En mémoire de Jean-Paul II
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En mémoire de Jean-Paul II
Philippe Capelle
Doyen de la Faculté de Philosophie (Institut Catholique de Paris)
Site web : Page sur le site de l’Institut Catholique de Paris
Homélie prononcée lors de la messe célébrée en l’église Saint Joseph des Carmes le 8 avril 2005
Voici exactement 25 ans – à quelques semaines près -, soit le 1er juin 1980, le jeune Pape Jean-Paul II traversait cette église, s’y agenouillait pour prier puis entrait par la sacristie où quelques séminaristes des Carmes dont j’étais, avaient été délégués pour le saluer. Il était Pape depuis à peine deux ans mais déjà, nous avions la conscience claire de saluer en chair et en os, une figure de l’histoire. Pendant ces mêmes jours, il allait prononcer à l’Unesco, l’un des plus grands discours de l’Après-guerre dans lequel s’annonçait l’effritement, aussi considérable qu’il fut pacifique, de l’autre grand totalitarisme du 20 siècle.
Depuis une semaine, les commentaires produits dans les chancelleries, dans les ambassades, dans les églises, dans les médias et du monde entier ne sont pas avares de superlatifs, de bon ou de mauvais goût, tantôt militants tantôt compassés, parfois les deux. Ils essaient à vrai dire de se hisser à la hauteur de l’émotion profonde et planétaire suscitée par un événement dont l’ampleur dépasse la factualité de la mort naturelle annoncée d’une figure internationale. C’est que pour la première fois dans l’histoire du christianisme, l’évêque de Rome, garant de la communion dans la foi, de l’Église historique et en charge de l’apostolat universel, a pu rencontrer pendant deux décennies et demi, la quasi-totalité des acteurs géographiques, sociologiques, politiques, culturels, et ecclésiaux qui font, dans la pleine lumière ou dans l’ombre, la marche du siècle.Mais se d
évoile un peu plus chaque jour combien cette marche est en dette à l’égard de son rythme à lui, de sa détermination propre et de sa patience jamais en fuite. Le fait que l’on puisse enregistrer en ce moment même à Rome le chiffre inédit de quatre millions de fidèles des cinq continents aux obsèques d’un Pape, ne s’explique pas seulement par la facilitation accrue des déplacements à grande vitesse ; il exprime, dans un juste retour des choses et en tout premier lieu ce que fut la rencontre de foi entre la puissance spirituelle de l’Eglise post-conciliaire et ce qui dans le monde, s’ouvre, à des degrés différents et à des titres divers, au visage de Celui que en dépit de tout, cette Eglise, notre Eglise rend sacramentellement présent. Que certains y voient le « Pape des Juifs » ou le « Pape des jeunes », d’autres « le Pape des musulmans » ou « le Pape du Tiers-monde », le propos mérite respect à proportion des espoirs qu’à travers sa personne et, assurément en vertu de son charisme propre, le mystère de l’Eglise aura fait jaillir auprès des diversités ainsi visitées et valorisées. Si en effet « Dieu ne fait pas de différence entre les hommes », comme le rappelle le texte de Actes 10, l’Eglise reste ici sa toute première obligée si tant est qu’elle se souvienne combien elle-même ne s’est jamais constituée ailleurs que dans l’universalité messianique de son unique maître. Aussi, que l’on nous demande d’identifier dans le Babel des messages, le point d’unité d’une œuvre et d’une action aussi immenses que celle de Jean-Paul II, d’en indiquer le nœud, nous ne serons pas vraiment démunis car nous avons entendu la parole qui avant nous le désigne et parce que nous avons, par grâce, compétence pour en porter témoignage. Ce point d’unité appartient d’abord au dialogue de vérité structuré par la question insistante de Jésus et la réponse, finalement habitée, de Pierre : « M’aimes-tu ? M’aimes-tu ? M’aimes-tu ? » (Jean 21, 16-17). Avec tous les appuis de l’enquête exégétique, on sera fondé à lire dans la réponse ecclésiale du tout dernier successeur de Pierre, le contrepoids du péché de trahison qui nous a fait entendre le coq chanter à chaque siècle de notre histoire. En écho : « Mais tu sais bien que je t’aime » : Jean-Paul II et nous avec lui, avons pu ainsi aller jusqu’à former un jour la réponse de la troisième fois, qui ne laisse devant elle que le silence de la décision.
En quoi, il ne faisait lui, que son travail de Pape. Lorsque sur les chantiers navals de Gdansk en 1979, l’ancien ouvrier d’usine réitère son fameux : « N’ayez pas peur », parole de Pape, tout à coup la formule cynique de Staline demandant : « Le Vatican : combien de divisions ? », ne devient pas seulement ridicule, elle exprime, dans une symbolique infernale, nos infirmités cruelles à l’égard des directions que prend l’Histoire. Nul ne saura dès lors refuser le débat sur l’efficience des forces de l’esprit, sur l’énergie du pacifié qui brise les murs à Berlin et en même temps promeut à Assise le droit universel à la reconnaissance de la différence religieuse. C’est sans doute dans cet esprit qu’il faut entendre le mot que le cardinal Wychinski chuchota à Jean-Paul II au lendemain de son élection : « Tu es là aussi parce que tu as cru. »
Ce premier point d’unité spirituelle fut corrélé dans la personne de Jean-Paul II à celui qui concerne sa présence intellectuelle. Sa formation, sa carrière d’enseignement, le labeur intellectuel acharné, philosophique, théologique et littéraire de l’ancien professeur de l’Université de Lublin, toutes choses qui nous le rendent si proches ici, l’Institut Catholique de Paris, ne sont pas dissociables de sa capacité d’analyse des situations, de sa clairvoyance quant aux chemins à emprunter, plus encore de sa détermination à l’écoute et au respect. Sans doute continuera-t-on, en certains lieux, à mettre en délibéré certaines de ses positions prises dans les domaines politique, moral, voire métaphysique ; mais il sera impossible de contester l’irrigation incessante dans sa pensée, des exigences du rationnel et du sapientiel tout ensemble.
J’ai pour ma part éprouvé intensément cette évidence première, lorsqu’en janvier 2002, au titre de la Conférence internationale des Facultés catholiques de Philosophie, j’eus le privilège de m’entretenir avec lui seul dans son bureau pendant une demi-heure. Alors que nous évoquions un instant la mise en cause, dans certaines contrées du monde, en Orient mais aussi dans certaines sphères d’Occident, du sens accordé à la relation fondatrice entre la philosophie et la théologie, entre le réflexif universel et le discours de la foi, il me lança comme l’éclair et avec l’accent qu’on lui connaît, cette phrase abrupte : « Sans la philosophie, où que ce soit, il n’y a plus de dialogue avec la culture ». Ce que j’ai retenu, ce n’est pas seulement que je devais continuer mon travail, c’est d’abord que, dans la droite ligne de Fides et ratio, il plaçait ainsi en équation une donnée épistémologique et un impératif pastoral.Notre communauté universitaire ne pouvait donc manquer dans l’eucharistie, le rendez-vous mondial que l’Esprit suscite aujourd’hui par de-là la mort d’un seul, au travers des tensions et des conflits persistants. Mais de ce rendez-vous auquel nous participons, nous sommes tous comptables : le temps de l’émotion fait signe assurément. Mais ce signe porte pour nous un nom précis : celui de la Croix, celui du crucifié-ressucité qui nous convoque sur le chemin de la transformation de nos corps en corps glorieux (Phil. 3,21) En effet, Jésus répondit à Pierre à propos de Jean : « Si je veux qu’il reste jusqu’à ce que je vienne, est-ce ton affaire ? Mais toi suis-moi » (Jean, 21,22).
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