Jeudi Saint, Cène (5/4) : Commentaire

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Jeudi Saint, Cène (5/4) : Commentaire

Depuis que la réforme liturgique a redonné aux jours saints leur caractère éminemment pascal, le Jeudi saint a retrouvé su véritable « mystique », la célébration de ce quil y a de plus central, dunique dans notre foi : le passage (la Pâque) de la mort à la résurrection.

Laspect mort, mais dune mort libératrice est déjà indiqué dans la première lecture où la libération juive est scellée dans le sacrifice dun agneau, agneau qui préfigure le Christ, lAgneau de Dieu qui enlève le péché (laliénation) du monde et qui nous donne ainsi notre vraie liberté. Mais cest surtout Paul qui met en valeur le lien étroit entre leucharistie et la mort du Christ en croix, quand il cite les mots de Jésus : ceci est mon corps, mais son corps qui est (livré) pour vous ; cette coupe est la nouvelle Alliance, mais en mon sang versé sur la croix. Et Paul de conclure : Chaque fois que vous mangerez ce pain et que vous boirez à cette coupe, vous proclamerez la mort du Seigneur. Enfin la méditation culmine dans cet étrange récit du lavement des pieds qui semble être un hors-doeuvre ici, mais dont le geste renvoie au don entier jusquau bout du Christ en croix.L

Eucharistie est donc en relation directe avec la mort du Christ. Mais elle lest tout autant avec la résurrection de Jésus. Sans doute, ce soir là, historiquement parlant, Jésus nétait pas encore glorifié. Mais nous qui célébrons aujourdhui la Cène, nous la célébrons avec le Christ de gloire. Cest le Ressuscité qui est parmi nous et cest dans lEsprit qui la glorifié que nous le recevons. Cest le repas de notre libération glorieuse que nous prenons.

De notre libération ! Oui, cest elle que nous célébrons dès ce soir, comme nous la célébrerons encore demain et dans la Nuit pascale. Le grand motif daction de grâce, la raison de célébrer, les voilà : Christ ta libéré de labsurde dune vie qui finit dans la mort. Christ ta introduit dans une réussite unique dont su résurrection est le point de départ.Cette libération, Christ te la donne. Encore te faut-il l

accepter. Te laisser libérer. Quil est difficile de quitter nos sécurités, de laisser tomber nos chaînes dorées, dabandonner nos petits projets pour nous exposer au grand vint, au souffle de lEsprit ! Ne crains pas de sortir de toi-même pour entrer dans lAmour. Laisse les « nourritures terrestres », prend le Pain de vie. Dégage-toi, engage-toi. Voilà la vraie liturgie de la grande Pâque.

Pour peu qui nous réalisions ce que nous célébrons en ce Jeudi saint (et à chaque messe) notre coeur frémit dune grande joie mêlée de crainte. Longtemps le Jeudi saint ne fut quun jour de préparation au triduum pascal et surtout à la Nuit de Pâques. On y pratiquait la réconciliation des pêcheurs publics pour leur permettre la communion pendant la Nuit sainte. On y consacrait les huiles nécessaires aux baptêmes de la Veillée pascale.Aujourd

hui la réconciliation se fait tout au long du Carême et la messe chrismale se célèbre, elle aussi, plus tôt, le Jeudi saint étant déjà surchargé pour lévêque et ses prêtres. Loffice se présente comme une polyphonie où se chevauchent plusieurs mélodies :

Il y a dabord le chant de lAgneau pascal : Jésus est maintenant cet agneau immolé, libérateur, donné en nourriture (première lecture). Il y a le thème du sacerdoce : cest le jour où Jésus dit à toute son Eglise : Faîtes ceci en mémoire de moi ; mais il choisit les Douze auxquels il confie la communauté et, particulièrement, son Eucharistie. Il y a enfin la mélodie de lAmour. Il est significatif que la liturgie nous donne – au lieu du récit de la Cène elle-même quon serait endroit dattendre ici – celui du lavement des pieds, geste situé dans lamour jusquau bout. Lorigine de la messe, cest le sacrifice du Christ jusquà lextrême. La fin, le but de la messe, cest encore le don, loubli de nous-mêmes dans le service et lamour de nos frères. Le lavement des pieds exprime éloquemment lun et lautre.

Les lectures forment un ensemble cohérent sur lhistoire du salut dans ses célébrations. LAncien Testament nous rapporte comment se célébrait la Pâque juive : Paul nous raconte la célébration de la Pâque du Christ et lévangile nous indique comment nous devons célébrer notre Pâque.

Première lecture : Ex 12,1-8.11-14

Cette lecture contient les prescriptions rituelles pour le repas pascal juif, repas dont on raconte et les origines historiques et la signification.

La libération dEgypte sest faite grâce au sang dun agneau mis sur les portes des maisons juives qui furent ainsi épargnées lors de la Pâque, du passage de lange exterminateur. Le repas rituel en sera le mémorial. Ce repas a un caractère familial, cest la famille qui se réunit pour manger lagneau immolé dans toute lassemblée de la communauté dIsraël. Cest un repas à la hâte, la ceinture aux reins, les sandales aux pieds, le bâton à la main, prêt pour la route. Quand on sait enfin, par des textes liturgiques juifs, que la dominante était laction de grâce pour la libération, on est en possession de tous les éléments majeurs de ce repas rituel dont Jésus garde la structure, mais change la signification. Ce repas juif est ainsi devenu notre messe.

Un mémorial dune libération bien plus profonde, celle acquise par le sang de Jésus, le vrai Agneau pascal. La nouvelle famille, la nouvelle assemblée dIsraël, cest notre communauté, lEglise chrétienne. Elle se rassemble pour faire action de grâce et prendre le viatique, le pain pour la route, cheminant vers Dieu les reins ceints… attendant sa venue dans la gloire. On voit ici combien Ancien et Nouveau Testaments se tiennent, la célébration du premier introduisant la liturgie du second. Aussi gagne-t-on à lire cette page en regard de la deuxième lecture ou encore dun récit évangélique de la Cène, chez Matthieu 26,26 par exemple. On lève la coupe et on dit : Nous tenons à remercier, à louer, à glorifier, à vanter, à exalter, à célébrer, à bénir, à élever et à magnifier Celui qui a fait toutes ces merveilles pour nos pères et pour nous. Desclaves il a fait de nous des hommes libres, il nous a fait passer de laffliction à la joie, du deuil à la fête, des ténèbres à la lumière éclatante, de la servitude à la délivrance. Récitons-lui un cantique nouveau. Alléluia. (Haggadah de Pessach, Rituel de la Pâque juive).

Les évangiles prennent soin de montrer que laction de grâce de la Pâque juive a été relayée par celle de Jésus, lui qui nous a donné une bien autre libération dans « le sang de lAlliance nouvelle et éternelle ».

Psaume : Ps 115

Comment te rendrai-je grâce, Seigneur, sinon par cette coupe du salut qui nous communique la libération de ton Fils. Cette eucharistie nous rappelle que Jésus a dû mourir et quil est ressuscité : tu as brisé ses chaînes. Je toffrirai donc le sacrifice daction de grâce et, avec le Christ dans et par lequel je prie, jinvoquerai ton nom pour te louer.

Deuxième lecture : 1 Co 11,23-26

La première lettre aux Corinthiens ayant été écrite vers 56, soit environ 25 ans après les faits et bien avant les évangiles, nous sommes ici en présence du récit le plus ancien de la Cène de Jésus. On ne le lit pas sans émotion quand on sait, de plus, que Paul a le souci non dinventer, mais de transmettre ce qui est déjà tradition et qui vient directement du Seigneur.

On y trouve la merveilleuse trilogie : la mémoire du Christ livré, donnant son corps pour nous ; la présence (quand vous en mangez et en buvez vous me recevez, car ceci est mon corps et mon sang) et lannonce de lachèvement (dans lespérance de sa venue). Lacclamation après la consécration sinspire directement de ce passage qui nous aide à embrasser dun seul coup doeil toute lhistoire du Salut.Chaque fois que vous boirez de cette coupe, faites cela en mémoire de moi. Simple souvenir ? Sûrement pas. L

alliance nouvelle est à refaire à chaque eucharistie. Quel engagement ! De quoi hésiter, pour peu quon y réfléchisse. Le souci de Paul de mettre la Cène en relation avec la passion du Christ (corps donné pour vous, coupe de lalliance) doit nous aider à saisir le caractère dynamique de leucharistie : elle est plus que simple présence du Christ, elle est présence libératrice pour nous – et nous devons être, nous-mêmes, présence libératrice pour les autres.

Si vous ne mangez… Si vous ne buvez : Quand donc se décidera-t-on, pour les fêtes du moins, à laisser les fidèles communier sous les deux espèces ? Même un prêtre seul peut présenter coupe et calice ; les fidèles prennent la sainte hostie et la trempent dans le précieux sang. Est-ce compliqué ? Anti-hygiénique ?

Évangile : Jn 13,1-15

Jésus, avant de laisser les apôtres à eux-mêmes, et prévoyant leurs faiblesses, leurs disputes pour les honneurs ainsi que le danger dabuser de leur position de chefs, shumilie devant eux, se fait leur serviteur en leur lavant les pieds afin de leur donner, en cette heure suprême, lexemple du service, lui le Maître et le Seigneur. Si cette leçon vaut particulièrement pour les disciples appelés à être « maîtres » dans lEglise, elle vaut évidemment pour tout disciple du Christ. Qui ne se sentirait concerné ?

Mais il y a plus que cette leçon de service. Le cadre indique autre chose : le lavement des pieds a lieu avant la fête de la Pâque, où est immolé lagneau pascal ; cest lheure de Jésus, celle de sa passion, lheure de passer de ce monde à son Père : déjà Judas a lintention de le livrer. Alors il donne à ses disciples un signe de ce quil va faire dans quelques heures, un signe de cet amour jusquau bout, un signe de son abaissement extrême sur la croix. En versant de leau sur les pieds des disciples, il exprime ce quil va faire : verser son sang. Pierre ne comprend pas, ce nest quaprès les faits, plus tard, à la résurrection, quil saisira la portée de ce mime étrange : sabaisser, se donner jusquau bout. Comme Pierre, nous ne comprenons pas maintenant (avec notre raison).Alors nous protestons avec un : non, tu ne me laveras pas les pieds, non jamais ! Manque de simplicité ou refus inconscient de suivre Jésus dans son jusqu

au bout ? Jésus répond : Si je ne te lave pas les pieds, tu nauras pas de part avec moi. Oui, pour Jésus il sagit davoir part à son abaissement, à son amour jusquau bout. – si nous voulons avoir part avec lui, à sa gloire.

Cest un exemple que je vous ai donné, afin que vous fassiez vous aussi comme jai fait pour vous. Voilà qui dépasse, et de loin, les petits services et la gentillesse des rapports. Allez, vous aussi, jusquau don entier de vous-mêmes, comme jai fait, sur la croix, pour vous. Pour celui qui nest pas familier du style de Jean, celle deuxième interprétation semble tirée par les cheveux. Mais, sans elle, tout le cadre de la passion, la réaction de Pierre et la réponse de Jésus perdent leur sens.

Doux récits étroitement imbriqués dans un seul geste à double signification : lun moral (lhumble service), lautre théologique (labaissement du Christ dans sa passion) ; lun nous presse de servir humblement nos frères, lautre nous dispose à comprendre – un peu – limpossible folie de lamour, pour que nous fassions de même. Que lon ne sétonne pas de voir Jean « oublier » linstitution de lEucharistie. Outre quil consacre un chapitre entier (le 6e) au Christ pain de vie, il exprime ici, dans le geste de sabaisser, de shumilier pour laver les pieds des disciples, un aspect majeur de lEucharistie : rappeler lhumiliation, labaissement du Christ dans sa mort. Jésus na pas fait de discours sur labolition de lesclavage, alors un pilier de la société. Mais Il a renversé les rôles, il sest fait serviteur et esclave. Il a ainsi miné le système de lintérieur. Rien de plus efficace.

Lavement des pieds

Après lhomélie, les rites prévoient, sans limposer, le lavement des pieds, geste familier et fréquent au temps de Jésus. Une certaine gêne, le sentiment dun geste artificiel ne permettent pas, dans beaucoup de cas, de donner au rite une expressivité pastorale… sauf pour celui qui fait ou laisse faire sur lui ce geste dhumilité.

Il faut, en tout cas, préserver le rite dun simple effet de curiosité ou du théâtral. La communauté doit être préparée.

Après tout, Jésus na pas demandé que les disciples lavent physiquement les pieds des autres, mais quils prennent exemple sur son abaissement pour trouver des gestes de respect, daccueil, dhumilité envers leurs frères, et de préférence envers ceux qui sont moins bien placés queux. Servir une personne âgée, laver son corps, son linge, lentourer de respect… sengager pour les classes pauvres, les marginaux… sont des manières – parmi dautres – de traduire en notre temps le geste de Jésus. Une procession doffrandes où lon verse son carême de partage, des dons en nature… la participation des enfants qui présentent la tirelire de leur privations volontaires… exprimeraient lamour fraternel qui, tel le parfum de Madeleine, devrait remplir cette eucharistie.

Communion et procession de la sainte réserve

La communion doit, ce soir, revêtir une chaude solennité : lumières, fleurs, nappes, un rassemblement plus compact des fidèles, si possible autour dune longue table ou en cercle autour de lautel, avec du pain et du vin suffisants pour une communion sous la deux espèces, un geste de paix, avant la communion, plus démonstratif quà laccoutumée ; surtout une ambiance dintimité, de joie contenue – des chants dignes, beaucoup de silence… bref le souci de faire saisir avec plus dintensité ce qui souvent est fait par habitude.

Après la communion le célébrant porte en procession, au lieu prévu, la sainte réserve qui servira à la communion du Vendredi saint. Il est incongru de faire de ce lieu un tombeau au Christ. Parce que la présence eucharistique est une présence glorieuse, et parce que, le jeudi soir, le Christ nest pas encore au tombeau. Il est souhaitable que les fidèles poursuivent ladoration pendant une partie de la nuit : celui qui a partagé la Cène avec Jésus est aussi appelé à veiller avec lui. Un silence priant, parfois entrecoupé dextraits du discours des adieux, de chants, dintercessions vaut mieux que les explications, bavardages. Demeurez avec moi et veillez.L

Eglise garde certains mots plus difficiles, parce quils ont une base scripturaire et sont irremplaçables. Ainsi les mots Mémoire et Mémorial. Quand Jésus dit : « Faites ceci en mémoire de moi », on ne peut traduire « en souvenir de moi » sans trahir un aspect important. Le mot biblique mémoire exprime le souvenir, mais plus que cela. Un peu comme lorsque des époux célèbrent leurs noces dor ou dargent, ils se souviennent du jour de leur mariage, mais cet engagement dalors nest pas du simple passé, il vit encore, il est là, présent, actualisé. Ainsi quand nous faisons leucharistie en mémoire de Jésus, nous faisons plus que nous souvenir de la Cène ou de la passion : le Christ ressuscité est présent parmi nous avec toutes ses actions dalors et il nous y fait communier. Cest dans ce sens plus profond que nous faisons mémoire et que la messe est un mémorial. Parfois on utilise léquivalent grec anamnèse. 

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