Le médecin doit-il soigner ou satisfaire ?

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2007-04-24

Le médecin doit-il soigner ou satisfaire ?

Réflexion du Dr. Carlo Bellieni, médecin italien

ROME, Lundi 23 avril 2007 (ZENIT.org) Nous publions ci-dessous une analyse du docteur Carlo Valerio Bellieni, directeur de lunité de soins intensifs néonatals à la Polyclinique universitaire « Le Scotte » de Sienne et membre de lAcadémie pontificale pour la Vie sur le rôle du médecin. Le médecin doit-il soigner ou satisfaire ? sinterroge le docteur Bellieni.

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Les récents cas de soins de mauvaise qualité enregistrés en Italie mettent en évidence lexistence de vraies ou prétendues fautes ; mais ces cas montrent aussi que la profession médicale a ses limites. Quil sagisse d « erreurs » ou d « insuccès thérapeutiques », ces limites sont inhérentes à la profession même du médecin, et à lhumanité de celui qui la pratique. Mais il y en a dautres qui entrent dans le cadre des lois et du bon sens : par exemple la limite à ne pas se servir des patients comme cobayes, qui bloque ainsi toute possibilité scientifique mais que nous jugeons absolument indispensable. Nous revendiquons également la limite de ne pas mettre fin à une vie, de sélectionner ou éliminer des embryons, des fœtus, même si cest le public qui le demande.

Nous devons comprendre quel est vraiment le rôle du médecin et quelles sont ses vraies limites : le médecin doit-il soigner ou satisfaire ? Mais pour cela, il convient dabord de nous interroger sur lobjet de sa profession, cest-à-dire sur la santé, et sur la manière de ne pas tomber dans les dérives commerciales ou, plus cyniquement encore, sur la manière de ne pas succomber à la mode du moment.

La santé cest quoi ? Pour répondre à cette question nous devons partir de lexpérience : quand éprouvons-nous le sentiment de ne pas être en bonne santé ? La réponse est facile : « Quand nous narrivons plus à faire une chose que nous avions lhabitude de faire avant ou quand nous narrivons pas à faire ce que les autres arrivent à faire ». Par exemple, quand nous narrivons plus à courir comme avant, ou à marcher normalement parce que nous sommes atteints dune paralysie. Comme on le voit, lidée de santé est profondément liée à lidée de désir. Et il est évident quon ne parle pas dun « caprice », mais dun vrai désir. La différence entre ces deux termes est vite vue : le désir doit impliquer que lon cherche à obtenir quelque chose qui est inscrit dans la nature de la personne. Ainsi, vouloir le même nez quune célèbre actrice relève du caprice, alors que vouloir réparer son nez pour éviter les moqueries ou rétablir une fonction respiratoire relève du désir.

Nous sommes loin de la position de lOrganisation Mondiale de la Santé qui définit la santé comme « un état de bien-être physique, mental et social complet ». Cette définition, née pour sopposer à lidée que la santé nest que labsence de maladies, ouvre la voie à une claire utopie : le bien être complet est impossible : qui peut dire navoir jamais eu à se plaindre ? Qui peut se dire totalement satisfait ? Cette définition de lOMS est une définition qui porte à deux conséquences malheureuses : une insatisfaction existentielle (si la santé est un droit, mais que la pleine satisfaction est impossible, mon droit est donc impossible) ; et le pur caprice : moi seul suis capable de déterminer mon degré de satisfaction, et je sais que ma satisfaction nest pas totale alors je dois m « inventer » des désirs qui élèveront mon niveau de satisfaction, puisquen satisfaisant jusqu’à présent mes désirs, ma satisfaction était réduite. Eh oui, car cette définition crée une confusion entre les mots santé’ et bonheur. La société moderne croit que le bonheur est une question de satisfaction (chercher à avoir tout ce que lon veut). Non, ça ne fait que multiplier les nécessités davoir encore plus de désirs à satisfaire, et en théorie davoir plus de bonheur.

Mais alors quest-ce que la santé ? Cest la possibilité de saffirmer dans les désirs profonds qui nous caractérisent : désir de beauté, de bonheur, de liberté et damour. Mais nous devons savoir faire la part des choses entre les « grands » désirs, qui sont ceux que nous venons d’énumérer, et les désirs « partiels » qui sont ceux de tous les jours et qui nont de valeur que sils ouvrent la voie à la satisfaction des premiers. Donc la santé dun octogénaire qui a du mal à se déplacer peut être meilleure que celle dun jeune de 16 ans recalé à l’école, car la mesure de notre état ne dépend pas de ce que lon fait, mais de ce que lon peut faire par rapport à ce que nous désirons à moins que nos désirs ne se soient atrophiés…

Que le contraire de la santé nest alors pas la maladie est un corollaire de cette définition du mot « santé ». Des athlètes de grande qualité sexhibent dans des manifestations sportives, assis sur des fauteuils roulants, ou skiant sur une seule jambe. Or personne ne dit quils ne sont pas des athlètes ou que leur prestation nest pas hautement sportive ; et quils ne sont pas en bonne santé. Il suffit dailleurs de voir tous ces gens tristes et mal dans leur peau. Ils ne souffrent pourtant daucune pathologie particulière. On en déduit donc que le réel contraire du mot santé’, vu comme « possibilité de répondre à un désir », est le désespoir.

Lon comprend alors aisément ce que signifie le mot « bien-être ». Dans son acceptation moderne, ce mot tend à être utilisé pour qualifier notre état quand nous pouvons disposer de choses superflues si bien que notre bien-être finirait paradoxalement, par se mesurer en fonction des déchets que nous produisons. En réalité, cette conception est limitée et insuffisante : obtenir des choses dont on finit par se lasser tôt ou tard ne suffit pas à garantir notre sérénité. Le bien-être réel consiste à avoir conscience de sa propre santé : je me sens bien quand je sais que je maffirme moi-même.

Surgit alors le problème de ce que signifie lexpression « saffirmer soi-même », car la confondre avec une vision égocentrique et égoïste de la vie serait trop facile. En réalité, je maffirme quand je réponds à mes désirs, mais pas à mes caprices, ni à mes besoins : caprices et besoins n’étant pas dignes d’être définis des « désirs ». Ces désirs dont je parle sont mon ADN éthique, ce qui est inscrit au fond de mon cœur : le désir de beauté, de bonheur, damour, de liberté. Par conséquent, notre cheminement vers la santé passe par la réalisation de désirs partiels successifs aptes à nous ouvrir à ces « grands désirs » dont nous parlions plus haut.

Nous pouvons donc comprendre maintenant ce que veut dire « soigner » : soigner veut dire favoriser lassouvissement des « grands désirs » en satisfaisant nos désirs partiels.

Et lon comprend bien que pour soigner il faille miser sur les premiers avant de traiter les seconds.

En somme : laction de soigner est une action qui part de lhomme. Lhomme qui se consume pour le destin dun autre homme, dans la mesure de ses capacités et en utilisant les instruments qui lui sont propres. Le médecin soignera avec ses instruments, le prêtre avec les siens, lenseignant avec dautres encore. Et la méthode est la même. De tout cela on peut en déduire aussi que les actions entreprises par le médecin ne visent pas toutes à soigner. Par exemple favoriser lusage danabolisants dans le sport ; interrompre une grossesse ; céder à certaines prétentions absurdes qui consistent à remodeler le corps selon les modèles véhiculés par la publicité. Tout ceci fait la différence entre le fait de souvrir à la réalisation de soi et le saffirmer soi-même. Dans le premier cas (la réalisation de soi) son prochain est vu comme un allié ; dans le second cas (affirmation de soi), il est vu comme une entrave ou comme un moyen à saisir.

Il est dautre part erroné de dire que les opérations pharmacologiques sont le seul moyen de soigner et que laction du médecin sarrête là : la parole, l’écoute, lattention que lon porte à la prévention, au milieu ambiant et au soutien économique peuvent et doivent constituer les pivots daction du médecin.

Doù cette grande différence entre le médecin qui « soigne » et le médecin qui « satisfait ». La structure sanitaire veut satisfaire et les patients aussi réclament cette satisfaction, mais est-ce bien là le cœur de la profession médicale ?

Malheureusement, en créant tant de désirs et de caprices, la pression des médias nest pas étrangère à cette dérive : nos rues pullulent de panneaux, les télévisions, internet, ne cessent de nous bombarder de messages assimilant le bonheur et la consommation. Cela dit, les sociétés pharmaceutiques ont, elles aussi leur part de responsabilité quand elles favorisent leur propre invention de nouvelles maladies créées de toutes pièces pour vendre des médicaments : cest ce quon appelle le disease mongering : cest-à-dire créer des nécessités pour vendre des remèdes. Et nous savons bien aujourdhui à quel niveau de consommation nous sommes arrivés, par exemple dans le domaine de la reproduction, où lon multiplie les examens médicaux au nom dune hypothétique garantie de la « perfection » du nouveau-né. Certains articles sur la surconsommation procréative et sur comment le diagnostic prénatal est devenu acceptable en France (un phénomène en expansion également en Italie), sont significatifs.

Dans le domaine de la chirurgie esthétique, de la fécondation in vitro, de leuthanasie, on ne compte plus les demandes. Des demandes qui veulent être satisfaites même si elles ne sont pas liées directement à la recherche de la santé. Le médecin, semblerait-il, « doit garantir la guérison », pas soigner qui plus est fournir « un service », sans poser de questions et encore moins dobjections.

Cest pourquoi nous ne devons cesser de réclamer notre droit de vivre une profession médicale qui ait à cœur de soigner et non de satisfaire, davoir des médecins non des machines à ordonnances qui sintéressent à lhomme, à ses besoins et à ses souffrances.

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