« Il servait la vérité scientifique de manière exemplaire » : Mgr Schooyans salue la mémoire du prof. Lejeune

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2007-04-15

« Il servait la vérité scientifique de manière exemplaire » : Mgr Schooyans salue la mémoire du prof. Lejeune

Homélie de la Messe pour la Vie

ROME, Dimanche 15 avril 2007 (ZENIT.org) « En même temps quil servait la vérité scientifique de manière exemplaire, Jérôme a mis en lumière les périls auxquels le savant est exposé », explique Mgr Schooyans qui saluait le 3 avril la mémoire du prof. Lejeune (cf. www.fondationlejeune.org). Voici le texte intégral de lhomélie prononcée par Mgr Michel Schooyans lors de la Messe pour la Vie célébrée le 3 avril 2007, à 19 h à Paris, en l’église Saint-Pierre du Gros-Caillou, à loccasion du XIIIème anniversaire de la mort du Professeur Jérôme Lejeune.Mgr Michel Schooyans est professeur ordinaire émérite de Philosophie politique et dIdéologies contemporaines à lUniversité catholique de Louvain. Il est membre de lAcadémie pontificale pour la Vie, de lAcadémie pontificale pour les Sciences sociales et de lAcadémie mexicaine de Bioé

thique. Il est consulteur du Conseil pontifical pour la Famille.

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Chers Frè
res et Soeurs,Nous voici réunis au coeur de la Semaine Sainte pour célébrer les souffrances rédemptrices du Seigneur et pour le suivre dans sa Passion. Mais l’évocation et la célébration de ces souffrances ne sauraient nous faire oublier que la Messe est toujours célébration du Christ Ressuscité, de Celui que les disciples dEmmaüs vont bientôt reconnaître à la fraction du Pain (Lc 24, 13-35). Cest le Jésus vainqueur du mal, du mensonge et de la mort qui nous rassemble autour de trois grands serviteurs de la vie : le Docteur John Billings, décédé à Melbourne samedi dernier, 31 mars 2007, Michel Raoult, décédé le 27 mars 2002, et Jérô

me Lejeune. Madressant dabord à vous, chère Madame Raoult, ainsi qu’à vos enfants, je voudrais vous dire combien la mort tragique de votre mari a bouleversé la grande famille internationale de ceux qui luttent pour la défense de la vie. Nous savons que votre mari a fait preuve dhéroïsme en sinterposant face à un injuste agresseur. Nous savons aussi et surtout, que votre mari, votre père, notre ami est mort en témoin vivant du précepte dont Jésus va nous donner lexemple durant toute cette semaine : « Il ny a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux quon aime. » (Jn, 15, 13).Mais si nous ne sommes pas rassemblés autour du Michel transpercé par les balles, nous ne sommes pas non plus réunis autour du John ou du Jérôme accablés par la maladie. Rassemblés, oui, nous le sommes, mais autour de John, de Michel et de Jérôme, transfigurés et invités à partager sans autre délai la vie du Ressuscité

. Cette rencontre éblouissante, Frères et Soeurs, Jérôme la préparée tout au long de sa vie. Il la préparée avec une cohérence et une constance surprenante. Fidèle à la prestigieuse tradition de l’École française de Médecine, Jérôme a tôt appris à consentir à la vérité scientifique. Il a observé, il a constaté la présence dun individu humain, porteur dune carte didentité génétique ; il a offert ce petit être humain à la reconnaissance de tous. Il ne sest pas demandé si ce petit être répondait aux directives de lUnion Européenne, toujours prompte à suspecter que le réel ne se conforme pas aux normes consensuelles de la Communauté. Jérôme a eu le toupet de penser, et de dire, que la carte didentité génétique avait plus de valeur que la carte didentité civile ! Dans ce domaine, la Méthode Lejeune avait déjà été testée avec succès par le Samaritain de la parabole (Lc, 10, 29-37), plus pressé de soigner le blessé que de se demander si lobjet souffrant non identifié répondait à la définition politiquement correcte du prochain.Cette soumission au réel jaillissait, chez Jérôme, de son coeur de poète. Vous souvenez-vous du bleu de son regard ? Chère Birthe, vous ne vous y êtes pas trompée, le jour béni où un jeune étudiant en médecine, dune imprévoyance préméditée, sest approché de vous dans une salle de bibliothèque, sous prétexte de vous demander de lencre ! Les événements ultérieurs autorisent à penser que l

effet du regard bleu fut fulgurant et durable. Jérôme je parle du poète– était fasciné par le mystère ; il le guettait. Et là où dautres murmuraient contre la morosité de la vie, Jérôme s’émerveillait face à une fleur ou face à laffolement de la pupille des amoureux. Cette avidité de se soumettre au réel, cette disposition à sen étonner amenaient Jérôme à ne jamais se séparer de sa loupe de poche. Cest que voyez-vous ?- la paume dune main regorge de précieuses informations sur lhistoire génétique dun sujet.Jérôme Lejeune a conservé jusquau bout son regard denfant. Dans son domaine de recherche et daction, la connaissance a progressé dans la jubilation face au mystère qui cède peu à peu au chercheur alors quil feint de lui ré

sister. Le respect du mystère a mis Jérôme à labri de la tentation de scientisme. Il na pas demandé à la discipline quil a somptueusement honorée de résoudre des problèmes qui ressortissent à la philosophie ou à la théologie. Il savait que le champ dexercice de la raison humaine ne se cantonnait pas au niveau du comment, mais que le comment lui-même propulsait au niveau du pourquoi. A la différence de certains de ses confrères, et néanmoins ennemis, Jérôme Lejeune ne rejetait pas dun revers de main les questions essentielles, relatives au sens de lexistence au sens de la vie et de la mort. Il eût contribué généreusement, si telle eût été sa vocation, au renouveau de lanthropologie philosophique, quil a mise en action tout au long de son activité au service de la vie. Je suis en outre convaincu quil aurait pu développer une théologie de la Création décantée des nébulosités teilhardiennes.En même temps quil servait la vérité scientifique de manière exemplaire, Jérôme a mis en lumière les périls auxquels le savant est exposé. Le principal de ces périls, cest le refus de voir ; pire encore : le refus de regarder le réel. Durant toute sa carrière, Jérôme a honoré une conception de la science mettant le savant à labri de la tentation du pouvoir et de la tutelle du pouvoir. Par là Jérôme est un maître pour nous et pour les générations futures. Clairvoyance étonnante, à une époque où prolifèrent toutes sortes didéologies obscurantistes réduites à invoquer lautorité de certains savants, plutôt que celle de la science, pour « valider » des programmes de sélection, deugénisme, d’éradication, d’élimination, ainsi que le Professeur Didier Sicard la récemment rappelé avec force et courage (cf. Le Monde du 4 fé

vrier 2007). John Billings voulait, par ses recherches, bannir lavortement de la face de la Terre. Jérôme, lui, sest trouvé au coeur des débats concernant la légalisation de lavortement ; cest dailleurs dans ce cadre que nous nous sommes rencontrés. Ce qui ma toujours frappé dans ces débats, et déjà dans les publications antérieures à ces débats, cest quon nexplique jamais en quoi consiste exactement un avortement. Le seul paramètre pris en compte cest la réalité de la femme. Victime de la langue de bois, un pan entier du réel est passé sous silence : à savoir, la réalité de lenfant. Et comme la réalité de cet être humain est occultée, volontairement ignorée, le législateur estime avoir les coudées franches pour légiférer au bénéfice supposé de la femme et delle seule. Tel est le paradoxe : en légalisant lavortement, le législateur entérine la non-protection, la non-existence juridiques de lenfant. Le langage lui-même est truqué : on interrompt ce que lon présente comme un processus, à savoir la grossesse, alors que le manteau euphémique dissimule la suppression dun individu humain réel, et en pleine croissance. La magie du langage intervient donc pour opérer une double mystification : occulter la présence dun individu humain, et occulter en conséquence la nature homicide du geste qui le supprime.Nous sommes ici au coeur dune attitude de mauvaise foi, car lon demande au personnel biomédical de taire volontairement une réalité humaine vivante qui est, par ailleurs, lobjet même de ses recherches et éventuellement de ses soins. La non-reconnaissance de la réalité de lenfant est la condition préalable pour que soit proclamé le « droit » de la femme à disposer librement de son corps. Lenfant est perçu comme un obstacle à laffirmation de la liberté de sa mère ; dès lors, la mise à mort de lenfant est présentée comme le prix de la liberté de la femme. Cette mort est dabord une mort juridique voulue par le législateur, puis exécutée par du personnel mé

dical. Cette situation est non seulement violente mais mensongère. Elle repose sur lexaltation unilatérale dun seul aspect de la réalité. Dans le binôme mère-enfant, la femme est discriminée positivement. Elle seule émerge comme sujet de droit et quel « droit » ! Lenfant est tout au plus un objet, lobjet dun processus, la grossesse ; lobjet dun acte criminel, lavortement. Comment pourrions-nous, Frères et Soeurs, ne pas réagir publiquement, et politiquement, face à cette nouvelle révolution culturelle ? Loccultation délibérée de la réalité, opérée par le langage, est validée, si lon ose dire, par le législateur, qui na plus à reconnaître ni à défendre la réalité de lenfant puisque celui-ci est volontairement escamoté. Ainsi, à partir dun problème qui semble circonscrit, à savoir le lien vital liant lenfant à celle qui le porte, tout le processus législatif des sociétés démocratiques est mis en question.Le droit na plus comme objet la justice ; il a comme objet la loi. Et, dans lesprit de Kelsen, la loi est lexpression de la volonté de celui qui peut imposer sa loi. Les lois libéralisant lavortement nous ont ainsi fourgué une conception purement positiviste du droit. Ce volontarisme juridique est confirmé et illustré par les projets parlementaires concernant, entre autres, leugénisme, lexpérimentation sur le vivant, l

euthanasie. Frères et Soeurs, Il y a des négationnistes qui nient Auschwitz. Il y a des négationnistes qui nient les racines chrétiennes de lEurope. Il y a aussi des négationnistes qui nient les réalités naturelles les plus évidentes. Dans la foulée, il y a encore les négationnistes qui nient quune société qui avorte ses enfants est une société qui avorte son avenir. Nous ne remercierons jamais assez le Seigneur de nous avoir donné des créateurs de beauté, comme Mozart ou le Bienheureux Fra Angelico. Mais plus que jamais nous avons besoin dintercesseurs, comme la Bienheureuse Thérèse de Calcutta, comme John Billings, comme Michel Raoult et comme Jérôme Lejeune.Or en ce jour où nous célébrons plus particulièrement lanniversaire de la mort de Jérôme, je vous invite, Frères et Soeurs, à remercier le Seigneur de nous lavoir donné, parce que, dans un monde aux prises avec un tsunami relativiste, dans une Europe cédant au vertige de lapostasie, ce grand savant nous fait redécouvrir la beauté de la vérité. Cette leçon essentielle que Jérôme nous a laissée se module, certes, suivant les différents états de vie où nous nous trouvons. Lejeune a suscité des vocations dhommes politiques au service de la vie, comme celle de Michel Raoult. Le Professeur Lejeune a en outre invité ses confrères médecins à se désolidariser des camelots de la mort et à être fidèles à leur vocation de pasteurs de la vie. Lejeune a également pressé ses collègues juristes de sauver le droit de lindignité dans laquelle il sombre lorsquil se laisse instrumentaliser pour légaliser nimporte quelle pratique. Aux femmes, l’époux et le père exemplaire que fut Jérôme rappelle que le vrai féminisme, cest celui qui réactive lavantage comparatif de la femme : avoir un coeur gros comme ça, faire prévaloir les relations damour sur les relations de force –être en somme licô

ne de la tendresse de Dieu. Témoin de la vérité, Jérôme la été jusquau bout. Il était devenu à jamais enfant de Dieu par le baptême. Ce jour-là Jérôme a reçu dans son coeur la lumière de lEsprit Saint. Dans les Saints Innocents que soignait le médecin, Jérôme, le croyant, reconnaissait des enfants chéris de Dieu. On raconte qu’à lapproche de sa mort, le Seigneur apparut à Saint Thomas dAquin et lui dit : « Tu as bien parlé de moi, Thomas. Que veux-tu comme récompense ? » « Seigneur, répondit Thomas, je ne veux dautre récompense que Toi-même ! ». Bienheureux es-tu, Frère Jérôme, davoir gardé toute ta vie un coeur de pauvre ! Bienheureux es-tu davoir eu faim et soif de justice ! Bienheureux es-tu davoir été persécuté pour la justice, comme le furent et comme le sont tous les prophètes ! Bienheureux es-tu, car le Royaume des cieux est à ceux qui te ressemblent ! Bienheureux es-tu, Jérôme, davoir reconnu dans ntes malades les petits frères et les petites soeurs de Jésus ! Cest eux tous qui tattendaient, il y a treize ans, au sommet de ta montée douloureuse vers Celui qui est ta récompense : le Vainqueur de la mort, le Seigneur de la Vie !

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