MAIMONIDE OU L’USAGE DE LA RAISON DANS LE DIALOGUE INTERRELIGIEUX

j’ai pris un écrit de Père Manns sur Maimonide, cependant je l’ai fait précéder d’une brève biographie du grand philosophe juif: 

 

Biographie de Maïmonide 

Né Rabbi Moshé Ben Maïmon, Maïmonide n’est autre que le pseudonyme occidental de ce philosophe. Son père, sage et érudit, dirige la communauté juive de Cordoue sous le règne des tolérants Almoravides. Sa mère meurt très jeune laissant deux fils et une fille. A l’âge de quinze ans, il rédige en arabe un traité de logique aristotélicienne. Mais la famille doit se résoudre à quitter l’Espagne sous la pression des Almohades, musulmans fanatiques imposant la conversion. Du Maroc, où il continue à être pourchassé, il rejoint la Palestine pour s’établir en Egypte, au Caire, sous la protection du Vizir Saladin dont il devient le médecin officiel. Son oeuvre presque entièrement rédigée en arabe se définit selon deux perspectives. Théologien et philosophe, il écrit suivant une ligne directrice basée sur la concordance entre la raison et la foi. ‘Le livre de la connaissance’, premier volume du ‘Misheb Thora’, explique avec pédagogie les fondements du judaïsme. ‘Le guides des égarés’, plus complexe, s’adresse aux érudits et traite de l’ensemble des problématiques de la philosophie, à partir de la métaphysique aristotélicienne. Refusant le sens littéral de l’ancien testament, il propose une lecture nouvelle et rationnelle reposant sur une interprétation de l’allégorie, la métaphore et l’homonymie. Marié à la soeur du secrétaire royal du vizir, il meurt à l’âge de soixante-six ans, laissant derrière lui un fils de dix-sept ans apte à préserver l’héritage intellectuel du philosophe 

 

MAIMONIDE OU L’USAGE DE
LA RAISON DANS LE DIALOGUE INTERRELIGIEUX
 

Frédéric Manns

En décembre 2004 le monde juif célèbre le 800ème anniversaire de la mort de Moïse Ben Maimon, dit Maimonide ou Rambam (1135-1204). Sur sa tombe à Tibériade on lit cette inscription : « De Moïse à Moïse, il n’y eut pas d’égal à Moïse ». Ce centenaire est symbolique à l’heure de la montée des intégrismes religieux et des violences partout dans le monde et, particulièrement, au Moyen-Orient.
Quelques rappels historiques s’imposent : Rambam reçut une bonne éducation auprès de grands maîtres des sciences arabes en Espagne. En 1148, Cordoue, sa ville est prise par les musulmans qui laissent le choix entre la conversion ou l’exil. Sa famille part à Fez où elle doit se faire passer comme musulmane pour éviter la mort. Dévoilé, Rambam fuit et se rend à Acco, puis à Jérusalem, et finalement au Caire où il devient célèbre comme médecin et dirigeant de la communauté; il sera même conseiller de Saladin. Dans sa lettre de la consolation il écrit aux convertis forcés que celui qui dit ses prières et pratique les bonnes oeuvres demeure juif.
Sensible au pluralisme des cultures, Maimonide lutta toute sa vie contre l’obscurantisme. Soucieux de préserver la tradition juive dans laquelle il fut élevé, il s’ouvrit aux diverses cultures qu’il connut du fait de ses exils successifs. Mais il chercha surtout à repenser ces diverses traditions à la lumière de la raison.
Philosophe, il s’engagea dans l’étude de la pensée islamique et introduisit la logique aristotélicienne dans la pensée juive. Théologien, il chercha à concilier la raison et la foi. Son apport principal est exposé dans son Guide des Égarés. Souvent proche de la pensée d’un autre cordouan musulman qui fut son aîné d’une dizaine d’années – Averroès – Maimonide estime que la recherche sans préjugés de la vérité scientifique, loin d’exclure Dieu, amène à mieux le connaître. Expert talmudiste, il mit en ordre ce code de lois, l’enrichit de commentaires, et en publia un abrégé. Médecin, il fut assez ouvert pour penser l’homme comme une totalité dans laquelle l’âme et le corps sont indissociables.
Personnalité à plusieurs facettes, dont les idées ont débordé le cadre juif, vivant en osmose avec la pensée grecque, l’Islam et, dans une moindre mesure la chrétienté, ce penseur a exercé une grande emprise sur les communautés juives. On l’admirait tout en redoutant ses affinités avec la philosophie profane. La complexité du Juif et du philosophe, les tensions intellectuelles et spirituelles qui se partageaient sa personnalité, sont l’expression de sa richesse spirituelle. C’est surtout en tant que codificateur systématique de
la Loi, qu’il s’est taillé une place au sein du judaïsme et non comme philosophe aristotélicien ou réformateur rationaliste.
Parler de dialogue interreligieux à propos de Maimonide est un anachronisme. Son attitude envers les karaites n’a rien qui invite au dialogue. Sa présentation du christianisme n’est pas particulièrement bienveillante. Mais son usage de la raison et son retour à la philosophie aristotélicienne font de lui un modèle qui sera suivi par Alexandre de Hales et Albert le Grand.
Le thème du Messie est présent dans ses écrits, en particulier dans sa Iggeret Teiman, et reflète bien la complexité de sa pensée au moment où un faux Messie s’était présenté. Il convient de s’y attarder, puisque ce thème ouvre des perspectives pour un dialogue interreligieux. Ressenti comme un défi, parce que dépassant la dichotomie foi-raison, le thème du Messie propose en fait un dilemne. Pour Leibowitz, faut-il le rappeler, le messianisme est le fléau du judaïsme : il a produit le christianisme, le sabbataïsme et plus récemment le Goush Emounim. Il est dans l’essence même du Messie d’être toujours « futur », un messie contemporain ne saurait être qu’un faux messie. L’idée du Messie appartiendrait au futur éternel. Mais sans Maimonide, Leibowitz ou les autres penseurs juifs rationalistes auraient-ils été possibles ?
Pour Maimonide le messianisme a trois étapes. Les temps messianiques concernent d’abord le salut du peuple juif, c’est-à-dire la restauration de sa souveraineté politique dans sa patrie. Dans cette perspective, le vrai Messie se reconnaîtra au fait qu’il réalisera l’objectif terrestre de libérer les Juifs de l’exil et du joug étranger. C’est d’ailleurs la raison, selon Maimonide, pour laquelle Jésus ne saurait être considéré comme le vrai Messie, car il n’a pas mis fin à l’exil du peuple de Dieu.
Un deuxième moment du messianisme sera marqué par la rédemption de l’homme, le salut des nations qui interviendra comme la conséquence naturelle du stade précédent. Enfin l’objectif ultime de tout le processus messianique assurera la primauté de l’esprit, l’éternité de l’âme et la contemplation de Dieu. Ce sera la véritable rédemption spirituelle. Les hommes libérés du joug oppressif et vivant en paix, pourront s’adonner à l’étude, accéder à la connaissance de la vérité et atteindre la contemplation de Dieu.

Parallèlement au phénomène de retour à la religion, la devise « le Messie maintenant » sur le modèle de « 
la Paix maintenant » a commencé à se faire entendre en Israël. La crise et la guerre du Golfe et d’autres bouleversements politiques sont interprétés comme des signes précurseurs de la venue du Messie. Celle-ci sera précédée de cataclysmes et de souffrances désignés comme les « douleurs de l’enfantement » du Messie. L’apogée de cette attente, suscitée par la secte hassidique du Habad (Lubavitch), se situait le jour même du 90e anniversaire du père spirituel de ce mouvement, le Rabbin Schneerson de Broocklyn. Des dizaines de milliers de ses disciples ont attendu la date fatidique. Le jour « J » est passé, le Messie n’est pas venu.
Au-delà de l’anecdote, l’intensité de l’espoir messianique demeure. Les chefs spirituels des sectes piétistes sont des mystiques qui se réfèrent à Maimonide le « rationnel », trouvant dans ses écrits de quoi nourrir leur espoir de
la Fin des temps. Paradoxalement, la conception « réaliste » du Messie avancée par Maimonide est mise à profit pour promouvoir la prétention que le Messie viendra, puisque le Messie sera un homme en chair et en os. De plus, l’avènement de l’ère messianique aura lieu conformément aux lois de la nature et de l’histoire et non par le truchement d’actes miraculeux.
Faut-il conclure en rappelant l’actualité de Maimonide? Le philosophe juif écrivait en arabe. Ses oeuvres furent traduites en hébreu plus tard. Connaître la langue de son partenaire n’est pas un luxe aujourd’hui. Plus que d’un retour aux valeurs religieuses, certains milieux ont besoin aujourd’hui de redécouvrir l’importance de la raison. C’est à cette condition que le dialogue interreligieux sera possible. 

 

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