Entrer dans l’espérance sans nous laisser fasciner par le mal

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Entrer dans l’espérance sans nous laisser fasciner par le mal

P. Jacky Marsaux, Séminaire Saint-Sulpice, Issy-les-MoulineauxEx 3, 115 – Ps 102 – 1 Co 10, 112 – Lc 13, 1-9

, p. 35-36.

Dans le récit que nous venons d’entendre, Jésus combat une croyance qui n’a pas totalement disparu aujourd’hui : les massacres et les catastrophes seraient une punition divine. De fait, l’homme n’aime pas rester sans explication devant l’inconnu et surtout devant les manifestations du mal. Pourquoi la mort par violence ou par accident ? Pourquoi la mort frappe-t-elle certains et pas d’autres ? Dans le cas présent, des Galiléens sont massacrés pendant qu’ils offraient un sacrifice. Un raisonnement simpliste consiste à dire : le massacre est une punition alors, s’ils sont punis, c’est qu’ils ont beaucoup péché. En première réponse, on pourrait dire : heureusement que Dieu ne punit pas immédiatement tous les pécheurs ! L’Évangile n’ose pas lancer une telle repartie mais il parvient à une idée voisine avec la parabole du vigneron implorant la patience de son maître. Tous les hommes sont pécheurs et ne donnent pas les fruits attendus. Mais le figuier, avec de nouveaux soins, devrait donner du fruit à l’avenir. Du même coup, cette parabole nous aidera à interpréter les deux faits divers un peu choquants. La Parole de Dieu nous d

éroute parce qu’elle vient d’ailleurs

Reconnaissons-le : l’Évangile est parfois déroutant et nous sommes tentés, comme les interlocuteurs de Jésus, de nous en sortir par quelques-unes de nos inventions pour l’expliquer à notre façon. Le mal nous révolte et nous cherchons des explications. Or nous avons à recevoir, à travers des événements étranges, précisément un message étranger. « Ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme » (1 Co 2, 9), voilà ce que Dieu nous fait connaître progressivement. Le Christ n’est pas venu pour exprimer des évidences ou même une simple sagesse du monde mais il est venu pour annoncer le Royaume de Dieu. Une réalité nouvelle déjà présente au milieu de nous mais qui dépasse tellement ce que nous pourrions imaginer. Si souvent, la Parole de Dieu nous déroute et c’est très bien ainsi. Aujourd’hui, accueillons la Parole qui nous advient par l’épisode de Moïse à l’Horeb, la montagne de Dieu. Une rencontre d

écisive qui ouvre un chemin de libération

Dans un paysage familier, Moïse aperçoit un phénomène étrange : un buisson qui brûle sans se consumer. Rappelons brièvement le contexte : les Hébreux sont en Égypte où ils subissent de mauvais traitements. Un jour, Moïse réagit par la violence et tue un Égyptien qui rouait de coups l’un de ses frères hébreux. Le fait étant connu, Moïse s’enfuit, seul, au pays de Madian. C’est alors que le Seigneur s’adresse à lui par le signe du buisson qui brûle sans se consumer. Moïse accepte de faire un détour, il accepte de changer de chemin. Il s’était conduit selon ses propres idées par un acte de violence puis par la fuite loin de son peuple. Alors le Seigneur se révèle à lui comme celui qui prend soin de son peuple parce qu’il en connaît les souffrances : « Je suis descendu pour délivrer mon peuple de la main des Égyptiens et le faire monter de cette terre vers une terre spacieuse et fertile, vers une terre ruisselant de lait et de miel, vers le pays de Canaan. » (première lecture.) Désormais, Moïse est envoyé vers Pharaon, vers celui que, précisément, il cherchait à fuir. Il devient, bien malgré lui, l’envoyé de Dieu auprès de son peuple. Moïse alors n’agit plus selon ses idées mais selon la foi. La foi est vraie lorsqu’elle provoque ce changement de vie qui s’appelle

« conversion ». La foi se vérifie lorsque l’homme ajuste sa vie à la présence du Seigneur. La lettre aux Hébreux souligne par ces mots la grandeur de Moïse : « Par la foi, il quitta l’Égypte sans craindre la fureur du roi : comme s’il voyait l’Invisible, il tint ferme. » (He 11, 27.) La foi est bien cette capacité à suivre le chemin indiqué par le Seigneur. Moïse connaît ses faiblesses et aussi les dangers qui peuvent le menacer, lui et tout le peuple. Mais la rencontre avec celui qui déclare « Je suis celui qui suis » produit un changement profond, un véritable retournement. Il en est de même pour nous chrétiens : en ce temps de carême, le Seigneur nous fait signe, il nous attire à lui pour que nous puissions le rencontrer en vérité et que notre vie en soit transformée. Ce changement opère une libération profonde. Il est figuré par l’épisode historique de la libération du peuple esclave en Égypte.

Une libération toujours en marche La sortie d’

Égypte reste une figure déterminante de la foi chrétienne. Saint Paul en rappelle l’actualité auprès de fidèles négligents : « Nos ancêtres ont tous été sous la protection de la colonne de nuée, et tous ils ont passé la mer Rouge. » (deuxième lecture.) La colonne de nuée est signe de la présence divine, de la présence du Seigneur qui libère son peuple et l’achemine d’étape en étape vers une terre nouvelle. Cette histoire ancienne est relue comme une annonce des sacrements de l’Église : « Tous, ils ont été pour ainsi dire baptisés en Moïse, dans la nuée et la mer. » On peut reconnaître là une figure du baptême qui est une plongée dans l’Esprit Saint et dans l’eau. Cette plongée crée des êtres nouveaux qui bénéficient d’une même nourriture spirituelle et d’une même source spirituelle. « Ils buvaient à un rocher qui les accompagnait, et ce rocher, c’était déjà le Christ. » Saint Paul parle de l’eucharistie au moyen d’une figure qui peut nous sembler étrange. Tout comme, au désert, le rocher que Moïse frappa laissa jaillir une eau abondante (voir Ex 17, 6), de même, sur la croix, du côté du Christ transpercé sortit une boisson spirituelle, l’eucharistie. Ce don extraordinaire sollicite de notre part une réponse convenable, c’est-à-dire une vie qui plaise au Seigneur. Par l’eucharistie, nous avons bien davantage qu’un signe comme le buisson ardent : c’est le Seigneur lui-même qui vient vivre en nous. Il serait grave de mépriser la présence divine. C’est pourtant ce qui est arrivé au désert lorsque certains se sont révoltés contre Dieu et ont été exterminés. Saint Paul indique ce fait comme un avertissement pour nous.

Invités à nous convertir aujourd’hui Des Galil

éens massacrés et des personnes écrasées par la chute d’une tour : Jésus n’entre pas dans la discussion sur le pourquoi de ces malheurs mais il invite ses auditeurs à reconnaître dans ces événements déroutants un signe et un avertissement. Un signe de la fragilité de l’existence humaine. Les victimes ne sont pas davantage coupables de péchés que les autres. Leur mort brutale doit nous rappeler nos propres limites. Nos jours sont comptés et, pour cette raison, il ne faut pas remettre à plus tard notre conversion. Un avertissement nous est lancé : demain, il sera peut-être trop tard. « C’est aujourd’hui le moment favorable, c’est aujourd’hui le jour du salut » (2 Co 6, 2) si nous revenons au Seigneur de tout notre cœur. Lui-même fait tout son possible pour que nous portions vraiment du fruit. Il nous aime d’un amour qui insiste et se met en peine pour notre bien. L’Évangile d’aujourd’hui n’apporte pas de réponse à nos « pourquoi ? » ou à nos révoltes contre le mal. Ce n’est pas son objectif. Le mal reste une énigme. Il risque toujours de nous fasciner au point de nous plonger dans une sorte de désespoir car il est le plus souvent insensé. Moïse ne s’est pas enfermé dans le cercle des explications possibles au malheur qui frappait son peuple. Sa vie a changé lorsqu’il a détourné son regard de l’Égypte qu’il fuyait pour s’attacher fermement à l’Invisible qui se manifesta dans le buisson ardent. Il a quitté le « lieu de la méchanceté » (Origène) pour s’attacher au Dieu vivant. De même, notre vie est changée lorsque nous nous détournons du mal sous toutes ses formes pour suivre résolument la voie de notre Sauveur. En effet, le Christ n’est pas venu pour expliquer le mal mais pour nous en libérer. À quoi bon expliquer le mal si nous en sommes toujours accablés et parfois écrasés ? Le Seigneur se révèle à nous comme celui qui vient nous en libérer et nous conduire pas à pas vers le monde nouveau. La Terre promise est devant nous, toute proche. Nos pères dans la foi, Moïse notamment, nous en montrent le chemin. Voilà ce qui vient aujourd’hui donner un nouvel élan à notre carême. Il est temps d’entrer vraiment dans l’espérance que le Seigneur nous offre.

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