per Sandro Magister: Pourquoi Benoît XVI est si prudent au sujet de la lettre des 138 musulmans

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Pourquoi Benoît XVI est si prudent au sujet de la lettre des 138 musulmans

Parce que le dialogue qu’il souhaite est tout autre. Le pape demande à l’islam de suivre le même cheminement qu’avait accompli l’Eglise catholique sous la pression des Lumières. L’amour de Dieu et du prochain doit se réaliser dans l’acceptation totale de la liberté religieuse

 par Sandro Magister

ROMA, le 26 novembre 2007 La lettre adressée le mois dernier par les 138 musulmans à Benoît XVI et aux chefs des autres Eglises chrétiennes a reçu une spectaculaire réponse collective dans un message signé par 300 chercheurs, publié dans le numéro du 18 novembre du « New York Times ». Le message a vu le jour à la Divinity School de luniversité de Yale, notamment sous limpulsion de son doyen Harold W. Attridge, professeur dexégèse du Nouveau Testament.Les signataires appartiennent pour la plupart à des confessions protestantes, de tendance « evangelical » ou « liberal ». Parmi eux figure une personnalité: le théologien Harvey Cox. Mais on trouve aussi dans cette liste des 300 un évêque catholique, Camillo Ballin, vicaire apostolique au Kuweit. Sont également catholiques lislamologue John Esposito, de luniversité de Georgetown, et les théologiens Donald Senior, passioniste, et Thomas P. Rausch, jésuite, de la Loyola Marymount University. Cest aussi le cas bien quils se situent à la lisière de lorthodoxie de Paul Knitter, spécialiste du dialogue interreligieux et dElizabeth Schüssler Fiorenza, une théologienne féministe qui enseigne à

Harvard. Le message fait l’éloge de la lettre des 138. Il sen approprie le contenu, cest-à-dire lindication de lamour de Dieu et du prochain comme « parole commune » entre musulmans et chrétiens, au centre du Coran comme de la Bible. Et il commence par une demande de pardon « au Dieu unique de toutes les miséricordes et à la communauté musulmane du monde entier ».Une demande de pardon expliquée de la maniè

re suivante: « Puisque Jésus dit: Enlève dabord la poutre de ton œil, et alors tu verras clair pour enlever la paille de l’œil de ton frère (Matthieu 7,5), nous voulons commencer en reconnaissant que dans le passé (les Croisades) comme dans le présent (les excès de la guerre contre la terreur), de nombreux chrétiens ont été coupables de péchés à lencontre notre prochain musulman ».Lors de la diffusion de ce message, ses promoteurs ont annoncé quil sera suivi par des rencontres avec certains signataires de la lettre des 138, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et au Moyen-Orient. Des rencontres qui seront également ouvertes aux juifs.

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Face à cette ardeur au dialogue, Benoît XVI et les dirigeants du Saint-Siège paraissent plus prudents et réservés.Dès quil a reçu la lettre des 138 musulmans, le Saint-Siège en a aimablement accusé réception. Mais il a renvoyé à plus tard une réponse plus approfondie.En outre, le premier commentaire à la lettre des 138 émis à ce jour par un organisme rattaché au Saint-Siège lInstitut pontifical d’études arabes et dislamologie (PISAI) a été étouffé, bien quil mette en évidence les éléments nouveaux et positifs de l

initiative musulmane.Même « L’Osservatore Romano » nen a pas parlé. Lunique référence à la lettre des 138 qui ait figuré jusqu’à présent dans le journal du Saint-Siège se trouve dans une note qui annonçait et commentait la rencontre du 6 novembre entre le roi Abdallah dArabie Saoudite et Benoît XVI. « L’Osservatore » na même pas parlé des commentaires consacrés à la lettre des 138 par deux jésuites islamologues que le pape apprécie beaucoup, lEgyptien Samir Khalil Samir et lAllemand Christian W. Troll.Mais cest justement en lisant ces commentaires en particulier celui de Troll que lon comprend pourquoi l

Eglise de Rome est si prudente.Troll relève que la lettre des 138 musulmans, en insistant sur les commandements de lamour de Dieu et de son prochain comme « parole commune » au Coran et à la Bible, semble vouloir porter le dialogue uniquement sur le terrain doctrinal et théologique.Cependant remarque Troll il y a une différence abyssale entre le Dieu unique des musulmans et le Dieu trinitaire des chrétiens, avec le Fils qui sest fait homme. La vraie « parole commune » doit être cherchée ailleurs: « en appliquant ces commandements à la réalité concrète des sociétés pluralistes, ici et maintenant ». Elle doit être cherchée dans la protection des droits de lhomme, de la liberté religieuse, de la parité entre lhomme et la femme, de la distinction entre le pouvoir religieux et le pouvoir politique. La lettre des 138 est é

vasive ou muette sur tous ces sujets. Et cest un choix délibéré. Lun des principaux auteurs de la lettre, le théologien libyen Aref Ali Nayed, professeur à luniversité de Cambridge, sexplique ainsi dans une interview accordée à « Catholic News Service », lagence de la conférence des évêques des Etats-Unis:« Le dialogue éthico-social est utile et lon en a grand besoin. Mais ce type de dialogue se produit déjà chaque jour, par le biais dinstitutions tout à fait séculières comme les Nations Unies et ses organismes. Si des communautés fondées sur la révélation religieuse veulent vraiment apporter leur contribution à lhumanité, leur dialogue doit être fondé théologiquement et spirituellement. De nombreux théologiens musulmans ne sont pas du tout intéressés par un dialogue purement éthique entre culture et civilisation ».

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Quel est en revanche le dialogue avec lislam voulu par Benoît XVI ?Le pape la expliqué de la manière la plus limpide dans un passage du discours quil a adressé à la curie le 22 décembre 2006 à loccasion de la présentation des vœux de Noël: »Dans un dialogue à intensifier avec l’Islam, nous devrons garder à l’esprit le fait que le monde musulman se trouve aujourd’hui avec une grande urgence face à une tâche très semblable à celle qui fut imposée aux chrétiens à partir du siècle des Lumières et à laquelle le Concile Vatican II a apporté des solutions concrè

tes pour l’Eglise catholique au terme d’une longue et difficile recherche.« Il s’agit de l’attitude que la communauté des fidèles doit adopter face aux convictions et aux exigences qui s’affirment dans la philosophie des Lumières. »D’une part, nous devons nous opposer à la dictature de la raison positiviste, qui exclut Dieu de la vie de la communauté et de l’organisation publique, privant ainsi l’homme de ses critères spé

cifiques de mesure.« D’autre part, il est nécessaire d’accueillir les véritables conquêtes de la philosophie des Lumières, les droits de l’homme et en particulier la liberté de la foi et de son exercice, en y reconnaissant les éléments essentiels également pour l’authenticité de la religion. »De même que dans la communauté chrétienne, il y a eu une longue recherche sur la juste place de la foi face à ces convictions – une recherche qui ne sera certainement jamais conclue de façon définitive – ainsi, le monde musulman également, avec sa tradition propre, se trouve face au grand devoir de trouver les solutions adaptées à cet é

gard.« Le contenu du dialogue entre chrétiens et musulmans consistera en ce moment en particulier à se rencontrer dans cet engagement en vue de trouver les solutions appropriées. Nous chrétiens, nous sentons solidaires de tous ceux qui, précisément sur la base de leur conviction religieuse de musulmans, s’engagent contre la violence et pour l’harmonie entre foi et religion, entre religion et liberté« .

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Il ny a pas de trace dans la lettre des 138 de cette proposition adressée par Benoît XVI au monde musulman en décembre 2006. Signe que la distance entre les visions de lun et des autres est réellement grande.La vision de Benoît XVI est la même que celle que dautres autorités du Saint-Siège manifestent chaque fois quils abordent ce sujet. Preuve en est, le message adressé aux musulmans en octobre dernier, à loccasion de la fin du Ramadan, par le conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, présidé par le cardinal Jean-Louis Tauran. Un message qui est lui aussi centré sur « la liberté de la foi et son exercice » comme devoir de toutes les religions, conformément au « plan du Créateur ».Cest une vision que Ratzinger défend depuis des années avec une grande cohérence, d

abord en tant que cardinal puis en tant que pape.Le discours de Ratisbonne sur la juste « synergie entre foi et raison » en est la fondation la plus achevée.Mais cest aussi dans la discussion que Benoît XVI avait eue en janvier 2004 à Munich avec le philosophe laïc Jürgen Habermas quil faut chercher les bases de sa conception du dialogue avec l

islam et les autres religions.A cette occasion, Ratzinger avait déclaré quun « droit naturel » de valeur universelle nest en fait pas reconnu à lheure actuelle par lensemble des cultures et des civilisations. Sur ce sujet, on constate des désaccords entre les unes et les autres et à lintérieur de chacune delles. Mais il a montré la voie pour que « les normes et les valeurs essentielles que tous les êtres humains connaissent ou entrevoient » puissent être éclairées et « assurer lunité du monde ». Cette voie, cest celle dun lien positif entre raison et foi, « appelées à se purifier mutuellement » des pathologies qui les exposent toutes deux à la domination de la violence.Un grand chercheur a analysé avec beaucoup de lucidité la vision qua Benoît XVI de lislam: cest le juriste allemand Ernst-Wolfgang Böckenförde. Il a exposé son point de vue dans un essai paru cette anné

e en Allemagne et traduit en italien par la revue « Il Regno ».Böckenförde est en plein accord avec le pape quand il dit quen ce qui concerne la liberté de religion, lislam est confronté au même défi que les chrétiens du temps des Lumières.LEglise catholique a répondu à ce défi, lors du Concile Vatican II, par la déclaration « Dignitatis Humanae » sur la liberté religieuse fondé

e sur les droits de la personne.Mais le monde musulman sinterroge Böckenförde est-il prêt à emprunter un chemin similaire? Est-il prêt à reconnaître la neutralité religieuse de l’état et donc la même liberté pour toutes les religions au sein de l’état?Les musulmans « de la diaspora », cest-à-dire ceux qui vivent dans des pays européens et occidentaux où ils sont minoritaires, semblent disposés à cette reconnaissance. Preuve en est la déclaration adoptée en 2001 par le comité des musulmans dAllemagne, qui affirme: « Le droit islamique oblige les musulmans qui vivent en diaspora à se conformer à l

ordre juridique local ».Quen est-il là où les musulmans sont majoritaires et contrôlent l’état? Böckenförde est sceptique. Il considère que, quand lislam est en position de force, il est très loin daccepter la neutralité de l’état et donc la liberté totale de toutes les religions.Böckenförde en est tellement convaincu quil conclut son essai par une hypothèse d’école: il imagine un pays européen dans lequel les immigrés musulmans seraient sur le point de constituer la majorité

de la population.Dans ce cas affirme le juriste allemand ce pays a le devoir de fermer ses frontières. Pour des raisons dautodéfense. Parce quun état séculier ne peut renoncer à ce « droit naturel » qui est son fondement: « un droit qui résulte de lappartenance à un monde culturel fondé sur des éléments du monde classique, du judaïsme et du christianisme, mais revus dans loptique des Lumières ».

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Quoi quil en soit, on trouve dans la pensée islamique daujourdhui des positions « ouvertes à une rationalité tolérante », comme les a définies Ratzinger lors de son entretien avec Habermas en 2004.Lune de ces positions est mise en avant par le père Maurice Borrmans, ancien président du PISAI, dans le dernier numéro d« Oasis », la revue multilingue elle paraît notamment en arabe et en ourdou créée par le patriarche de Venise, le cardinal Angelo Scola.Borrmans cite un chercheur tunisien résidant à Paris, Abdelwahab Meddeb. Celui-ci a commenté positivement les thèses de Benoît XVI dans un essai intitulé « Le Dieu purifié« , inclus dans un ouvrage collectif publié en France: « La confé

rence de Ratisbonne: Enjeux et controverses ».Il écrit notamment: »A Ratisbonne, le pape a voulu inciter les musulmans à effectuer un travail danamnèse pour quils abandonnent la violence et quils reviennent à larticulation du logos que leurs ancêtres avaient connu, pour pouvoir l’élargir et l

approfondir ».Après avoir rappelé que le grand philosophe Averroès (1126-1198) compte parmi les « ancêtres » dun islam purifié par la raison, il poursuit ainsi: »Cest dans cette direction que doit revenir le musulman pour participer au grand logos, à son élargissement et à son approfondissement sur la voie de la purification qui neutralise la violence et qui instaure une sérénité é

thique ».Abdelwahab Meddeb ne fait pas partie des signataires de la lettre des 138 ni de celle des 38 publiée un an auparavant.

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