiment bienheureuse et bénie, celle qui l’emporte sur toutes les générations et sur la création entière. Ils étaient tous auprès d’elle ; la lumière de l’Esprit resplendissait, et ses rayons étincelants les éclairait, tandis qu’avec respect et crainte, immobiles dans une attitude d’amour, ils fixaient sur elle le pur regard de leur esprit.
Aucun être ne faisait exception. Aucun, même parmi les plus élevés de ceux qui ne sont comparables à nul autre, ne refusa de s’abaisser et de s’acquitter de tous ces services.
Tous célèbrent les merveilles de l’amour divin et de l’Incarnation. 7. Alors ce furent des paroles divinement inspir
ées et de divins entretiens.
Alors sans doute des hymnes dignes de Dieu se firent entendre, pour accompagner ce départ. Il fallait célébrer une fois de plus, à cette occasion, la bonté plus qu’infinie, la grandeur au-dessus de toute grandeur, la puissance qui dépasse sans mesure toute puissance, et la sagesse de Dieu à notre égard, qui défie toute hauteur et toute grandeur, la richesse infinie de la bienveillance incompréhensible, l’abîme insondable de l’amour. Il fallait dire comment, sans abandonner sa propre majesté, le Verbe est descendu jusqu’au dépouillement d’où sortirait son élévation, avec l’assentiment bienveillant du Père et de l’Esprit ; comment le Suressentiel a pris substance du sein d’une femme, selon un mode suressentiel ; comment il est Dieu et s’est fait homme, et demeure en même temps l’un et l’autre ; comment sans quitter la substance de la divinité, à la ressemblance de notre « condition », il a « participé à la chair et au sang » ; comment Celui qui remplit tout et porte l’univers par la parole de sa propre bouche, est venu habiter une étroite demeure ; comment enfin le corps de cette femme admirable, matière fragile et semblable à la paille, reçut le « feu dévorant » de la divinité en restant, comme l’or pur, inconsumé. C’est par la volonté de Dieu que ces mystères se sont accomplis. Quand Dieu veut, toutes choses deviennent possibles ; rien n’est réalisable si sa volonté s’y oppose.
Là-dessus, tous rivalisèrent de paroles, non pour l’emporter les uns sur les autres ? ce qui serait d’un esprit avide de vaine gloire, et loin de ce qui plaît à Dieu ?, mais afin que leur ardeur et leur force ne faiblissent en rien pour célébrer Dieu et honorer la Mère de Dieu. Invocations supr
êmes des saints et de toute l’Eglise.
8. Alors Adam et Eve, alors les ancêtres de notre race, de leurs lèvres
joyeuses, bien haut s’écrièrent : Heureuse es-tu, ô fille, qui as aboli pour nous la peine de la transgression ! Tu as hérité de nous un corps périssable, et tu as porté dans ton sein, pour nous, un vêtement d’incorruptibilité. Vivre, voilà ce que tu as pris de notre chair, mais vivre heureux, voilà ce qu’en retour tu nous as donné ; tu as supprimé les douleurs, tu as brisé les liens de la mort. Tu as restauré notre ancienne demeure ; nous avions fermé le Paradis, toi, tu as ouvert à nouveau l’accès de l’arbre de vie. Par notre faute, les biens s’étaient changés en peines : grâce à toi, de ces peines sont sortis, pour nous, de plus grands biens. Comment goûterais-tu la mort, ô toi qui es sans souillure ? Pour toi elle sera un pont qui conduit à la vie, une échelle vers le ciel ; la mort sera un passage à l’immortalité. Oui, réellement, tu es heureuse, toi la tout heureuse ! Qui en effet, à moins d’être le Verbe, se fût offert à supporter ce que nous apprenons qu’il a accompli ?
Et tout le chœur des saints joignait ses applaudissements : Tu as réalisé nos prédictions, tu nous as apporté la joie attendue, puisque, grâce à toi, nous voilà affranchis des chaînes de la mort. Viens à nous, ô trésor divin et porteur de vie. Viens vers nous, qui te désirons, toi qui as comblé notre désir ! Mais des paroles non moins pressantes la retenaient, celles de la multitude des saints qui l
’entouraient, encore vivants dans leurs corps : Demeure avec nous, disaient-ils, toi notre consolation, notre seul réconfort sur la terre. Ne nous laisse pas orphelins, ô Mère, nous qui pour ton Fils compatissant affrontons le danger. Puissions-nous te garder comme repos dans nos peines, comme rafraîchissement de nos sueurs ! Si tu veux rester, tu en as le pouvoir, et si ton désir est de t’éloigner, rien ne t’arrête. Si tu t’en vas, toi la demeure de Dieu, laisse-nous partir avec toi, nous qui sommes appelés ton peuple à cause de ton Fils. En toi nous possédons la seule consolation qui nous soit laissée sur terre. Heureux de vivre avec toi si tu vis, de te suivre dans la mort si tu meurs ! Mais que disons-nous « si tu meurs » ? Pour toi, même la mort est une vie, et une vie meilleure, préférable, sans comparaison possible, à la vie présente. Mais pour nous la vie est-elle encore une vie, si nous sommes privés de ta compagnie ?
9. Telles étaient, j’imagine, les paroles que les Apôtres, avec tout l’ensemble
de l’Eglise, adressaient à la bienheureuse Vierge. Mais quand ils virent la Mère de Dieu se hâter vers son départ d’ici-bas, et s’y porter de tout son désir, ils se mirent à chanter des hymnes accordés à ce départ, soulevés qu’ils étaient par la grâce divine, et prêtant leur bouche à l’Esprit ; et, ravis hors de la chair, aspirant à s’en aller avec la Mère de Dieu qui s’en allait, ils devançaient leur propre départ, autant qu’ils le pouvaient, par l’intensité de leur désir. Lorsqu’ils eurent tous satisfait à leur ferveur comme à leur devoir, et tressé de leurs hymnes sacrés une couronne de fleurs riches et variées, ils obtinrent leur part de bénédiction, comme un trésor venu de Dieu. Ils prononcèrent alors les paroles du départ et de l’heure suprême : elles disaient, je le suppose, que la vie présente est fragile et passagère, et mettaient en lumière les mystères cachés des biens à venir. Les Fils vient
à la rencontre de sa mère. La mort. 10. A ce moment certains faits durent survenir, en accord avec ces
circonstances et réclamés par elles, me semble-t-il : je veux dire la venue du Roi vers sa propre mère, pour accueillir, de ses mains divines et pures, sa sainte âme toute claire et immaculée. Et elle, sans doute, dit alors : Dans tes mains, mon Fils, je remets mon esprit. Reçois mon âme, qui t’est chère, et que tu as préservée de toute faute. A toi, et non à la terre, je remets mon corps ; garde sain et sauf ce corps en qui tu daignas habiter, et dont, en naissant, tu préservas la virginité. Emporte-moi près de toi, afin que là où tu es, toi le fruit de mes entrailles, je sois aussi, pour partager ta demeure ! Je m’empresse de retourner à toi, qui descendis vers moi en supprimant toute distance. Quant à mes enfants très aimés, que tu as bien voulu appeler tes frères, console-les toi-même de mon départ. Ajoute à celle qu’ils ont déjà une nouvelle bénédiction par l’imposition de mes mains. ? Et, levant les mains, on peut croire qu’elle bénit les assistants réunis. Après ces mots, elle entendit à son tour une voix : Viens ma mère bénie, « dans mon repos ». « Lève-toi, viens, ma bien-aimée », belle entre les femmes : « car voilà l’hiver passé, et le temps de la taille des branches est venu. » « Belle est ma bien-aimée, et il n’y a pas de défaut en toi. » « L’odeur de tes parfums surpasse tous les aromates ! »
Ces paroles entendues, la Sainte remet son esprit entre les mains de son Fils.
Le corps de la Vierge, source de bénédictions.
11. Et qu’advient-il alors ? Je suppose les éléments ébranlés et bouleversés,
des voix, des rumeurs, des fracas, et, ainsi qu’il convient, les hymnes des anges qui précèdent, accompagnent et suivent. Les uns rendaient leurs devoirs et faisaient escorte à l’âme irréprochable de toute sainte, et l’accompagnaient dans sa montée au ciel, jusqu’au trône royal où ils amenèrent la Reine, tandis que d’autres se rangeaient en cercle autour du corps divin et sacré, et de leurs chants angéliques célébraient la Mère de Dieu. Quant à ceux qui se tenaient tout auprès de ce corps saint et sacré, avec crainte et ardent amour, avec des larmes d’allégresse, ils entouraient ce divin et tout heureux tabernacle, ils l’embrassaient, baisaient tous ses membres, ils touchaient ce corps, comblés à son contact de sainteté et de bénédiction. Alors les maladies étaient en fuite, les bandes de démons en déroute, de partout refoulées aux demeures souterraines. L’ai, l’éther, le ciel étaient sanctifiés par la montée de l’esprit, la terre par la déposition du corps. L’eau elle-même ne fut pas exclue de bette bénédiction, car le corps est lavé d’une eau pure, qui ne le purifie pas, mais est bien plutôt sanctifiée. Alors l’ouïe était rendue aux sourds dans son intégrité, les pieds des boiteux s’affermissaient, les aveugles retrouvaient la vue ; pour les pécheurs qui s’approchaient avec foi, le décret de condamnation était déchiré. Que supposer ensuite ? Dans des linges purs le corps pur est enveloppé, et la Reine est replacée sur un lit. Des flambeaux, des parfums, des chants funèbres l’entourent ; dans la langue des anges, un hymne se fait entendre, tel qu’ils peuvent le moduler, tandis que les Apôtres et les Pères tout remplis de Dieu chantent des cantiques divins composés par l’Esprit.
« Transfert de l’arche. »
12. C’est alors que l’arche du Seigneur, ayant quitté la montagne de Sion,
portée sur les épaules glorieuses des Apôtres, est transférée dans le temple céleste par l’intermédiaire du tombeau. Et d’abord elle est conduite à travers la ville, comme une épouse d’une parfaite beauté, ornée de l’éclat immatériel de l’Esprit, et ainsi elle est amenée dans l’enclos très saint de Gethsémani ; des anges la précèdent, l’accompagnent, la couvrent de leurs ailes, avec l’Eglise en sa plénitude. Et comme le roi Salomon, pour faire reposer l
’arche dans le temple du Seigneur, qu’il avait lui-même édifié, convoqua « tous les anciens d’Israël à Sion pour faire monter l’arche de l’alliance du Seigneur, de la cité de David, qui est Sion » ? « et les prêtres portèrent l’arche et la tente du témoignage, et les prêtres et les lévites la firent monter ; et le roi et tout le peuple sacrifièrent devant l’arche bœufs et moutons en quantité innombrable ; et les prêtres apportèrent l’arche de l’alliance du Seigneur à sa place, au Dabir du Temple, dans le Saint des saints, sous les ailes des chérubins » ? ainsi maintenant, pour faire reposer l’arche spirituelle, non de l’alliance du Seigneur, mais de la Personne même du Verbe de Dieu, le nouveau Salomon lui-même, prince de la paix et Maître Ouvrier de l’univers, a convoqué aujourd’hui les ordres hypercosmiques des esprits célestes et les chefs de la nouvelle alliance : les Apôtres, avec tout le peuple des saints qui se trouvaient à Jérusalem. Par les anges, il introduit l’âme au Saint des saints, dans les archétypes véritables et célestes, sur les ailes mêmes des animaux à quadruple figure, et l’établit près de son propre trône, à l’intérieur du voile, où le Christ lui-même, en précurseur, a pénétré corporellement. Quant au corps, il est porté en procession tandis que le Roi des rois le recouvre de l’éclat de son invisible divinité, et que l’assemblée entière des saints marche devant lui, pousse de saintes acclamations et offre « un sacrifice de louange », jusqu’au moment où il est introduit dans le tombeau comme dans une chambre nuptiale, et, à travers lui, dans les délices de l’Eden et dans les tabernacles célestes.
Légende du profanateur. 13. Des Juifs pouvaient se trouver l
à aussi, de ceux qui n’avaient pas perdu
tout jugement droit. Il n’est pas déplacé de mêler à notre récit, comme un condiment au repas, l’histoire qui court sur les lèvres d’un grand nombre. On raconte qu’au moment où les porteurs du corps bienheureux de la Mère de Dieu commençaient à descendre la pente de la montagne, un Hébreu esclave du péché et lié par un pacte avec l’erreur, imitant le valet de Caïphe qui avait souffleté le visage souverain et divin du Christ notre Dieu, et devenu l’instrument du diable, dans un emportement téméraire et insensé, se jeta d’un élan démoniaque sur cette demeure toute divine dont les anges s’approchaient avec crainte ; des deux mains saisissant le lit funèbre, dans l’égarement de sa folie, il voulu le faire tomber à terre : une attaque encore de la haine envieuse de l’auteur du mal ! Mais le fruit de ses efforts le prévint, et il récolta un raisin amer digne de son entreprise. On raconte qu’il fut privé de l’usage de ses mains, et l’on pu voir celui qui de ses propres mains avait commis l’indigne attentat, apparaître soudain mutilé, jusqu’au moment où, cédant à la foi et au repentir, il vint à résipiscence. Aussitôt en effet les porteurs du lit funèbre s’étaient arrêtés, et le malheureux aux mains mutilées, les ayant approchées de ce tabernacle, principe de vie et source de miracles, se retrouva sain et sauf. C’est ainsi que le malheur lui-même est capable d’enfanter de saines et de salutaires décisions. Mais revenons à notre récit.
Assomption corporelle.
14. Ensuite le corps est porté au lieu très saint de Gethsémani. Ce sont
encore baisers et embrassements, encore louanges et hymnes sacrés, invocations et larmes ; la sueur de l’angoisse et de la douleur s’épanche. Et ainsi le corps très saint est placé dans le glorieux et magnifique monument. De là, après trois jours, il est emporté dans les hauteurs vers les demeures célestes.
III. CONVENANCE DE L’ASSOMPTION.
GRACES QUI DECOULENT DE CE MYSTERE. Pourquoi l
’Assomption ?
Il fallait en effet que cette demeure digne de Dieu, la source non creusée de main d’homme, d’où jaillit l’eau qui remet les péchés, la terre non labourée, productrice du pain céleste, la vigne qui sans être arrosée donna le vin d’immortalité, l’olivier toujours verdoyant de la miséricorde du Père, aux fruits magnifiques, ne subît pas l’emprisonnement des abîmes de la terre. Mais de même que le corps saint et pur, que le Verbe divin, par elle, avait uni à sa Personne, le troisième jour est ressuscité du tombeau, elle aussi devait être arrachée à la tombe, et la mère associée à son Fils. Et comme il était descendu vers elle, ainsi elle-même, objet de son amour, devait être transportée jusque dans « le tabernacle plus grand et plus parfait », « jusqu’au ciel lui-même ». Il fallait que celle qui avait donn
é asile au Verbe divin dans son sein, vînt habiter dans les tabernacles de son Fils. Et comme le Seigneur avait dit qu’il devait être dans la demeure de son propre Père, il fallait que sa mère demeurât au palais de son Fils, « dans la maison du Seigneur, dans les parvis de la maison de notre Dieu. » Car si là est « la demeure de tous ceux qui sont dans la joie », où donc habiterait la cause de la joie ?
Il fallait que celle qui dans l’enfantement avait gardé intacte sa virginité, conservât son corps sans corruption, même après sa mort. Il fallait que celle qui avait port
é petit enfant son Créateur dans son sein, vécût dans les tabernacles divins.
Il fallait que l’épouse que le Père s’était choisie vînt habiter au ciel la demeure nuptiale. Il fallait que celle qui avait contempl
é son Fils en Croix et reçu alors au cœur le glaive de douleur qui l’avait épargnée dans son enfantement, le contemplât assis auprès de son Père.
Il fallait que la Mère de Dieu entrât en possession des biens de son Fils, et fût honorée comme Mère et servante de Dieu par toute la création. L’héritage passe toujours des parents aux enfants ; ici cependant, pour emprunter l’expression d’un sage, les sources du fleuve sacré remontent vers leur origine. Car le Fils a soumis à sa mère la création tout entière. R
éalisme de l’Incarnation et de la maternité divine.
15. Eh bien donc, à notre tour, aujourd’hui, célébrons la fête du départ de la
Mère de Dieu, non point avec des flûtes ni des chants de corybantes, ni par les thiases orgiaques de celle qu’on appelle la Mère des dieux faussement nommés : les insensés, dans leurs imaginations fabuleuses, lui attribuent beaucoup d’enfants, alors que la vérité montre qu’elle n’en eut aucun. Ce ne sont que des démons, des fantômes vains comme des ombres, qui feignent sottement ce qu’ils ne sont pas, aidés en cela par la folie qui égare les hommes. Un être sans corps peut-il engendrer ? Comment s’unirait-il à un autre ? Et comment appeler un dieu ce qui n’existe pas auparavant, et apparaît par la naissance ? Que la race des dieux, en effet, soit incorporelle, c’est l’évidence pour tout homme, même pour ceux dont les yeux spirituels sont aveugles. Car Homère décrit ainsi, en un passage de ses œuvres la complexion des dieux qui sont dignes de lui : Ils ne mangent pas le pain, ni ne boivent le vin couleur de feu ; aussi sont-ils exsangues, et appel
és immortels.
Ils ne se nourrissent pas de pain, dit-il, ils ne boivent pas le vin qui donne la chaleur. Voilà pourquoi ils n’ont pas de sang et on leur donne le nom d’immortels. Il dit très justement : on les appelle. On les dit immortels ; mais ils ne sont pas ce que l’on dit, car ils ont péri de male mort. Quant
à nous, comme celui que nous adorons est Dieu, un Dieu qui n’est pas venu du non-être à l’existence, mais qui est éternel engendré de l’éternel, qui dépasse toute cause, parole, idée soit de temps soit de nature, c’est la Mère de Dieu que nous honorons et vénérons. Nous ne voulons pas dire qu’il tienne d’elle la naissance intemporelle de sa divinité ? la génération du Verbe de Dieu est hors du temps et éternelle comme le Père. ? Mais nous confessons une seconde naissance, par incarnation volontaire, et de celle-ci nous connaissons la cause et nous la proclamons : il se fait chair, celui qui est éternellement incorporel, « à cause de nous et à cause de notre salut », pour sauver le semblable par le semblable. Et s’incarnant, il naît de cette Vierge sacrée sans union humaine, restant lui-même Dieu tout entier, et tout entier devenu homme ; pleinement Dieu avec sa chair, et pleinement homme avec son infinie divinité. C’est en reconnaissant ainsi cette Vierge comme Mère de Dieu que nous célébrons sa dormition : nous ne l’appelons pas une déesse ? loin de nous ces fables de l’imposture grecque ! ? puisque nous annonçons aussi sa mort. Mais nous la reconnaissons pour la Mère de Dieu incarné.
16. Célébrons-la aujourd’hui, par des chants sacrés, nous qui avons été
enrichis au point d’être le peuple du Christ et de porter ce nom ! Honorons-la par des stations nocturnes ! Réjouissons-la par la pureté de l’âme et du corps, elle qui réellement est plus pure que tous les êtres sans exception après Dieu : car le semblable se plaît au semblable. Rendons-lui hommage par notre miséricorde et notre compassion à l’égard des indigents. Si rien ne fait honneur à Dieu comme la miséricorde, qui contestera que sa Mère soit honorée par les mêmes sentiments, elle qui a mis à notre disposition cet abîme ineffable, l’amour de Dieu pour nous ? M
édiatrice de tous les biens.
Par elle nos hostilités séculaires avec le Créateur ont pris fin. Par elle notre réconciliation avec Lui fut proclamée, la paix et la grâce nous furent données, les hommes unissent leurs chœurs à ceux des anges, et nous voilà faits enfants de Dieu, nous qui étions auparavant un objet de mépris ! Par elle nous avons vendangé le raisin qui donne la vie ; d’elle nous avons cueilli le germe de l’incorruptibilité. De tous les biens elle est devenue pour nous la médiatrice. En elle Dieu s’est fait homme, et l’homme est devenu Dieu. Prosopop
ée du tombeau. Grâces et guérisons.
17. Et toi, le plus saint des tombeaux sacrés, du moins après le tombeau
vivifiant du Seigneur, qui fut le berceau de la Résurrection ? je m’adresserai à toi comme à un être vivant ?, où est l’or dans alliage que les mains des Apôtres déposèrent en toi comme un trésor ? Où est la richesse inépuisable ? Où est l’objet précieux reçu de Dieu ? Où est la table vivante, le livre nouveau dans lequel, ineffablement, la Parole divine s’est inscrite sans le secours de la main ? Où est l’abîme de la grâce, l’océan des guérisons ? Où est la source génératrice de vie ? Où est le corps de la Mère de Dieu, objet de tant de vœux et de tant d’amour ? ? Pourquoi cherchez-vous dans un tombeau celle qui fut
élevée aux
demeures célestes ? Pourquoi me demander compte de sa perte ? Je n’ai pas le pouvoir de m’opposer aux ordres divins. Laissant son linceul, le corps saint et sacré, qui m’a communiqué sa sainteté, m’a embaumé de son parfum et a fait de moi un temple divin, ce corps a été enlevé et s’en est allé, escorté des anges, des archanges et de toutes les puissances célestes. Maintenant les anges m’entourent. Maintenant en moi la divine grâce réside ? Me voici devenu pour les malades le remède qui chasse tous les maux. Je suis une source éternelle de guérison ; je suis la terreur qui met en fuite les démons ; je suis la ville de refuge pour ceux qui recourent à moi. Approchez avec foi, ô peuples, venez puiser le flot abondant des grâces. Armez-vous d’une foi sans hésitation, et approchez. « Vous qui avez soif, venez vers les eaux », selon l’invitation d’Isaïe, « et vous tous qui n’avez pas d’argent, venez et achetez gratuitement. » A tous j’adresse l’appel clamé par l’Evangile : Celui qui a soif de la guérison des maladies, de la délivrance des passions de l’âme, de l’absolution de ses péchés, de l’éloignement des épreuves de toutes sortes, du repos du Royaume des Cieux, avec foi qu’il avance vers moi, et qu’il puise les flots tout puissants et tout efficaces de la grâce ! De même en effet que la vertu de l’eau, comme celle de la terre, de l’air, de l’éclatant soleil, tout en étant simple et une, s’adapte à la nature différente des objets qui la partagent, et devient dans la vigne le vin, l’huile dans l’olivier : ainsi la grâce, simple et une en elle-même, diversement et analogiquement, fait du bien à ceux qui la reçoivent, suivant les besoins de chacun. Ce n’est point en vertu de ma nature que je possède la grâce. Tout sépulcre est plein d’odeur fétide, cause de tristesse, ennemi de la joie. Mais j’ai reçu un parfum d’un grand prix, et j’ai eu part à son arôme, parfum si odorant et si puissant qu’un léger contact en procure une participation impérissable. Oui, vraiment, « les dons de Dieu sont sans repentance. » J’ai reçu chez moi une source de joie, et pour toujours j’ai été enrichi de son jaillissement.
Extrait de l’Histoire euthymiaque. 18. Vous voyez, chers p
ères et frères, tout ce que nous révèle ce tombeau
plein de gloire. Et comme preuve qu’il en est bien ainsi, voici ce qui est écrit en propres termes dans l’Histoire euthymiaque, au troisième discours, chapitre 40 :
On dit plus haut comment sainte Pulchérie éleva dans Constantinople de nombreuses églises au Christ. L’une d’elles est celle qui fut édifiée aux Blachernes au début du règne de Marcien, de divine mémoire. Ces souverains donc, ayant bâti en cet endroit un sanctuaire dédié à la glorieuse et toute sainte Théotokos, Marie toujours Vierge, et l’ayant orné de tout le décor possible, étaient à la recherche de son corps très saint, qui avait reçu Dieu. Ils firent appeler l’archevêque de Jérusalem, Juvénal, et les évêques de Palestine, qui se trouvaient alors dans la capitale à cause du concile qui s’était tenu à Chalcédoine, et ils leur dirent : « Nous apprenons qu’il y a, à Jérusalem, la première église de la toute sainte Théotokos et toujours Vierge Marie, magnifique entre toutes, à l’endroit appelé Gethsémani, où le corps de cette Vierge, qui fut le séjour de la vie, fut déposé dans un cercueil. Or nous voulons faire venir ici cette relique pour la sauvegarde de cette capitale. » Prenant la parole, Juv
énal répondit : « Dans la sainte Ecriture inspirée de Dieu on ne raconte pas ce qui se passa à la mort de la sainte Théotokos Marie, mais nous tenons d’une tradition ancienne et très véridique qu’au moment de sa glorieuse dormition, tous les saints Apôtres, qui parcouraient la terre pour le salut des nations, furent assemblés en un instant par la voie des airs à Jérusalem. Quand ils furent près d’elle, des anges leur apparurent dans une vision, et un divin concert des puissances supérieures se fit entendre. Et ainsi, dans une gloire divine et céleste, la Vierge remit aux mains de Dieu sa sainte âme d’une manière ineffable. Quant à son corps, réceptacle de la divinité, il fut transporté et enseveli, au milieu des chants des anges et des Apôtres, et déposé dans un cercueil à Gethsémani, où pendant trois jours persévéra sans relâche le chant des chœurs angéliques. Après le troisième jour, ces chants ayant cessé, les Apôtres présents ouvrirent le cercueil à la demande de Thomas qui seul avait été loin d’eux, et qui, venu le troisième jour, voulu vénérer le corps qui avait porté Dieu. Mais son corps digne de toute louange, ils ne purent aucunement le trouver ; ils ne trouvèrent que ses vêtements funèbres déposés là, d’où s’échappait un parfum ineffable qui les pénétrait, et ils refermèrent le cercueil. Saisis d’étonnement devant le prodige mystérieux, voici seulement ce qu’ils pouvaient conclure : celui qui dans sa propre personne daigna s’incarner d’elle et se faire homme, Dieu le Verbe, le Seigneur de la gloire, et qui garda intacte la virginité de sa Mère après son enfantement, celui-là avait voulu encore, après son départ d’ici-bas, honorer son corps virginal et immaculé du privilège de l’incorruptibilité, et d’une translation avant la résurrection commune et universelle.
Etaient présents alors avec les Apôtres, le saint apôtre Timothée, premier évêque d’Ephèse, et Denys l’Aréopagite, comme lui-même, le grand Denys, dans ses discours adressés au susdit apôtre Thimothée, au sujet du bienheureux Hiérothée, lui-même alors présent, en témoigne en ces termes :
« Même auprès de nos pontifes inspirés, en effet ? lorsque nous-mêmes, comme tu le sais, et lui et beaucoup de nos saints frères, nous nous réunîmes pour contempler le corps qui fut principe de vie, en présence aussi de Jacques, frère du Seigneur, et de Pierre, la plus haute et la plus ancienne autorité des théologiens, et lorsqu’on décida, après cette contemplation, que chacun de tous les pontifes célébrerait selon son pouvoir la bonté infiniment puissante de la force théarchique, ? après les théologiens, tu le sais, il dépassait tous les autres initiateurs sacrés, tout ravi, tout transporté hors de lui-même, subissant l’emprise profonde de l’objet qu’il célébrait ; et tous ceux qui l’entendaient, qui le voyaient, qui le connaissaient sans qu’il les reconnût, le tenaient pour un inspiré de Dieu et pour un divin auteur d’hymnes. Mais à quoi bon t’entretenir de ce qui fut alors dit de Dieu ? Car, si ma propre mémoire ne me trompe, je sais que j’ai entendu souvent de ta bouche des fragments de ces hymnes inspirés. »
A cette réponse, les souverains demandèrent à l’archevêque Juvénal lui-même de leur envoyer, dûment scellé, ce saint cercueil avec les vêtements funèbres de la glorieuse et toute sainte Théotokos Marie, qui s’y trouvaient. L’ayant reçu, ils le déposèrent dans le sanctuaire élevé aux Blachernes en l’honneur de la sainte Théotokos. Tels furent donc les faits. Imitation de la tr
ès sainte Vierge.
19. Et que dirons-nous, à notre tour au tombeau ? Ta grâce est inépuisable et
permanente, mais la puissance divine n’est pas limitée par les lieux, ni les bienfaits de la Mère de Dieu. S’ils se bornaient au sépulcre, le don divin n’atteindrait que peu d’hommes. Mais c’est en toutes les régions du monde qu’ils sont libéralement distribués. Ainsi donc, faisons de notre mémoire le trésor de la Théotokos. Comment y parvenir ? Elle est vierge, et amie de la virginité ; elle est chaste et amie de la chasteté. Si donc avec le corps nous purifions la mémoire, nous obtiendrons sa grâce qui viendra habiter chez nous. Elle évite toute souillure et se détourne de la fange des passions. Elle exècre l’intempérance ; elle a horreur des convoitises de la honteuse fornication, dont elle fuit les impurs propos comme une engeance de vipères, elle repousse les paroles et les chants honteux et lascifs, et rejette les parfums des courtisanes. Elle d
éteste l’enflure de l’orgueil ; elle n’admet pas l’inhumanité ni les querelles. Elle repousse la vaine gloire qui se fatigue pour le néant. Elle s’oppose en adversaire au faste de la superbe. Elle déteste le souvenir des injures, cet ennemi du salut. Tous les vices, elle les tient pour poisons mortels, et prend sa joie dans leurs contraires. Car les contraires se guérissent par les contraires. Le jeûne, la maîtrise de soi, les chants des psaumes lui sont agréables. Avec la pureté, la virginité, la sagesse, elle se plaît, entretient avec elles une paix éternelle, les embrasse avec amour. Elle accueille la paix et l’esprit de douceur, elle reçoit dans ses bras comme ses enfants, la charité, la pitié, l’humilité. Et pour tout dire en un mot, attristée et irritée par tout vice, elle se réjouit de toute vertu comme de sa grâce propre.
Si donc nous évitons avec courage nos vices passés, si nous aimons de toute notre ardeur les vertus et que nous les prenions pour compagnes, elle multipliera ses visites auprès de ses propres serviteurs, avec, à sa suite, l’ensemble de tous les biens ; et elle prendra avec elle le Christ son Fils Roi et Seigneur universel, qui habitera en nos cœurs. A Lui gloire, honneur, force, majesté et magnificence, avec le Père sans principe et le Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Amen.
www.JesusMarie.com
par Sandro Magister : Une lecture incontournable pour les visiteurs de la Chapelle Sixtine: l’encyclique « Spe salvi »
10 décembre, 2007du site:
http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/181001?fr=y
Une lecture incontournable pour les visiteurs de la Chapelle Sixtine: l’encyclique « Spe salvi »
Le Jugement dernier revient en force sur le devant de la scène. Un livre grand format propose une nouvelle interprétation de la fresque de Michel-Ange. Et Benoît XVI, avec sa seconde encyclique, apporte un nouvel éclairage sur les destinées ultimes de l’homme et du monde
par Sandro Magister
ROMA, le 7 décembre 2007 – Benoît XVI a écrit l’encyclique “Spe salvi”, entièrement de sa main, entre l’hiver et le printemps derniers. Mais il a décidé de la publier à la fin de l’année liturgique, à la veille de l’Avent, au moment où les lectures de la messe dirigent le regard sur le Jugement dernier.
Une partie importante de l’encyclique est consacrée au Jugement dernier. L’autocritique à laquelle le pape appelle le christianisme moderne porte aussi sur ce chapitre essentiel de la foi chrétienne, qu’il juge « terni », au profit d’une vision individualiste du destin de l’homme.
L’idée du Jugement dernier subsiste dans l’art plus que dans la foi. Mais les artistes eux-aussi – fait remarquer le pape – n’ont pas toujours exprimé le sens complet et authentique du Jugement dernier qu’ils représentaient. Ils ont fait ressortir la « menace » plus que la « splendeur de l’espérance ».
Le Christ juge peint par Michel-Ange dans la Chapelle Sixtine est l’image du Jugement dernier la plus célèbre du monde. On y constate en effet que « non seulement le geste de condamnation du Christ secoue tout son corps musclé, mais il constitue aussi l’élément qui donne vie à la fresque. Il fait trembler toute l’œuvre jusque dans ses coins les plus éloignés. Son bras droit levé qui condamne est le même bras qui expédiera juste après tous les mauvais dans les profondeurs de l’enfer ».
C’est en ces termes que le Christ juge de la Sixtine est décrit par le jésuite allemand Heinrich W. Pfeiffer, 68 ans, professeur d’histoire de l’art chrétien à l’Université pontificale grégorienne, dans un livre splendide intitulé « La Sistina svelata [La Chapelle Sixtine révélée]« , publié cet automne au Vatican.
Le volume, de grand format et magnifiquement illustré, permet de voir et de comprendre – comme jamais auparavant – le sens théologique des peintures de la fameuse chapelle pontificale, qui culminent dans le Jugement dernier peint à fresque par Michel-Ange sur le mur qui surplombe l’autel.
En « révélant » le Jugement, Pfeiffer met en lumière à la fois sa dimension de menace – c’est ce qui frappe en premier le spectateur – mais aussi celle d’espérance chrétienne.
Sur la partie droite de la fresque, par exemple, on voit un groupe de corps que les anges et les démons semblent se disputer farouchement. Erreur. Ces hommes et ces femmes sont des pécheurs sauvés. Ils ne sont frappés par les anges que pour être purifiés au moment de monter vers la gloire du ciel, tandis que les démons tentent vainement de les retenir. C’est la partie de la fresque qui représente le purgatoire.
Dans son encyclique « Spe Salvi », Benoît XVI rétablit lui aussi la vérité sur le purgatoire: un autre chapitre terni dans le christianisme actuel, mais qui a pu survivre dans l’immortelle « Divine Comédie » de Dante.
Là où la foi vacille, l’art et la poésie viennent à son secours. C’est le miracle d’une civilisation à racines chrétiennes.
Les pages que Benoît XVI a consacrées, dans son encyclique sur l’espérance, au Jugement dernier, à l’enfer, au paradis et au purgatoire, sont reproduites ci-dessous.
L’édition de ces volumes est assurée par les Musées du Vatican, la librairie èditrice du Vatican et la maison Jaca Book, spécialisée dans les livres d’art.
« La Sistina svelata » est disponible en italien, mais aussi en anglais (Abbeville Press, New York), en français (« La Chapelle Sixtine révélée », éditions Hazan, Paris), en espagnol (Lunwerg, Barcelone), en allemand (Belser Verlag, Stuttgart) et en polonais (Bialy Kruk, Cracovie). Des éditions en russe, en lituanien et en grec suivront.
En tout cas, la lecture de ce volume mais plus encore celle de l’encyclique « Spe Salvi » permettent de contempler le Jugement dernier d‘un œil neuf. Pas seulement celui de Michel-Ange. Le nôtre à tous.
Voici les passages ad hoc de l’encyclique, extraits des paragraphes 41-47:
Le Jugement final, image décisive de l’espérance
par Benoît XVI
Dans le grand Credo de l’Église, la partie centrale, qui traite du mystère du Christ, [...] se conclut par les paroles: « Il reviendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts ». Déjà dès les tout premiers temps, la perspective du Jugement a influencé les chrétiens jusque dans leur vie quotidienne en tant que critère permettant d’ordonner la vie présente, comme appel à leur conscience et, en même temps, comme espérance dans la justice de Dieu. [...] Cependant, dans le développement de l’iconographie, on a ensuite donné toujours plus d’importance à l’aspect menaçant et lugubre du Jugement, qui évidemment fascinait les artistes plus que la splendeur de l’espérance, souvent excessivement cachée sous la menace.
À l’époque moderne, la préoccupation du Jugement final s’estompe: la foi chrétienne est individualisée et elle est orientée surtout vers le salut personnel de l’âme; la réflexion sur l’histoire universelle, au contraire, est en grande partie dominée par la préoccupation du progrès. Toutefois, le contenu fondamental de l’attente du jugement n’a pas simplement disparu. Maintenant il prend une forme totalement différente.
L’athéisme des XIXe et XXe siècles est, selon ses racines et sa finalité, un moralisme: une protestation contre les injustices du monde et de l’histoire universelle. Un monde dans lequel existe une telle quantité d’injustice, de souffrance des innocents et de cynisme du pouvoir ne peut être l’œuvre d’un Dieu bon. Le Dieu qui aurait la responsabilité d’un monde semblable ne serait pas un Dieu juste et encore moins un Dieu bon. C’est au nom de la morale qu’il faut contester ce Dieu. Puisqu’il n’y a pas de Dieu qui crée une justice, il semble que l’homme lui-même soit maintenant appelé à établir la justice.
Si face à la souffrance de ce monde la protestation contre Dieu est compréhensible, la prétention que l’humanité puisse et doive faire ce qu’aucun Dieu ne fait ni est en mesure de faire est présomptueuse et fondamentalement fausse. Que d’une telle prétention s’ensuivent les plus grandes cruautés et les plus grandes violations de la justice n’est pas un hasard, mais est fondé sur la fausseté intrinsèque de cette prétention.
Un monde qui doit se créer de lui-même sa justice est un monde sans espérance. Personne et rien ne répondent pour la souffrance des siècles. Personne et rien ne garantissent que le cynisme du pouvoir – sous n’importe quel habillage idéologique conquérant qu’il se présente – ne continue à commander dans le monde.
Ainsi les grands penseurs de l’école de Francfort, Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, ont critiqué de la même façon l’athéisme et le théisme.
Horkheimer a radicalement exclu que puisse être trouvé un quelconque succédané immanent pour Dieu, refusant cependant en même temps l’image du Dieu bon et juste. Dans une radicalisation extrême de l’interdit vétéro-testamentaire des images, il parle de la « nostalgie du totalement autre » qui demeure inaccessible – un cri du désir adressé à l’histoire universelle.
De même, Adorno s’est conformé résolument à ce refus de toute image qui, précisément, exclut aussi l’ »image » du Dieu qui aime. Mais il a aussi toujours de nouveau souligné cette dialectique « négative » et il a affirmé que la justice, une vraie justice, demanderait un monde « dans lequel non seulement la souffrance présente serait anéantie, mais que serait aussi révoqué ce qui est irrémédiablement passé ».
Cependant, cela signifierait – exprimé en symboles positifs et donc pour lui inappropriés – que la justice ne peut être pour nous sans résurrection des morts. Néanmoins, une telle perspective comporterait « la résurrection de la chair, une chose qui est toujours restée étrangère à l’idéalisme, au règne de l’esprit absolu ».
* * *
Du refus rigoureux de toute image, qui fait partie du premier Commandement de Dieu (cf. Ex 20, 4), le chrétien lui aussi peut et doit apprendre toujours de nouveau. La vérité de la théologie négative a été mise en évidence au IVe Concile du Latran, qui a déclaré explicitement que, aussi grande que puisse être la ressemblance constatée entre le Créateur et la créature, la dissemblance est toujours plus grande entre eux.
Pour le croyant, cependant, le renoncement à toute image ne peut aller jusqu’à devoir s’arrêter, comme le voudraient Horkheimer et Adorno, au « non » des deux thèses, au théisme et à l’athéisme.
Dieu lui-même s’est donné une « image »: dans le Christ qui s’est fait homme. En Lui, le Crucifié, la négation des fausses images de Dieu est portée à l’extrême. Maintenant Dieu révèle son propre Visage dans la figure du souffrant qui partage la condition de l’homme abandonné de Dieu, la prenant sur lui. Ce souffrant innocent est devenu espérance-certitude: Dieu existe et Dieu sait créer la justice d’une manière que nous ne sommes pas capables de concevoir et que, cependant, dans la foi nous pouvons pressentir. Oui, la résurrection de la chair existe. Une justice existe. La « révocation » de la souffrance passée, la réparation qui rétablit le droit existent.
C’est pourquoi la foi dans le Jugement final est avant tout et surtout espérance – l’espérance dont la nécessité a justement été rendue évidente dans les bouleversements des derniers siècles. Je suis convaincu que la question de la justice constitue l’argument essentiel, en tout cas l’argument le plus fort, en faveur de la foi dans la vie éternelle.
Le besoin seulement individuel d’une satisfaction qui dans cette vie nous est refusée, de l’immortalité de l’amour que nous attendons, est certainement un motif important pour croire que l’homme est fait pour l’éternité, mais seulement en liaison avec le fait qu’il est impossible que l’injustice de l’histoire soit la parole ultime, la nécessité du retour du Christ et de la vie nouvelle devient totalement convaincante.
La protestation contre Dieu au nom de la justice ne sert à rien. Un monde sans Dieu est un monde sans espérance (cf. Ep 2, 12). Seul Dieu peut créer la justice. Et la foi nous donne la certitude qu’Il le fait.
L’image du Jugement final est en premier lieu non pas une image terrifiante, mais une image d’espérance; pour nous peut-être même l’image décisive de l’espérance. [...] Dieu est justice et crée la justice. C’est cela notre consolation et notre espérance. Mais dans sa justice il y a aussi en même temps la grâce. Nous le savons en tournant notre regard vers le Christ crucifié et ressuscité.
Justice et grâce doivent toutes les deux être vues dans leur juste relation intérieure. La grâce n’exclut pas la justice. Elle ne change pas le tort en droit. Ce n’est pas une éponge qui efface tout, de sorte que tout ce qui s’est fait sur la terre finisse par avoir toujours la même valeur.
Par exemple, dans son roman « Les frères Karamazov », Dostoïevski a protesté avec raison contre une telle typologie du ciel et de la grâce. À la fin, au banquet éternel, les méchants ne siégeront pas indistinctement à table à côté des victimes, comme si rien ne s’était passé. [...]
Dans la parabole du riche bon vivant et du pauvre Lazare (cf. Lc 16, 19-31), Jésus nous a présenté en avertissement l’image d’une telle âme ravagée par l’arrogance et par l’opulence, qui a créé elle-même un fossé infranchissable entre elle et le pauvre; le fossé de l’enfermement dans les plaisirs matériels; le fossé de l’oubli de l’autre, de l’incapacité à aimer, qui se transforme maintenant en une soif ardente et désormais irrémédiable. Nous devons relever ici que Jésus dans cette parabole ne parle pas du destin définitif après le Jugement universel, mais il reprend une conception qui se trouve, entre autre, dans le judaïsme ancien, à savoir la conception d’une condition intermédiaire entre mort et résurrection, un état dans lequel la sentence dernière manque encore. [...]
* * *
L’Église primitive a repris ces conceptions, à partir desquelles ensuite, dans l’Église occidentale, s’est développée petit à petit la doctrine du purgatoire. Nous n’avons pas besoin de faire ici un examen des chemins historiques compliqués de ce développement; demandons-nous seulement de quoi il s’agit réellement.
Avec la mort, le choix de vie fait par l’homme devient définitif – sa vie est devant le Juge. Son choix, qui au cours de toute sa vie a pris forme, peut avoir diverses caractéristiques. Il peut y avoir des personnes qui ont détruit totalement en elles le désir de la vérité et la disponibilité à l’amour. Des personnes en qui tout est devenu mensonge; des personnes qui ont vécu pour la haine et qui en elles-mêmes ont piétiné l’amour. C’est une perspective terrible, mais certains personnages de notre histoire laissent distinguer de façon effroyable des profils de ce genre. Dans de semblables individus, il n’y aurait plus rien de remédiable et la destruction du bien serait irrévocable: c’est cela qu’on indique par le mot « enfer ».
D’autre part, il peut y avoir des personnes très pures, qui se sont laissées entièrement pénétrer par Dieu et qui, par conséquent, sont totalement ouvertes au prochain – personnes dont la communion avec Dieu oriente déjà dès maintenant l’être tout entier et dont le fait d’aller vers Dieu conduit seulement à l’accomplissement de ce qu’elles sont désormais.
Selon nos expériences, cependant, ni un cas ni l’autre ne sont la normalité dans l’existence humaine. Chez la plupart des hommes – comme nous pouvons le penser – demeure présente au plus profond de leur être une ultime ouverture intérieure pour la vérité, pour l’amour, pour Dieu. Cependant, dans les choix concrets de vie, elle est recouverte depuis toujours de nouveaux compromis avec le mal – beaucoup de saleté recouvre la pureté, dont cependant la soif demeure et qui, malgré cela, émerge toujours de nouveau de toute la bassesse et demeure présente dans l’âme.
Qu’est-ce qu’il advient de tels individus lorsqu’ils comparaissent devant le juge? Toutes les choses sales qu’ils ont accumulées dans leur vie deviendront-elles peut-être d’un coup insignifiantes ? Ou qu’arrivera-t-il d’autre?
Dans la Première lettre aux Corinthiens, saint Paul nous donne une idée de l’impact différent du jugement de Dieu sur l’homme selon son état. [...] Paul dit avant tout de l’expérience chrétienne qu’elle est construite sur un fondement commun: Jésus Christ. Ce fondement résiste. Si nous sommes demeurés fermes sur ce fondement et que nous avons construit sur lui notre vie, nous savons que ce fondement ne peut plus être enlevé, pas même dans la mort.
Puis Paul continue: « On peut poursuivre la construction avec de l’or, de l’argent ou de la belle pierre, avec du bois, de l’herbe ou du chaume, mais l’ouvrage de chacun sera mis en pleine lumière au jour du jugement. Car cette révélation se fera par le feu, et c’est le feu qui permettra d’apprécier la qualité de l’ouvrage de chacun. Si l’ouvrage construit par quelqu’un résiste, celui-là recevra un salaire; s’il est détruit par le feu, il perdra son salaire. Et lui-même sera sauvé, mais comme s’il était passé à travers un feu » (3, 12-15).
Dans ce texte, en tout cas, il devient évident que le sauvetage des hommes peut avoir des formes diverses; que certaines choses édifiées peuvent brûler totalement; que pour se sauver il faut traverser soi-même le « feu » pour devenir définitivement capable de Dieu et pour pouvoir prendre place à la table du banquet nuptial éternel.
* * *
Certains théologiens récents sont de l’avis que le feu qui brûle et en même temps sauve est le Christ lui-même, le Juge et Sauveur. La rencontre avec Lui est l’acte décisif du Jugement. Devant son regard s’évanouit toute fausseté. C’est la rencontre avec Lui qui, nous brûlant, nous transforme et nous libère pour nous faire devenir vraiment nous-mêmes. Les choses édifiées durant la vie peuvent alors se révéler paille sèche, vantardise vide et s’écrouler. Mais dans la souffrance de cette rencontre, où l’impur et le malsain de notre être nous apparaissent évidents, se trouve le salut. Le regard du Christ, le battement de son cœur nous guérissent grâce à une transformation certainement douloureuse, comme « par le feu ». Cependant, c’est une heureuse souffrance, dans laquelle le saint pouvoir de son amour nous pénètre comme une flamme, nous permettant à la fin d’être totalement nous-mêmes et avec cela totalement de Dieu.
Ainsi se rend évidente aussi la compénétration de la justice et de la grâce: notre façon de vivre n’est pas insignifiante, mais notre saleté ne nous tache pas éternellement, si du moins nous sommes demeurés tendus vers le Christ, vers la vérité et vers l’amour. En fin de compte, cette saleté a déjà été brûlée dans la Passion du Christ.
Au moment du Jugement, nous expérimentons et nous accueillons cette domination de son amour sur tout le mal dans le monde et en nous. La souffrance de l’amour devient notre salut et notre joie. Il est clair que la « durée » de cette brûlure qui transforme, nous ne pouvons la calculer avec les mesures chronométriques de ce monde. Le « moment » transformant de cette rencontre échappe au chronométrage terrestre – c’est le temps du cœur, le temps du « passage » à la communion avec Dieu dans le Corps du Christ.
Le Jugement de Dieu est espérance, aussi bien parce qu’il est justice que parce qu’il est grâce. S’il était seulement grâce qui rend insignifiant tout ce qui est terrestre, Dieu resterait pour nous un débiteur de la réponse à la question concernant la justice – question décisive pour nous face à l’histoire et face à Dieu lui-même. S’il était pure justice, il pourrait être à la fin pour nous tous seulement un motif de peur.
L’incarnation de Dieu dans le Christ a tellement lié l’une à l’autre – justice et grâce – que la justice est établie avec fermeté: nous attendons tous notre salut « dans la crainte de Dieu et en tremblant » (Ph 2, 12). Malgré cela, la grâce nous permet à tous d’espérer et d’aller pleins de confiance à la rencontre du Juge que nous connaissons comme notre « avocat » (parakletos) (cf. 1 Jn 2, 1).
Angélus du Dimanche 9 décembre
10 décembre, 2007du site:
http://www.zenit.org/article-16828?l=french
Angélus du Dimanche 9 décembre
ROME, Dimanche 9 décembre 2007 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte de la méditation que le pape Benoît XVI a prononcée à l’occasion de la prière de l’Angélus, ce dimanche, en présence des pèlerins réunis place Saint-Pierre.
AVANT L’ANGELUS
Chers frères et sœurs !
Hier, en la solennité de l’Immaculée Conception, la liturgie nous a invités à tourner notre regard vers Marie, mère de Jésus et notre mère, Etoile d’espérance pour tout homme. Aujourd’hui, deuxième dimanche de l’Avent, elle nous présente la figure austère du Précurseur, que l’évangéliste Matthieu présente ainsi : « En ces jours-là, paraît Jean le Baptiste, qui proclame dans le désert de Judée : ‘Convertissez-vous, car le Royaume des cieux est tout proche’ » (Mt 3, 1-2). Sa mission a été celle de préparer et d’aplanir le chemin devant le Messie, appelant le peuple d’Israël à se repentir de ses péchés et à corriger toute iniquité. Par des paroles exigeantes Jean Baptiste annonçait le jugement imminent : « Tout arbre qui ne produit pas de bons fruits va être coupé et jeté au feu » (Mt 3, 10). Il mettait surtout en garde contre l’hypocrisie de ceux qui se sentaient en sécurité pour le seul fait d’appartenir au peuple élu : Devant Dieu – disait-il – personne n’a de titres dont il peut se vanter, mais doit porter « des fruits qui expriment [sa] conversion » (Mt 3, 8).Alors que le chemin vers l’Avent se poursuit, alors que nous nous pr
éparons à célébrer le Noël du Christ, cet appel de Jean Baptiste à la conversion retentit dans nos communautés. C’est une invitation pressante à ouvrir nos cœurs et à accueillir le Fils de Dieu qui vient au milieu de nous pour faire connaître le jugement divin. Le Père – écrit l’évangéliste Jean – ne juge personne, mais a confié au Fils le pouvoir de juger, parce qu’il est le Fils de l’homme (cf. Jn 5, 22.27). Et c’est aujourd’hui, maintenant, que se joue notre destin futur ; c’est avec le comportement concret que nous adoptons dans cette vie que nous décidons de notre sort éternel. Au crépuscule de notre vie sur terre, au moment de notre mort, nous serons jugés en fonction de notre ressemblance ou non avec l’Enfant qui va naître dans la pauvre grotte de Bethléem, car c’est Lui le critère de mesure que Dieu a donné à l’humanité. Le Père céleste, qui nous a manifesté son amour miséricordieux à travers la naissance de son Fils unique, nous appelle à suivre ses pas en faisant, comme Lui, un don d’amour de nos vies. Les fruits de l’amour sont ces « fruits qui expriment la conversion » auxquels se réfère Jean Baptiste, lorsqu’il s’adresse, avec des paroles incisives, aux pharisiens et aux sadducéens accourus parmi la foule, pour recevoir son baptême.
A travers l’Evangile, Jean Baptiste continue à parler, tout au long des siècles, à chaque génération. Ses paroles dures et claires sont particulièrement salutaires pour nous, hommes et femmes, à une époque où même la manière de vivre et de percevoir Noël subit malheureusement très souvent l’influence d’une mentalité matérialiste. La « voix » du grand prophète nous demande de préparer le chemin du Seigneur qui vient, dans les déserts d’aujourd’hui, déserts extérieurs et intérieurs, assoiffés de l’eau vive qui est le Christ. Que la Vierge Marie nous conduise vers une authentique conversion du cœur, afin que nous puissions faire les choix nécessaires pour accorder nos mentalités avec l’Evangile.
APRES L’ANGELUS
Dans l’après-midi du jeudi 13 décembre prochain je rencontrerai les universitaires de Rome, au terme de la messe qui sera présidée par le cardinal Camillo Ruini. Je vous attends nombreux, chers jeunes, pour nous préparer à Noël en invoquant le don de l’Esprit de sagesse pour toute la communauté universitaire.
Puis le pape a dit en français :
Je vous salue, chers pèlerins francophones, venus pour la prière de l’Angélus. Pendant ce temps de l’Avent, la prédication de Jean le Baptiste éclaire notre attente du Sauveur : il n’est pas de meilleure façon, nous dit-il, pour préparer la venue du Seigneur que de nous convertir, de produire dès aujourd’hui un fruit de justice et de nous laisser purifier par Dieu. Puissions-nous ainsi aplanir le chemin du Seigneur qui vient. Avec ma Bénédiction apostolique
bonne nuit
10 décembre, 2007« Aujourd’hui nous avons vu des choses extraordinaires »
10 décembre, 2007Saint Irénée de Lyon (vers 130-vers 208), évêque, théologien et martyr
Contre les hérésies III, 2, 2 (trad. SC 34, p. 345)
« Aujourd’hui nous avons vu des choses extraordinaires »
Le Verbe de Dieu est venu habiter dans l’homme ; il s’est fait « Fils de l’Homme » pour habituer l’homme à recevoir Dieu et pour habituer Dieu à habiter dans l’homme, comme il a plu au Père. Voilà pourquoi le signe de notre salut, l’Emmanuel né de la Vierge, a été donné par le Seigneur lui-même (Is 7,14). C’est en effet le Seigneur lui-même qui sauve les hommes, puisque ceux-ci ne peuvent pas se sauver par eux-mêmes… Le prophète Isaïe a dit : « Affermissez-vous, mains affaiblies, genoux chancelants ! Ranimez votre courage, coeurs défaillants ; affermissez-vous, ne craignez plus ! Voici notre Dieu qui exerce lui-même le jugement ; il vient lui-même, il va nous sauver » (35,3-4). Car c’est seulement du secours de Dieu, et non de nous-mêmes, que nous pouvions tenir notre salut.
Voici un autre texte où Isaïe a prédit que celui qui nous sauve n’est ni simplement un homme, ni un être incorporel : « Ce n’est pas un messager, ce n’est pas un ange, mais c’est le Seigneur lui-même qui sauvera son peuple. Parce qu’il l’aime, il lui pardonnera ; lui-même, il le délivrera » (63,9). Mais ce Sauveur est aussi vraiment un homme, visible : « Cité de Sion, voici : tes yeux verront notre Sauveur » (33,20)… Un autre prophète a dit : « Lui-même il se retournera, nous fera miséricorde, et jettera nos péchés au fond de la mer » (Mi 7,19)… Du pays de Juda, de Bethléem (Mi 5,1) devait venir le Fils de Dieu, qui est aussi Dieu, pour répandre sa louange sur toute la terre… Dieu donc s’est bien fait homme et le Seigneur lui-même nous a sauvés en nous donnant le signe de la Vierge.