Grégoire de Nysse: La création de l’homme – CHAPITRE PREMIER QUELQUES CONSIDÉRATIONS SUR LA NATURE DE L’UNIVERS. MERVEILLEUX

je vous propose de Grégoire de Nysse le Père d’église commenté du Pape aujourd’hui – le début de le livre: La création de l’homme », du site:

 

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Grégoire de Nysse: La création de l’homme

CHAPITRE PREMIER QUELQUES CONSIDÉRATIONS SUR LA NATURE DE L’UNIVERS. MERVEILLEUX RÉCIT DE CE QUI A PRÉCÉDÉ LA VENUE DE L’HOMME

« Voici le livre de la Genèse du ciel et de la terre », dit l’Écriture, lorsque fut accompli l’ensemble du monde visible et que chaque être mis à part eut pris la place qui lui revenait, lorsque le cercle formé par le corps du ciel eut entouré l’univers, tandis qu’au centre prenaient place les corps lourds et pesants, à savoir, la terre et l’eau, se maintenant mutuellement l’un dans l’autre [1] Deux principes opposés : mouvement et repos. Ciel et Terre. Afin qu’il y eût entre les êtres une liaison solide, la nature reçut en elle l’art et la puissance divine pour conduire toutes choses par deux principes. C’est grâce au repos et au mouvement, en effet, que se produisent la naissance de ce qui n’est pas comme la permanence de ce qui est ; car autour de cette partie de la nature que sa densité rend immobile, Comme autour d’un axe fixe, les pôles sont entraînés, tels une roue, dans un mouvement de rotation très rapide et l’un par l’autre, ces deux éléments sont maintenus dans une union indissoluble. Ce qui se trouve emporté par la circonférence, par la rapidité du mouvement, enserre de toutes parts la terre com­pacte ; de l’autre côté, la substance solide et cohérente, à cause de son immuable fixité, donne au tournoie­ment des choses autour d’elle une intensité sans cesse accrue. [2] Une même tension poussée à l’extrême a été dépo­sée en ces deux substances séparées par leurs acti­vités propres, à savoir la nature immuable et la périphérie sans fixité : en effet, ni la terre ne change de place ni le ciel n’abandonne jamais ou ne relâche la rapidité de son mouvement. Voici donc les premiers éléments que la sagesse du Créateur a établis comme principes de tout le méca­nisme du monde, et le grand Moïse, en disant qu’à l’origine Dieu fit le ciel et la terre, veut montrer, je pense, que le mouvement et le repos sont à l’origine de tout cet univers visible que la volonté de Dieu a amené à l’existence. Parenté de ces principes par les substances intermédiaires : air, eau. Entre le ciel et la terre, diamé­tralement opposés l’un à l’autre par leurs activités propres, la création qui les sépare participe à certaines propriétés des parties avoisinantes et tient le milieu entre ces extrêmes, afin de rendre évidente l’intime union qu’ont entre elles par cet intermédiaire les parties opposées. L’air, en effet, imite à sa façon la mobilité incessante et la subtilité de la substance du feu par la légèreté de sa nature et par son aptitude au mouvement. Ce qui ne l’empêche pas de s’apparenter aux parties immobiles : car il n’est pas plus dans le repos perpétuel que dans un écoulement ou une dispersion incessants, mais par les propriétés qu’il a en commun avec l’une et l’autre partie de l’univers, il constitue comme la limite entre deux activités opposées, mêlant et séparant [3] à la fois en lui-même des éléments hété­rogènes par nature. De la même façon, la substance humide, par ses doubles qualités, est en harmonie avec l’une et l’autre des parties opposées. Par sa pesanteur et sa tendance vers le bas, elle a une parenté marquée avec la terre. D’un autre côté, la puissance qu’elle a de s’écouler ne la rend pas tout à fait étrangère à la nature en mouvement ; mais elle permet comme le mélange et la rencontre d’éléments opposés, à savoir de la pesanteur se transformant en mouvement, et du mouvement ne rencontrant pas d’obstacle dans un corps lourd, si bien que se rejoignent l’une l’autre des substances de nature radicalement différente, grâce à l’union que mettent entre elles les substances intermédiaires. Union des parties opposées par le mélange de leurs propriétés. Différence entre créature et créateur. Bien plus, pour parler avec précision, la nature des parties opposées n’est pas en fait sans aucun mélange des propriétés de l’autre, parce que, selon moi, tous les êtres de ce monde visible ont les uns pour les autres une mutuelle inclination et que toutes les créatures conspirent [4] entre elles, même lorsqu’elles se font connaître par des caractères opposés. Le mouvement, en effet, ne consiste pas seulement en un dépla­cement local, mais aussi dans l’évolution et l’altération. Or, redisons-le, la nature parfaitement immobile ne connaît pas ce mouvement qui consiste en l’altération. En dehors d’elle, la sagesse de Dieu, ayant fait l’échange des propriétés, mit l’inaltérabilité dans la substance toujours en mouvement et dans la substance en repos l’altérabilité : sans doute faisait-elle ainsi dans le dessein que l’homme, voyant en quelqu’une des créatures cette propriété de la nature divine, qui est d’être inaltérable et immuable à la fois, n’en vînt pas à tenir la créature pour Dieu. Car on ne peut prendre pour divin ce qui se meut ou s’altère. C’est pourquoi la terre est fixe, mais connaît l’altération, et le ciel, qui ne s’altère pas comme la terre, n’a pas de fixité. Ainsi la puissance divine, ayant mêlé à la substance en repos l’altéra­tion et à l’inaltérable le mouvement, rapproche comme dans une même famille les unes et les autres substances par l’échange de leurs caractères et ne permet pas qu’on puisse leur attribuer la Divinité. Comme je l’ai dit, ni l’une ni l’autre ne pourrait être tenue pour divine : ni celle qui n’est jamais en repos, ni celle qui connaît l’altération. La création dans sa perfection. C’est ainsi donc que l’ensemble des êtres atteint son achèvement [5]. Ainsi parle Moïse : Le ciel, la terre et toute substance située entre les deux furent accomplis et chaque chose reçut la beauté qui lui revient : le ciel, l’éclat des astres, la mer et l’air, les animaux qui y nagent ou qui volent, la terre, la diversité des plantes et des troupeaux, tous ces êtres qui reçoivent ensemble leur vitalité de la volonté divine et que la terre mit au monde dans le même instant. La terre qui avait fait germer en même temps les fleurs et les fruits était remplie de splendeurs ; les prairies étaient couvertes de tout ce qui y pousse. Les rochers et les sommets des montagnes, les versants des coteaux et les plaines, tous les vallons se couronnaient d’herbe nouvelle et de la magni­fique variété des arbres ; ceux-ci sortaient à peine de terre que déjà ils avaient atteint leur parfaite beauté. Naturellement toutes choses étaient dans la joie ; les animaux des champs amenés à la vie par l’ordre de Dieu bondissaient dans les taillis par troupes et espèces. Partout les couverts ombragés retentissaient du chant harmonieux des oiseaux. L’on peut aussi imaginer la vue qui s’offrait aux regards sur une mer encore paisible et tranquille dans le rassemblement de ses flots ; les ports et les abris, qui s’étaient creusés d’eux-mêmes le long des côtes selon le vouloir divin, joignaient la mer au continent. Les mouvements paisibles des vagues répondaient à la beauté des prés, faisant légèrement onduler le sommet des flots sous des souffles doux et bienfaisants [6]. L’attente de l’homme. Et toute la création, dans sa richesse, sur terre et sur mer, était prête ; mais celui dont elle est le partage n’était pas là [7]. Notes 1. Les conceptions cosmologiques très déterminées que nous rencontrons à partir d’ici et que Grégoire reprendra dans le Traité des Six Jours se retrouvent chez les écrivains païens de la même époque, chez Macrobe, chez Chalcidius (voir Duhem, Le système du monde, II, p. 483). Elles sont d’origine stoïcienne. Mais peut-on leur assigner une source plus précise ? Dans deux articles remarquables, M. E. von Ivanka a montré que les développements de Grégoire, dans le Traité de la création de l’homme, de 128 C à 161 A, se retrouvaient parfois littéralement dans le De Natura Deorum de Cicéron. Or, pour celui-ci, nous avons des raisons de croire qu’ils ont pour source Posidonius d’Apamée. Il est donc probable que Grégoire a utilisé pour son Traité les ouvrages perdus de Posidonius et en particulier le peri théôn (E. von Ivanka, « Die Quelle von Ciceros De Natura Deorum », II, 45-60, Archivum Philologicum, 1935, p. 1-12 ; « Die Autorschaft der Homilien Eis to poièsômen anthrôpon », Byz. Zeit., 1936, p.46 sqq.) 2. Cicéron, De Natura Deorum, II, 45, 115-116 : les éléments se situent dans le tout selon la légèreté et la pesanteur, la mobilité et la stabilité. Voir Boyancé, Le songe de Scipion, Bordeaux, 1936, p. 70. 3. Le rôle de l’air comme servant à la fois de séparation et de trait d’union (sunapheia) entre les éléments extrêmes ; apparaît chez Cicéron, De Nat. Deor. 117 et chez Sénèque, Naturales Quaestiones, II, 4. Jaeger (Nemesios von Emesa, Quellenforschungen zum Neuplatonismus und seinen Anfängen bei Poseidonios, p. 74) retrouve aussi cette idée chez Nemesius et la rapporte à Posidonius. 4. Nous trouvons là l’expression de la sumpatheia qui est l’idée centrale de la cosmologie posidonienne (Reinhardt, Kosmos und Sympathie, 1926). Elle apparaît chez Grégoire de Nysse et chez Cicéron en conclusion du même développement, ce qui prouve bien que l’un et l’autre suivaient le même texte. Cicéron écrit en effet (De Nat. Deor., II, 46, 119) : « Quae copulatio rerum et quasi consentiens ad mundi incolumitatem coagmentatio naturae quem non mouet ? » L’expression de sumpnoia, conspiratio, qui se trouve chez Grégoire, se retrouve ailleurs dans Cicéron (De Nat. Deor., III, 11). Cette doctrine de la sumpatheia apparaît dans d’autres passages de Grégoire : « Le mélange total dans l’Univers des êtres variés s’accordant les uns aux autres selon un rythme impeccable et opérant l’accord harmonieux des parties avec le tout, compose comme une symphonie l’harmonie totale de l’univers » (XLIV, 440 D). La même vision exprimée avec les mêmes mots (harmozein, sumphonia, sumpatheia) se retrouve chez Philon (De migr. Abr., 3:2), qui dépend lui aussi de Posidonius. 5. Dans le morceau qui suit, Grégoire résume les considérations théologiques que Cicéron développe davantage ; De Natur.Deor., 11, 47, 120-53, 132. 6. Ces lignes sur la beauté de la nature paraissent à M. Meridier, L’influence de la seconde sophistique sur l’œuvre de Grégoire de Nysse, p. 140, le type des thèmes familiers aux rhéteurs. Mais à côté de l’influence de la rhétorique, il ne faut pas oublier celle de la Bible, dont Grégoire est pénétré, comme l’a bien vu A. Hauvette (cité par B. Latzarus dans Vie spirituelle, 1er oct. 1941, p. 344). 7. L’orientation de la création du monde visible vers l’homme est exprimée dans les mêmes termes en cet endroit par Cicéron : Quorum igitur causa quis dixerit eflectum esse mundum ? Eorum scilicet animantium quae ratione utuntur (53, 133). C’est une thèse stoïcienne. Voir la thèse contraire des Épicuriens chez Lucrèce, De Nat. rer., V, 155, Grégoire s’inspire sans doute ici de Méthode d’Olympe (ou de Philippes) : « Lorsque Dieu eut disposé l’univers dans un ordre parfait, il y introduisit l’homme ». (De Res. I, 34). Voir aussi Grégoire de Nazianze, XXXVI, 612 B.

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