Archive pour février, 2007

Écoles catholiques en Jordanie

26 février, 2007

du site:

http://www.30giorni.it/fr/articolo.asp?id=12460

Écoles catholiques en Jordanie
De petits miracles sur les bancs de l’école

Voyage dans les écoles catholiques du Royaume hachémite. Histoire et actualité d’une forme de présence chrétienne qui a toujours joui, même auprès de la majorité musulmane, du consensus social

par Gianni Valente

Écoles catholiques en Jordanie dans Approfondissement shim
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      À huit heures du matin, comme tous les jours de la semaine, les élèves du “Terre Sainte” College, après avoir longtemps flâné en attendant la sonnerie, se rangent par classe, en files silencieuses, dans la cour de l’école, sous le regard sévère du directeur, Abouna Rachid. Pendant que le petit Khalid hisse les couleurs sous la forme d’un mini-drapeau de la Jordanie, tous les autres, chrétiens et musulmans, invoquent ensemble l’unique Dieu, Père de tous («Seigneur, bénis-nous ainsi que notre pays et notre école. Éclaire nos esprits et donne-nous la paix»). Puis la musique démarre et, en braves citoyens – qui avec ardeur, qui plus mollement –, ils entonnent ensemble l’hymne national («Vive le roi, vive le roi! Haute est sa réputation, sublime est son rang. Haut son drapeau!»). Puis ils s’égaillent gaiement et bruyamment dans les couloirs et les classes où, à côté des crucifix et des portraits du roi Abdullah II, ont aussi fait leur apparition ces dernières semaines les crèches, les saints Nicolas et autres décorations du temps de Noël. Aucune maman portant le voile, aucun papa fréquentant la mosquée voisine n’ont rien trouvé à redire à cela.
     
Sur ce qui est aujourd’hui une entrée latérale apparaît l’inscription “1948”, année de fondation de l’école. À cette date, le Royaume hachémite de Jordanie faisait ses premiers pas – encore incertains – dans le domaine miné du Moyen-Orient et les Pères de la Custodie de Terre Sainte, sur la colline de Habdale, venaient à peine de construire leur école, aujourd’hui encore l’une des plus prestigieuses du pays et du Moyen-Orient. Leur fondateur saint François, avait dès sa première règle, en 1221, parlé de façon claire: que les frères qui vont parmi les musulmans «n’entrent pas dans des litiges ou des disputes», mais qu’ils soient au service de tous. Consigne respectée. À leur manière, les photos d’époque accrochées au mur – avec le tout jeune roi Hussein entouré des frères, puis avec le prince Hassan et d’autres membres de la maison royale en visite aux cérémonies officielles de la communauté scolaire – expriment la gratitude ininterrompue du jeune pays musulman dirigé par des rois qui se déclarent descendants de Mahomet, pour l’œuvre accomplie par le collège franciscain et toutes les autres écoles chrétiennes au profit de la jeunesse arabe d’Outre-Jourdain. «Nous sommes fiers de nos écoles chrétiennes en raison de la contribution irremplaçable qu’elles apportent au bien de notre société. Il n’y a jamais de problèmes avec elles. Elles sont toujours respectueuses des règles ministérielles concernant le nombre d’élèves par classe, les programmes scolaires, les livres de texte», confie, satisfait et reconnaissant Abd al-Majid al-Abbady, haut fonctionnaire du Département pour les écoles privées du Ministère de l’Éducation.
     
Si, dans de nombreuses sociétés du Moyen-Orient, la présence active des chrétiens risque d’apparaître comme un corps étranger en lente mais inexorable extinction, la vitalité et l’enracinement social des écoles chrétiennes en Jordanie deviennent
ipso facto un “cas” intéressant.
     

      Quelque chose de bon pour tous

      À Karak, 130 kilomètres au sud d’Amman, on voit se dresser de loin la silhouette du château des croisés dans un paysage désertique, privé de toute ressource sur et sous terre. De la forteresse où se déchaînait le prince sanguinaire Renaud de Châtillon, symbole funeste de la chrétienté en armes, ne reste qu’un tas de ruines. En revanche, la petite école du Patriarcat latin est pleine de vie et de voix d’enfants. Elle est restée exactement à l’endroit où l’a fondée, en 1876, don Alessandro Macagno, le mythique Abouna Skandar qui prêchait l’Évangile aux tribus de Bédouins chrétiens perdus au-delà du Jourdain, vivant comme eux sous la tente et transportant avec lui un autel portatif pour célébrer l’eucharistie. À cette époque, le gouverneur ottoman ne voulait pas lui donner l’autorisation de célébrer. Ce sont les habitants du lieu, chrétiens et musulmans ensemble, qui ont réussi à venir à bout des résistances du gouverneur. Les Bédouins musulmans, qui ne connaissaient que la brutale soif de prébendes et de pots-de-vin des fonctionnaires locaux de l’appareil civil ottoman, avaient compris eux aussi qu’ils ne pouvaient attendre que du bien de cet homme humble et pieux qui leur apprenait à lire et à écrire.

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De la forteresse où se déchaînait le prince sanguinaire Renaud de Châtillon, symbole funeste de la chrétienté en armes, ne reste qu’un tas de ruines. En revanche, la petite école du Patriarcat latin est pleine de vie et de voix d’enfants. Elle est restée exactement à l’endroit où l’a fondée, en 1876, don Alessandro Macagno, le mythique Abouna Skandar qui prêchait l’Évangile aux tribus de Bédouins, transportant avec lui un autel portatif pour célébrer l’eucharistie

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      Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les écoles fondées au-delà du Jourdain par les prêtres du Patriarcat latin de Jérusalem qui venait d’être érigé, furent les premières écoles ouvertes dans un monde clos et marginal, régi par les mesquines lois sociales du tribalisme. Enseigner aux ignorants est une œuvre de miséricorde spirituelle. Et l’enseignement offert à tous – chrétiens et musulmans, pauvres et riches, tribus du nord et tribus du sud – fut le passe-partout qui permit au témoignage apostolique de s’enraciner en terre aride, dans les zones rurales ou désertiques qui n’avaient jamais vu aucune initiative pastorale catholique. Aujourd’hui encore, à Karak comme à Salt, à Hoson comme à Ajlun, à Ader comme à Anjara, les bâtiments des écoles paroissiales forment un tout avec l’église et toute l’activité d’éducation se déroule sous la responsabilité dernière du curé de la paroisse locale.

      Du fait de leur très ancienne implantation dans le pays, les écoles catholiques de la Jordanie ont acquis depuis longtemps un plein droit de cité dans le pays. Quand fut créé le Royaume hachémite de Jordanie, le réseau scolaire du Patriarcat latin – auquel vinrent rapidement se joindre les grands collèges ouverts à Amman par des congrégations religieuses catholiques – représentait le seul système éducatif “autochtone” existant.

      Aujourd’hui, dans la Jordanie où sont en cours d’indéchiffrables processus socio-économiques nés, en partie, des conflits voisins, l’éducation est elle aussi devenue un business. La concurrence est de plus en plus asphyxiante. Dans les banlieues chic de la capitale poussent à la vitesse grand V de nouvelles écoles commerciales privées, dotées de noms ronflants et agressifs: Modern American School, Cambridge School, Islamic College, al-Shweifat School… Pour les professeurs et le staff des écoles catholiques, la qualité de l’enseignement qu’ils diffusent – but sans prétention de leur témoignage chrétien – devient la garantie de leur survie économique.
     
Dans le village chrétien de Fuheis, dans l’entrée de l’école qui a été construite à côté de la paroisse dédiée au Cœur immaculé de Marie, un portrait de la Vierge accueille ceux qui entrent. Marie semble regarder, à côté d’elle, avec une maternelle curiosité, un tableau portant la liste, classe par classe, des élèves qui ont obtenu les meilleures notes aux contrôles de fin d’année. La surveillance permanente que, dans les écoles jordaniennes, les pouvoirs publics exercent sur le rendement scolaire de chaque élève peut apparaître, de l’extérieur, comme un syndrome d’efficience calqué sur des modèles importés de l’étranger. Une course frénétique aux bons résultats qui peut provoquer chez les étudiants un féroce esprit de compétition et des frustrations décourageantes. Mais ce n’est qu’en participant à ce jeu que les écoles chrétiennes peuvent prouver, aujourd’hui encore, le haut niveau de leur enseignement. Un ingrédient essentiel pour continuer à attirer les familles musulmanes. À la fin de chaque année, le Ministère de l’Éducation dresse la liste des dix meilleurs élèves dans les différentes disciplines et, chaque année, figurent à ce tableau d’honneur des élèves des écoles chrétiennes, ce qui, naturellement, donne lustre et réputation à l’école à laquelle ils appartiennent. À Fuheis, le nom de ces petits génies nationaux est même gravé, tous les ans, sur une plaque de marbre exposée, sans fausse modestie, comme une relique, à l’extérieur, près de la porte d’entrée de l’école.
     
      Adeste
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      Abouna Bachir passe en courant, soutane ondulante, dans les couloirs pleins de soleil de l’école paroissiale d’Ader. Il plaisante avec les enfants, montre les photos des excursions et le local où est installée l’école de couture, entrouvre la porte d’une classe où une maîtresse portant le voile a rassemblé des enfants musulmans pour la leçon de Coran. «Ils suivent leur cours de catéchisme…», dit en souriant le jeune curé. «Nous savons ici, depuis des siècles, que, pour ne pas nous disputer avec les musulmans, il vaut mieux ne pas parler de doctrine et de religion. Les parents musulmans tiennent à envoyer leurs enfants dans nos écoles. Ils savent qu’ils trouvent là un milieu différent où leurs enfants grandissent comme il faut et où personne ne veut rien imposer à personne». Une vieille habitude que tout le monde ne comprend pas: «Il y a longtemps», ajoute le curé, «un missionnaire protestant américain voulait savoir combien de musulmans j’avais baptisés durant l’année. Je lui ai dit que mon problème n’était pas de convertir les musulmans. Il m’a alors demandé quels étaient mes problèmes. Je lui ai répondu que j’espérais aider les chrétiens à être contents d’être chrétiens. Point, c’est tout».

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La paroisse du Christ-Roi à Misdar, dans le centre d’Amman
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      Les statistiques les plus récentes révèlent que, durant l’année scolaire 2005-2006, presque la moitié des vingt-trois mille élèves des écoles catholiques en Jordanie appartenaient à des familles musulmanes. Plus d’un quart du personnel – presque mille neuf cents personnes entre les enseignants et les autres employés – des écoles chrétiennes était lui aussi disciple du Prophète. La règle tacite qui demande d’éviter toute controverse religieuse est pour les écoles une donnée désormais inscrite dans leur ADN, l’héritage de siècles de coexistence, difficile, peut-être, mais ininterrompue, entre les tribus musulmanes et les tribus chrétiennes d’Outre-Jourdain. Mais on ne cherche pas, pour éviter tout conflit confessionnel, à créer des milieux religieusement “stérilisés”. On s’en remet plutôt à des habitudes pratiques, fruit de décennies d’expérience, dictées par le bon sens chrétien: mise au ban de tout prosélytisme, direct ou détourné, enseignement religieux séparé pour les chrétiens et les musulmans, prières communes dans lesquelles tous les élèves peuvent invoquer la miséricorde d’Allah, Seigneur de tous les hommes. Un dispositif de discrétion et de délicatesse étudié pour favoriser la coexistence quotidienne, pour désamorcer tous les soupçons qui peuvent naître dans la vie ordinaire, dans l’espoir de diffuser des antidotes à l’intolérance dans les salles de classe mais aussi à l’extérieur. «Nous avons pour devise: amis à l’école, amis dans la société», dit avec hardiesse Abouna Rifat Bader, qui a créé sur Internet un site, très fréquenté, d’informations en arabe sur la vie de l’Église (www.abouna.org) et qui est responsable de l’école de Wassieh, la plus jeune des écoles du Patriarcat latin. «Si un élève a fait ses études chez nous et qu’il a été content, il est peu probable qu’il aille dire du mal des chrétiens autour de lui». Un pari que viennent confirmer les nombreux petits miracles qu’il voit se produire quotidiennement dans les salles de classe, dans la cour et dans les couloirs de sa belle école, laquelle est sortie de terre dans le désert, il y a six ans, durant l’année du Jubilé. Pendant qu’il parle, le chœur de l’école répète le spectacle de Noël, révisant les scènes, les comptines et les chants de Noël en arabe, en anglais, en italien. Les enfants font aussi allusion à l’histoire d’un enfant né, il y a deux mille ans, par une nuit froide, dans une mangeoire, non loin d’ici. Les petits choristes sont une trentaine. Presque la moitié d’entre eux sont musulmans.
     

      L’hymne de frère Émile

      Dans l’entrée du prestigieux “De La Salle” College des Frères des Écoles chrétiennes, le portrait de Benoît XVI trône entouré de ceux du roi Hussein et du roi Abdullah. Frère Émile, le créatif directeur du collège, a même mis en musique un hymne à l’honneur du monarque hachémite. Le religieux d’origine libanaise exalte les effets stimulants que, selon lui, la coexistence entre chrétiens et musulmans produit, entre autres du point de vue éducatif («frottez votre cerveau à celui d’un autre et la flamme jaillira». Et il explique aussi sans réticence sa profonde déférence pour les autorités civiles: «Nous menons une vie tranquille parce que le roi, la famille royale et aussi le gouvernement sont avec nous. L’ancien premier ministre et beaucoup de ministres ont été nos élèves. L’actuel premier ministre a mis ses enfants dans notre école. Tant qu’il y a le roi, nous n’avons pas peur». Sœur Émilie énumère elle aussi les noms des princesses Alia, Aisha et Zayn, filles du roi Hussein, qui ont grandi sur les bancs de l’école des sœurs du Rosaire qu’elle dirige aujourd’hui. Elle vit, sans regrets ni protestations, sa vocation chrétienne qu’elle a mise au service des jeunes musulmanes de Jordanie. Elle étale avec satisfaction les articles et les photos qui racontent ou montrent la présence des membres de la famille royale et des plus hautes autorités du pays aux
graduation days de l’école. Et elle hoche la tête en pensant à ces occidentaux bornés qui ne voient pas les facteurs en jeu dans le délicat rapport entre majorité islamique et minorités chrétiennes arabes au Moyen-Orient. «Les problèmes», dit-elle, «nous sont venus de l’extérieur. Et, de toute façon, la maison royale sait comment les affronter au mieux».

      La bienveillance fortuite et providentielle des hachémites à l’égard de toutes les écoles chrétiennes du Royaume ne s’exprime pas seulement dans la généreuse disponibilité de la famille royale à assister aux inaugurations et aux galas de fin d’année. Lorsque, à partir du milieu des années Soixante-dix, les Frères musulmans – qui, en Jordanie, ont toujours joui d’une totale liberté d’action –, voyant dans l’éducation un instrument pour l’islamisation militante de la société, ont cherché à conquérir l’hégémonie dans ce domaine, la maison royale n’a pas hésité à jouer son rôle et à rétablir l’équilibre par des mesures concrètes. Ainsi, à la fin des années Quatre-vingt-dix, quand, dans les universités, les professeurs liés aux Frères musulmans choisirent à dessein comme date pour les examens le 25 décembre, le roi Abdullah répondit immédiatement aux protestations des chrétiens en transformant Noël et le Jour de l’An en jours fériés pour tout le pays. Dans le calendrier hebdomadaire, les activités des écoles chrétiennes sont suspendues le vendredi et le dimanche et chaque école a droit à un jour de fête pour célébrer son saint patron.
      L’autre face de cette grande prédilection royale est la soumission absolue des écoles chrétiennes aux programmes scolaires ministériels. Jadoun Salameh, professeur d’arabe dans les écoles chrétiennes depuis 28 ans, est l’image vivante de ce respect tranquille des consignes données. Il a enseigné toute sa vie et sans problèmes une matière essentielle pour toutes les sections scolaires, matière fondée en grande partie sur le Coran et sur les écrits des prophètes, les racines religieuses de la civilisation islamique, dans laquelle il est plongé en même temps que tous les chrétiens arabes. La familiarité respectueuse qu’il a acquise avec les écrits sacrés et les conceptions religieuses musulmanes («il y en avait qui avaient du mal à croire que j’étais chrétien») l’ont aidé à y voir clair dans la complexe partie d’échecs qui se joue encore autour de l’inspiration coranique des livres et des programmes scolaires.

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Laboratoire de sciences du Terre Sainte College
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      La stratégie des Frères musulmans concernant les écoles connut son apogée lorsque, entre 1989 et 1990, même si ce n’était que pour quelques mois, les militants du “réveil” islamique en Jordanie obtinrent le contrôle du Ministère de l’Éducation. L’introduction de doses massives de Coran dans les textes scolaires, l’exaltation de la “conquête islamique” dont on rebattait les oreilles des élèves ainsi que les nombreux appels au djihad contre les mécréants, éléments correspondant tous à la propagande islamiste, remontaient en fait à un temps déjà ancien. Mais ces dernières années, depuis l’accord de paix avec Israël (1994) et plus encore après le 11 septembre, la dérive islamiste des programmes scolaires semble avoir subi un coup d’arrêt. Un revirement ouvertement inspiré par la maison royale.
      En novembre 2004, un an avant les attentats dans la capitale jordanienne, le roi Abdullah avait lancé le fameux “Message d’Amman” dans le but «d’éclaircir pour le monde ce qu’est et ce que n’est pas l’islam». Une initiative par laquelle la dynastie hachémite visait à réaffirmer sa fonction d’interprète et de garant de la «juste compréhension» de la foi islamique. Celle-ci était présentée comme «un message de fraternité et d’humanité qui soutient ce qui est bon, interdit ce qui est erroné et accepte les autres en honorant chaque être humain». L’application de ces indications dans le domaine scolaire entraîna la disparition progressive, dans les livres de texte, des poésies, de la propagande historique et des citations coraniques que les fondamentalistes risquaient d’exploiter à leur fins. «Maintenant», raconte Jadoun Salameh, «on ne trouve plus dans les livres que des versets coraniques conciliants, dans lesquels on exalte la beauté de la création et de la coexistence pacifique entre les peuples. Aucune trace de guerre sainte, aucun appel à soumettre à l’islam les mécréants…».
     
     
Une aide discrète
      Si, dans les écoles chrétiennes, la coexistence effective entre chrétiens et musulmans est une pratique ancienne rôdée par des siècles de vie commune, dans la vie quotidienne du Royaume, de telles expériences risquent d’apparaître toujours plus comme des îlots de bonheur, des enclaves résiduelles d’un passé qu’il n’y a plus qu’à regretter. On sait bien – il n’est même pas besoin de le dire – que là aussi, ces dernières décennies, il y a eu des gens pour empoisonner progressivement les sources de relative tolérance qui arrosaient une coexistence plus que millénaire. Rien n’est plus comme avant. Les anciens rites d’“accoutumance” réciproque qui réglaient les rapports entre les tribus chrétiennes et musulmanes au-delà du Jourdain se sont affaiblis. Les élèves des écoles chrétiennes eux-mêmes, subissent, lorsqu’ils passent à l’Université d’État, l’assaut et les intimidations de professeurs et de collègues zélés, blindés dans leurs certitudes, qui se sentent appelés à endoctriner les “pauvres sots”, enfants de la nation jordanienne, qui croient vraiment que Jésus est le fils de Dieu. L’activisme islamiste, le militantisme religieux qui envahit la vie publique, deviennent pour beaucoup d’entre eux un harcèlement spirituel asphyxiant.

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Les écoles catholiques exercent ainsi leur mission la plus intime et la moins visible. Il s’agit pour elles de rendre faciles, sereins, sans complexe, les premiers pas dans la vie sociale de nombreux enfants et adolescents chrétiens. Sans construire de fortins de défense

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      C’est précisément pour répondre à cette évolution que les écoles catholiques exercent, et elles en ont conscience, leur mission la plus intime et la moins visible. Il s’agit pour elles de rendre faciles, sereins, sans complexe, les premiers pas dans la vie sociale de nombreux enfants et adolescents chrétiens. Sans construire de fortins de défense, dans une atmosphère ouverte, en les faisant grandir côte à côte avec les musulmans de leur âge. En leur permettant de jouir, sans même qu’ils s’en aperçoivent, des fruits de la constante gratuité que la charité chrétienne fait briller dans le domaine ordinaire des occupations les plus habituelles. Avant que n’arrivent les difficultés et les temps de l’épreuve.
      Pour le père Hanna Kildani, responsable des écoles du Patriarcat latin d’Outre-Jourdain, tout cela veut dire aussi combattre quotidiennement avec des comptes en rouge, toujours plus en rouge. Parmi les conséquences économiques de la situation chaotique du Moyen-Orient figure aussi la diminution des salaires de la classe moyenne, à laquelle appartenait une bonne partie des familles chrétiennes qui considéraient les écoles du Patriarcat comme “ses” écoles. Ils sont toujours plus nombreux à demander l’exemption partielle ou totale du paiement des frais de scolarité, déjà largement insuffisants pour couvrir les coûts de la gestion ordinaire. Le généreux soutien économique assuré par les Chevaliers du Saint Sépulcre dispersés dans le monde entier ne réussit pas à boucher les trous du budget. «Le déficit annuel des écoles patriarcales augmente de façon vertigineuse. Il a atteint pour la seule Jordanie deux millions de dollars. Mais pour notre patriarche Michel Sabbah, pourvoir à l’éducation des jeunes de toutes les confessions chrétiennes est une priorité absolue en soi mais également si l’on veut freiner l’émigration des chrétiens de cette terre. «Nous voulons éviter par tous les moyens que les familles chrétiennes abandonnent nos écoles parce qu’elles n’on pas assez d’argent», explique Nader Twal, responsable de la communication pour le Département de l’éducation du Patriarcat latin. Il y a des parents qui en profitent. D’autres font ce qu’ils peuvent et reviennent éventuellement à la vieille méthode du paiement en nature à base d’onces d’huile d’olive. Mais le père Hanna et ses collaborateurs abordent la crise sans trop dramatiser. Comme leurs ancêtres, habitués à la vie précaire des tentes bédouines, ils savent bien que les choses finissent par s’arranger. Si Allah le veut.

Lettre de Saint Augustin a Proba – 3me et dernière partie: 20-31

26 février, 2007

20. On dit que nos frères en Egypte prient fréquemment, mais brièvement et par élan; ils agissent ainsi pour éviter que l’attention et la ferveur, si nécessaires à la prière, s’évanouissent et s’éteignent en des oraisons trop prolongées. Par là aussi ils montrent assez que s’il ne faut pas s’exposer à l’affaiblissement de cette ferveur, quand elle ne peut durer, il ne faut pas l’interrompre trop tôt, quand elle se soutient. Tant que dure cette vive et sainte application du coeur, écartez de l’oraison les longues paroles, mais priez, priez longtemps. Beaucoup parler en priant, c’est faire une chose nécessaire avec des paroles inutiles. Beaucoup prier, c’est frapper à la porte de celui qu’on implore avec un long et pieux mouvement du coeur. C’est là le plus souvent une affaire qui se traite plus avec des gémissements qu’avec des discours, plus avec des larmes qu’avec des entretiens. Dieu met nos larmes devant sa présence; nos soupirs ne restent pas ignorés de celui qui a tout créé par sa Parole et n’a que faire des paroles humaines.  21. Les paroles nous sont nécessaires pour nous exciter à ce que nous demandons et y être attentifs, non pour apprendre à Dieu nos besoins ni pour le fléchir. Ainsi lorsque nous disons : « Que votre nom soit sanctifié, » nous nous avertissons nous-mêmes qu’il faut désirer que son nom, toujours saint, le soit toujours aux yeux des hommes, c’est-à-dire que ce nom ne soit point méprisé : ce qui est profitable non pas à Dieu mais aux hommes. Lorsque nous disons : « Que votre règne arrive, » nous excitons notre désir vers ce règne qui arrivera, que nous le voulions ou non, et nous demandons qu’il vienne pour nous et que nous méritions d’y avoir part. Lorsque nous disons : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel, » nous lui demandons la grâce de lui être soumis, pour que nous fassions sa volonté comme les anges la font dans le ciel. Lorsque nous disons : « Donnez-nous aujourd’hui

1. Luc, III, 12; XXII, 43. 

notre pain quotidien, » le mot aujourd’hui désigne le temps de notre vie pour lequel nous demandons, ou bien le nécessaire en le désignant par le pain qui en est la partie principale , ou bien le Sacrement des fidèles qui nous est nécessaire dans cette vie, non pour être heureux ici-bas, mais pour obtenir l’éternelle félicité. Lorsque nous disons : « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés, » nous, nous avertissons de ce qu’il faut demander et de ce qu’il faut faire pour l’obtenir. Lorsque nous disons : « Ne nous abandonnez pas à la tentation, » nous nous avertissons que nous devons demander à Dieu de ne pas nous priver de son secours, de peur que la séduction ou l’accablement ne nous fasse succomber. Lorsque nous disons : « Délivrez-nous du mal (1) , » nous nous avertissons qu’il faut penser que nous ne sommes pas encore en possession de ce bien où l’on ne souffre plus aucun mal. Cette fin de l’oraison dominicale a un sens si étendu qu’un chrétien, quelle que suit sa tribulation, y trouve l’expression de tous ses gémissements et le sujet de toutes ses larmes; c’est par là qu’il commence, c’est par là qu’il continue , c’est par là qu’il achève sa prière. Il fallait que ces paroles recommandassent les choses elles-mêmes à notre mémoire.  22. En effet, quelles que soient les paroles que nous prononcions, pour marquer l’intention de notre prière ou en accroître la pieuse ardeur, nous ne disons rien de plus que ce qui se trouve dans l’oraison dominicale, si nous prions comme il faut. Mais quiconque, s’adressant à Dieu, dirait des aloses qui ne pourraient pas se rapporter à cette prière évangélique, lors même qu’il ne demanderait rien de mauvais, prierait charnellement; et je ne sais pas pourquoi cela ne serait pas jugé mauvais, puisqu’il ne convient pas à ceux qui ont été régénérés par l’Esprit de prier autrement que selon l’Esprit. Ainsi, par exemple, dire : « Soyez glorifié dans toutes les nations comme vous l’êtes parmi nous; » de plus : « Que vos prophètes soient trouvés fidèles (2), » n’est-ce pas dire : « Que votre nom soit sanctifié?» Dire : « Dieu des vertus, convertissez-nous, et montrez- nous votre face, et nous serons sauvés (3), » n’est-ce pas dire : « Que votre règne arrive ? » Dire : « Dirigez nos pas selon votre parole, et 

1. Matth. VI , 9-13. — 2. Ecclesias. XXXVI, 4, 18. — 3. Ps. XXLIX, 4. 

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qu’aucune iniquité ne domine en moi (1), » n’est-ce pas dire : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ? » Dire : « Ne me donnez ni la pauvreté ni les richesses (2), » n’est-ce pas dire : « Donnez nous aujourd’hui,  notre pain quotidien? » Dire : « Seigneur, souvenez-vous de David et de toute sa douceur (3), » ou bien : « Seigneur, si j’ai fait cela, si l’iniquité est dans mes mains, si j’ai rendu le mal pour le mal (4), » n’est-ce pas dire : « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés? » Dire : « Eloignez de nous les concupiscences de la chair, et qu’aucun mauvais désir ne me saisisse (5), » n’est-ce pas dire : « Ne nous abandonnez point à la tentation? » Dire : « Tirez-moi des mains de mes ennemis, ô mon Dieu, et délivrez-moi de ceux qui s’élèvent contre moi (6), » est-ce autre chose que : « Délivrez-nous du mal? » Si vous parcourez toutes les paroles des prières des saintes Ecritures, vous ne trouverez rien qui ne soit contenu et enfermé dans l’oraison dominicale. On est libre de demander les mêmes choses en d’autres termes, mais on n’est pas libre de demander autre chose.  23. Voilà ce que nous devons demander sans hésitation pour nous, pour les nôtres, pour les étrangers et même pour nos ennemis, quoique, dans la prière, le coeur soit autrement porté vers les uns que vers les autres, selon les liaisons de parenté ou d’amitié. Mais celui qui, dans l’oraison, dit par exemple : Seigneur, augmentez mes richesses, ou bien : Donnez-m’en autant que vous en avez donné à celui-ci ou à celui-là ; ou bien : Augmentez mes honneurs, faites-moi puissant et illustre dans ce siècle; celui qui dit cela ou quelque autre chose dans ce genre et qui aspire aux dignités et aux richesses parce qu’il en a l’ardente soif, et non parce qu’il voudrait en tirer parti, selon Dieu, pour l’avantage des hommes, celui-là ne trouve pas, je le crois, dans l’oraison dominicale, de quoi exprimer de pareils voeux. C’est pourquoi qu’il ait honte au moins de demander ce qu’il n’a pas honte de désirer; ou bien, s’il en a honte, mais si la cupidité l’emporte, ne vaut-il pas beaucoup mieux qu’il demande d’en être délivré à celui à qui nous disons : «Délivrez-nous du mal ! » 

24. Vous savez maintenant, je pense, comment  1. Ps. CXVIII. 133. — 2. Prov. XXX, 6. — 3. Ps. CXXX, 1. — 4. Ps. VII, 4. — 5. Ecclés. XXIII, 6. — 6. Ps. LVIII, 2.  vous devez être pour prier et ce que vous devez demander; ce n’est pas moi qui vous l’ai appris, c’est celui qui a daigné nous instruire tous. Il faut chercher la vie heureuse, il fau la demander à Dieu. On a beaucoup disserté pour savoir ce que c’est que d’être heureux mais nous, qu’avons-nous besoin d’interroger les philosophes et d’étudier les systèmes? Il a été dit en peu de mots et avec vérité dans l’Ecriture de Dieu : « Heureux le peuple dont le Seigneur est le Dieu (1). » Pour appartenir à ce même peuple, pour arriver jusqu’à contempler ce Dieu et à vivre éternellement avec lui, que faut-il? « La charité qui est la fin de la loi, la charité partie d’un coeur pur, d’une bonne conscience et d’une foi non feinte (2). » Dans ces trois choses, la bonne espérance est exprimée par la conscience. La foi, l’espérance et la charité conduisent donc à Dieu celui qui prie, c’est-à-dire celui qui croit, qui espère, qui désire et qui considère dans l’oraison dominicale ce qu’il doit demander à Dieu. Les jeûnes, les autres mortifications de la chair, qu’il ne faut pas pousser jusqu’à compromettre la santé, les aumônes, les aumônes surtout, aident beaucoup à la prière; nous pourrons dire alors: «J’ai cherché Dieu au jour de mon affliction; je l’ai cherché la nuit avec mes mains, et n’ai pas été trompé (3). » Comment cherche-t-on avec les mains un Dieu incorporel et impalpable, si ce n’est avec les oeuvres ?  25. Peut-être demandez-vous encore le sens de ces paroles de l’Apôtre : Nous ne savons « pas ce que nous devons demander (4).» Car on ne peut pas croire que l’Apôtre ni ceux à qui il s’adressait ignorassent l’oraison dominicale. Pourquoi donc ce langage de celui qui n’a rien pu dire de téméraire ni de contraire à la vérité ? pourquoi donc a-t-il parlé ainsi ? n’est-ce point parce que les peines et les tribulations temporelles servent souvent à guérir de l’orgueil, à éprouver et exercer la patience pour lui obtenir une récompense plus glorieuse et plus abondante, ou à châtier et à effacer les péchés; et ignorant jusqu’à quel point ces épreuves nous sont avantageuses, nous demandons d’en être délivrés? L’Apôtre montre qu’il n’était pas exempt lui-même de cette ignorance et peut-être ne savait-il pas ce qu’il devait demander à Dieu, lorsque le Seigneur, voulant l’empêcher de s’enorgueillir par la grandeur de ses révélations, 

1. Ps. CXLIII, 15. — 2. I Tim. 1, 5. — 3. Ps. LXXVI, 2. — 4. Rom, VIII, 26.  273  lui donna l’aiguillon de la chair et permit que l’ange de Satan le souffletât; il pria Dieu trois fois de l’en délivrer, ne sachant pas demander ce qu’il fallait. Enfin ce grand homme entendit la réponse de Dieu qui lui disait pourquoi il ne convenait pas qu’il exauçât sa prière : « Ma grâce vous suffit, car la vertu se perfectionne dans la faiblesse (1).»  26. Nous ne savons donc pas ce qu’il faut demander sous le coup de ces tribulations qui peuvent servir et nuire; et cependant comme elles sont dures, pénibles et qu’elles effrayent notre faiblesse, nous demandons par toute la volonté humaine d’en être délivrés. Mais s’il plaît au Seigneur notre Dieu de ne pas nous tirer de ces épreuves, nous devons à son amour de ne pas croire qu’il nous abandonne, mais d’espérer plutôt de plus grands biens par une pieuse résignation dans les maux : c’est ainsi que la vertu se perfectionne dans la faiblesse. Ce que le Seigneur Dieu refusa à l’Apôtre dans sa miséricorde, il l’accorde quelquefois dans sa colère à ceux qui ne peuvent rien souffrir. Les livres saints nous apprennent ce que demandèrent les Israélites et comment ils furent exaucés; mais leur concupiscence une fois rassasiée, leur impatience fut sévèrement châtiée (2). Ils demandaient un roi, il leur en donna un selon leur coeur, comme il est écrit, et non selon son coeur (3). Il accorda au démon ce qu’il sollicitait et lui permit de tenter son serviteur (4). Des esprits immondes lui ayant demandé de se jeter dans un troupeau de pourceaux, il le permit à une légion de démons (5). Cela a été écrit pour que nous ne nous élevions pas, quand nos impatientes prières sont exaucées en des choses qu’il nous serait plus avantageux de ne pas obtenir; ou pour que nous ne nous méprisions pas et que nous ne désespérions point de la miséricorde divine, quand Dieu repousse nos prières et qu’il écarte des veaux dont l’accomplissement serait pour nous une affliction plus cruelle, ou une prospérité qui nous corromprait et nous perdrait entièrement. Dans de telles rencontres nous ne savons donc pas demander ce qu’il faut. Et s’il arrive le contraire de ce que nous avons souhaité, nous devons le supporter patiemment, rendre grâces à Dieu en toutes choses, et reconnaître que la volonté de Dieu a été meilleure pour nous que ne l’eût été 

1. II Cor XII, 7-9. — 2. Nombr. XI. — 3. I Rois, VIII, 5, 7. — 4. Job, I, 12; II, 6. — 5. Luc, VIII, 32. 

notre propre volonté. Le divin médiateur nous a laissé un exemple de cette soumission; après avoir dit à son Père: « Mon Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi, s’identifiant ainsi la volonté humaine qu’il avait prise en se faisant homme,» il ajouta aussitôt: « Mais cependant que ce soit, non comme je le veux, mais comme vous le voulez (1). » Voilà pourquoi il a été dit avec raison que plusieurs ont été établis justes par l’obéissance d’un seul (2).  27. Mais celui qui demande et redemande à Dieu cette chose unique (3),le fait avec certitude et sécurité ; il ne craint pas qu’il lui nuise d’être exaucé, parce que, sans ce bien auquel il aspire , tout ce qu’il pourrait demander en priant ne servirait de rien. Ce bien, c’est la seule vraie et heureuse vie; il faut que, devenus immortels et incorruptibles de corps et d’esprit, nous contemplions éternellement les délices du Seigneur ; c’est pour cette unique chose qu’il est permis de demander le reste. Celui qui l’aura aura tout ce qu’il voudra et ne pourra rien désirer que de bon. Car là est la source de vie ; il faut dans la prière que nous en ayons soif, tant que nous vivons en espérance saris voir encore ce que nous espérons ; tant que nous sommes protégés par les ailes de celui en présence de qui tous nos désirs tendent à s’enivrer de l’abondance de sa maison et à se plonger dans le torrent de ses délices ; oui, c’est en lui qu’est la source de la vie et c’est dans sa lumière que nous verrons la lumière (4) quand toutes nos aspirations seront rassasiées, quand il n’y aura plus rien à chercher en gémissant, et que nous n’aurons qu’à rester en possession de nos joies. Cependant, comme ce bien unique est la paix qui surpasse tout entendement, nous ne savons pas non plus le demander comme il faut dans nos prières, car ce que nous ne pouvons pas nous représenter comme cela est, nous ne le connaissons pas; mais nous rejetons, nous méprisons, nous condamnons toute image qui s’en offre à notre pensée; nous reconnaissons que ce n’est pas ce que nous cherchons, quoique nous ne sachions pas encore ce que c’est. 28. Il y a donc en nous comme une savante ignorance, une ignorance instruite par l’Esprit de Dieu qui soutient notre faiblesse. Après que l’Apôtre a dit : « Si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons avec patience, » il ajoute : « De même l’Esprit de 

1. Matth. XXVI, 39. — 2.
Rom. V, 19. — 3. Ps. XXI, 4. — 4. Ps. XXXV, 8-10. 

274 

Dieu soutient notre faiblesse; car nous ne savons pas ce qu’il faut demander dans nos prières ; mais l’Esprit lui-même prie pour nous par des gémissements ineffables. Celui donc qui scrute les coeurs sait ce que comprend l’Esprit, parce qu’il ne prie pour les saints que selon Dieu (1). » Ceci ne doit pas s’entendre de façon à nous faire croire que le Saint-Esprit, Dieu immuable dans
la Trinité et ne faisant qu’un Dieu avec le Père et le Fils, prie pour les saints comme quelqu’un qui ne soit pas Dieu; on dit qu’il prie pour les saints parce qu’il fait prier les saints, comme il est dit : « Le Seigneur votre Dieu vous éprouve pour savoir si vous l’aimez (2), » c’est-à-dire pour vous le faire savoir. Il fait donc prier les saints par des gémissements ineffables, en leur inspirant le, désir de cette grande chose encore inconnue que nous attendons par la patience (3). Comment parler de ce qu’on ignore quand on le désire? Et, véritablement si on l’ignorait tout à., fait, on ne le souhaiterait pas; et d’un autre côté, si on, le voyait, on ne le désirerait pas, on ne le rechercherait pas par des gémissements. 
29. Eu considérant toutes ces choses et d’autres encore que le Seigneur pourra vous inspirer et qui ne se sont pas présentées à moi ou qu’il eût été trop long d’exposer, efforcez-vous de vaincre ce Monde par l’oraison; priez en espérance, priez avec foi et amour, priez avec instance et patience , priez comme une veuve du Christ. Quoique le devoir de la prière regarde tous ses membres, c’est-à-dire tous ceux qui croient en lui et qui sont unis à son corps, comme il l’a enseigné lui-même, cependant il nous marque dans ses Ecritures que ce soin appartient surtout aux veuves. Les saints livres mentionnent avec honneur deux femmes du nom d’Anne, l’une mariée et qui mit au monde le saint prophète Samuel, l’autre veuve et qui connut le Saint des saints lorsqu’il était encore enfant. Celle qui était mariée pria dans la douleur de son âme et l’affliction de son coeur, parce qu’elle n’avait pas d’enfants; elle obtint alors Samuel et rendit à Dieu ce fils qu’elle en avait reçu, car elle le lui avait consacré en le demandant  (4). Mais il n’est pas aisé de trouver comment sa prière est comprise dans l’oraison dominicale, à moins de la rapporter à ces paroles : « Délivrez-nous du 1.
Rom. VIII, 25-27. — 2. Deutér. XIII, 3. — 3.
Rom. VIII, 25. — 4. I Rois, I.

mal ; » on regardait, en effet, femme un assez grand mal d’être marié et privé du fruit du mariage, dont la seule excuse est la naissance des enfants. Pour ce qui est d’Anne veuve, voyez ce qui est écrit : « Elle ne sortait pas du temple, jeûnant et priant nuit et jour (1). » L’Apôtre ne parle pas autrement dans ces paroles que j’ai citées plus haut : « Celle qui est véritablement veuve et abandonnée, a mis son espérance dans le Seigneur, et persévère dans les prières la nuit et le jour (2). » Et le Seigneur, voulant nous exhorter à toujours prier sans nous lasser, nous a cité l’exemple de la veuve dont les importunités vinrent à bout d’un juge inique et impie, contempteur de Dieu et des hommes (3). Ce qui montre combien le devoir de la prière est particulièrement imposé aux veuves, c’est que les saints livres mettent sous nos yeux des exemples de veuves pour nous convier tous à l’oraison.  30. Mais pourquoi les veuves sont-elles marquées pour cette sorte d’oeuvre, si ce n’est à cause de leur abandon et de leur délaissement? Aussi toute âme. qui se regardera dans ce monde comme abandonnée et désolée, tant que dure son voyage loin du Seigneur, mettra, pour ainsi dire, son veuvage sous la garde de Dieu et lui demandera, par d’instantes prières, d’être son défenseur. Priez donc comme une veuve du Christ, ne jouissant pas encore de celui dont vous implorez le secours. Et quoique vous soyez bien riche, priez comme si vous étiez pauvre : vous ne possédez pas encore les vraies richesses du siècle futur où vous n’aurez plus rien à craindre. Quoique vous ayez des enfants et des neveux et une famille nombreuse, comme il a été dit plus haut, priez comme une délaissée : car toutes les choses du temps sont incertaines, lors même qu’elles nous resteraient pour notre consolation jusqu’à la fin de cette vie. Si vous cherchez et si vous aimez ce qui est en haut, vous désirez les choses solides et éternelles; tant que vous! ne les avez pas, vous devez vous croire comme abandonnée, bien que tous les vôtres vous soient conservés et respectueusement soumis. Ainsi devez-vous vivre, et, sûrement aussi, à votre exemple, votre très-pieuse belle-fille (4), et les autres saintes veuves et vierges que vous gouvernez toutes les deux avec tant de sécurité pour elles : plus vous dirigez pieusement votre 1. Luc, II, 36, 37. — 2. I Tim. V, 5. — 3. Luc, XVIII, 1-8.  4. Juliana, mère de Démétrias. 

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maison, plus vous devez redoubler d’ardeur dans la prière, ne vous occupant des choses de la vie présente que dans la mesure des besoins religieux.  31. Souvenez-vous aussi de prier beaucoup pour nous. Nous ne voulons pas que, trop préoccupées de notre dignité épiscopale, si périlleuse à porter, vous nous traitiez de façon à nous priver d’un secours dont nous savons que nous avons tant besoin. La famille du Christ (1) a prié pour Pierre, a prié pour Paul; vous êtes de cette famille, à notre grande joie, et nous avons incomparablement plus besoin que Pierre et Paul des prières de nos frères. Priez à l’envi dans l’émulation d’un saint accord ; ce n’est pas lutter les uns contre les autres, mais contre le démon, ennemi de tous les saints. Les jeûnes et les veilles, et tous les genres de mortification, aident beaucoup à la prière (2), que chacune de vous fasse ce qu’elle pourra; ce que l’une ne peut pas, elle le fait dans une autre qui le peut, si elle aime en elle ce que ses propres forces ne lui permettent pas d’accomplir; ainsi donc que celle qui peut moins n’empêche pas celle qui peut plus, et que la plus forte ne presse. pas la plus faible. Car vous devez votre conscience à Dieu, mais ne devez rien à personne d’entre vous, si ce n’est de vous aimer les unes les autres (3). Que Dieu vous exauce, lui qui est assez puissant pour faire au delà de ce que nous demandons et de ce que nous comprenons (4). 

1. Eglise. — 2. Tobie, XII, 8. — 3. Rom. XIII, 8. — 4. Ephés. III, 20. 

commentaire à l’èvangile du jour – 26.2.07

26 février, 2007

Saint Syméon le Nouveau Théologien (vers 949-1022), moine orthodoxe
Chapitres théologiques, gnostiques et pratiques, § 92s (trad. SC 51, p. 110 rev.)

« C’est à moi que vous l’avez fait »

Si quelqu’un donne une obole à quatre-vingt-dix-neuf pauvres, et puis injurie, frappe ou renvoie un seul qui reste les mains vides, sur qui retombe ce traitement, sinon sur celui qui a dit, qui ne cesse de dire, et qui dira un jour : « Toutes les fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait » ?… Il est en effet dans tous ces pauvres, celui qui est nourri par nous en chacun des plus petits. Pareillement, si quelqu’un donne aujourd’hui à tous tout le nécessaire et demain, alors qu’il peut encore le faire, négligera des frères et les laissera périr de faim et de soif et de froid, c’est comme s’il avait laissé mourir et méprisé celui qui a dit : « Toutes les fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous l’avez fait »…

Si le Christ a daigné prendre le visage de chaque pauvre, s’il s’est identifié à tous les pauvres, c’est pour que personne parmi ceux qui croient en lui ne s’élève au-dessus de son frère…, mais qu’il l’accueille comme le Christ, l’honore et utilise toutes ses ressources pour son service, comme le Christ a versé tout son sang pour notre salut… Peut-être que tout cela semblera pénible à beaucoup et il leur semblera raisonnable de se dire : « Qui peut faire tout cela, soigner et nourrir tous ceux qui en ont besoin et ne négliger personne ? » Mais qu’ils écoutent saint Paul qui déclare : « La charité du Christ nous presse, quand nous pensons qu’un seul est mort pour tous, et qu’ainsi tous ont passé par la mort » (2Co 5,14).

Ce matin a l’ « Angelus »

25 février, 2007

Ce matin a l'

Ce matin a l’ « Angelus »…il y a du vent

Pope Benedict XVI holds his weekly Angelus blessing from a window of his private apartment overlooking St. Peter’s square at the Vatican February 25, 2007. REUTERS/Tony Gentile (VATICAN)

l’ « Angelus » d’aujourd’hui – 25.2.07

25 février, 2007

Du site Korazym (italien) l’Angelus d’aujourd’hui 25.2.07,

commentaire du journal: 

Le pape  : la gravité du péché, la puissance de je pardonne d’Alexandre Renzo et de Mattia Blancs/25/02/2007 

Dieu est amour. Au debout de
la Carême, le Pape reprend le thème de son encyclique, en le reliant au sacrifice de la croix. « Celui qui nous mêmes avons transpercé pas fatiguée reverser sur le monde d’un torrent inépuisable de amour ». 

 Les mots du Saint Père à l’Angelus Domini dans
la Dimanche de Carême, de 25 février 2007 La  »tragique gravité du péché  »et  »la puissance incommensurable de le pardonne  »: les deux réalités renfermées dans la croix de Christ. Benoît XVI en parlé au premier Angelus de
la Carême, en invitant les chrétiens à se préparer à
la Pâques avec  »le regard fixe à coûté de Jésus  ». De cette manière,  »nous pouvons comprendre en profondeur ce qu’il est le dommage  », mais au même temps comprendre que Dieu  »pas fatiguée reverser sur le monde d’un torrent inépuisable amour de miséricordieux  ».  »puisse l’humanité comprendre – elle est la prière de le Pape – qui seulement donne cette source est possible puiser l’énergie spirituelle indispensable pour construire cette paix et ce bonheur qui chaque être humain cherche  ».
 

Nous rapportons de suivi teste intégral des mots du Saint Père avant récite de l’Angelus Domini 

Chers frères et soeurs, cet an le Message pour
la Carême prend occasion d’un verset de l’Évangile de Jean, qu’à son tour il se rattache à une prophétie messianique de Zaccaria : « Ils tourneront le regard  à quel ils ont transperce » (Jn 19,37). Le disciple préféré présent ensemble avec Marie,
la Mère de Jésus, et autres femmes sur le Calvaire, fut témoin oculaire du coup de lance que perça le côté de Christ, en faisant sortir de  sang et de l’eau (cfr Jn 19.31-34). Ce geste accompli d’un anonyme soldat romain, destiné à se perdre dans l’oubli, resta marqué dans les yeux et dans le coeur de l’apôtre, qui le reproposé dans son Évangile. Long les siècles combien de conversions se sont produites vraiment merci à l’éloquent message de amour qu’il reçoit qui tourne le regard à Jésus transpercé ! Nous entrons, donc, dans le temps du carême avec le « regard » fixe à côté de Jésus. Dans
la Lettre encyclique Deus caritas est (cfr n. 12) j’ai voulu souligner que, seulement en tournant le regard à Jésus mort en croix pour nous, il peut être connu et contemplée cette vérité fondamentale : « Dieu est amour » (1 Jn 4,8.16). « À partir de ce regard – j’ai écrit – le chrétien trouve la route de ses vies et de son aimer » (Deus le caritas est, 12). En contemplant avec les yeux de la foi le Transpercé, nous pouvons comprendre en profondeur ce qu’il est le péché, combien de tragique soit sa gravité et, au même temps, combien d’incommensurable soit puissance le pardonne et de la miséricorde des Seigneur Pendant ces jours de Carême pas détournons le coeur de ce mystère de profonde humanité et de haute spiritualité. En regardant Christ, nous y sentons au même temps regardés de Lui. Celui qui nous mêmes avons transpercé avec nos fautes pas fatiguée reverser sur le monde d’un torrent inépuisable d’amour miséricordieux. Qu’il puisse l’humanité comprendre que seulement de cette source il est possible puiser l’énergie spirituelle indispensable pour construire cette paix et ce bonheur qui chaque être humain va en cherchant sans s’arrête. Nous demandons aux Vierge Marie, qui fut transpercé dans l’âme prés de la croix du Fils, de nous obtenir le don d’une foi solide. En nous guidant dans le chemin du carême, nous aides à laisser tout ce que détourne de nous l’écoute de Christ et de sa Parole de salut. À elle je confie, en particulier, la semaine d’Exercices Spirituels, qui aura entame aujourd’hui après-midi, ici en Vatican, et auquel je prendrai une partie ensemble avec mes collaborateurs de
la Curia Romaine. Chers frères et soeurs, je vous demande de nous accompagner avec votre prière, que je rendrai volontiers dans le recueillement du retrait, en invoquant la puissance divine sur chaque de vous, sur vos familles et sur vos communautés. 

Angelus DominiAngelus Domini nuntiavit Marìae,
et concepit de Spiritu Sancto.
Ave Maria …
Ecce Ancilla Domini,
fiat mihi secundum verbum tuum
Ave Maria …

Et Verbum caro factum est,
et habitavit in nobis.
Ave Maria …

Ora pro nobis, sancta Dei Genitrix.
Ut digni efficiamur promissionibus Christi.
Gratiam tuam, quaesumus, Domine,
mentibus nostris infunde;
ut qui, angelo nuntiante,
Christi Filii tui incarnationem cognovimus,
per passionem eius et crucem,
ad resurrectionis gloriam perducamur.
Per eundem Christum Dominum nostrum.
Amen.
Gloria Patri … 

Nous reportons le texte intégral des saluts du Saint-Père de suite après l’il récite dell’ Angélus Domini 
Je vous salue, chers pèlerins de langue française, en particulier les personnes venues du diocèse de Fréjus-Toulon avec Mgr Rey, leur évêque, ainsi que le groupe de confirmands de Lausanne, Lutry et Cully, en Suisse. L’Évangile de ce premier dimanche de Carême nous montre Jésus mettant en déroute le Tentateur, ouvrant ainsi à ses disciples le chemin d’une liberté nouvelle face à l’esclavage du péché et de la mort. Ce chemin de libération, Jésus nous propose encore aujourd’hui de le suivre par l’accueil confiant de sa Parole dans notre vie quotidienne. Bon Carême à tous ! Avec ma Bénédiction apostolique.  

la suite de la lettre de Saint Augustin à Proba – 2me partie: 10-20

25 février, 2007

10. Ici, vous demandez, peut-être, ce que c’est que la vie heureuse elle-même. Cette question a fatigué le génie et les loisirs de bien des philosophes ; ils ont pu d’autant moins découvrir la vie heureuse qu’ils out rendu moins d’hommages et d’actions de grâces à celui qui en est la source. C’est pourquoi voyez d’abord s’il faut adhérer au sentiment de ceux qui disent qu’on est heureux en vivant selon sa propre volonté. Mais à Dieu ne plaise que nous croyions cela vrai ! Si on voulait vivre dans l’iniquité, ne serait-on pas d’autant plus misérable1. I Cor. II, 11. — 2. Ibid. IV, 5. — 3. Ps. XXI, 27. — 4. Rom. VIII, 26.

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qu’on accomplirait plus aisément les inspirations de sa mauvaise volonté ? C’est avec raison que ce sentiment a été repoussé par ceux-là même qui ont philosophé sans la connaissance de Dieu. Le plus éloquent d’entre eux a dit : « Il en est d’autres qui ne sont pas philosophes, mais qui aiment la dispute, et selon lesquels le bonheur consiste à vivre comme on veut. Cela est faux, car rien n’est plus misérable que de vouloir ce qui ne convient pas, et il n’est pas aussi misérable de ne pas atteindre à ce qu’on veut que de vouloir atteindre à ce qu’il ne faut pas (1). » Que vous en semble? Quel que soit l’homme qui ait prononcé ces paroles, n’est-ce pas la vérité elle-même qui les a dictées? Nous pensons donc dire ici ce que dit l’Apôtre d’un certain prophète crétois (2) dont une sentence lui avait plu : « Ce témoignage est véritable (3). »

11. Celui-là est heureux qui a tout ce qu’il veut et ne veut que ce qui convient. S’il en est ainsi, voyez ce qu’il convient aux hommes de vouloir. L’un veut se marier, l’autre, devenu veuf, choisit une vie de continence, un autre veut garder la continence et ne se marie même pas. Si, parmi ces conditions diverses, il en est de plus parfaites les unes que les autres, nous te pouvons pas dire cependant qu’il y ait dans aucune d’elles quelque chose qu’il ne soit pas convenable de vouloir. Il est également dans l’ordre de souhaiter d’avoir des enfants qui sont le fruit du mariage, et de souhaiter vie et santé aux enfants qu’on a reçus : ces derniers veaux restent souvent au coeur même de ceux qui passent leur veuvage dans la continence, car si, rejetant le mariage, ils ne désirent plus avoir d’enfants, ils désirent pourtant conserver sains et saufs ceux qu’ils ont. La vie virginale est affranchie de tous ces soins. Tous ont cependant des personnes qui leur sont chères et auxquelles il leur est permis de souhaiter la santé. Mais, après que les hommes l’auront obtenue pour eux et pour ceux qu’ils aiment, pourrons-nous dire qu’ils sont heureux? Ils auront, en effet, quelque chose qu’il n’est pas défendu de -vouloir; mais s’ils n’ont pas d’autres biens plus grands et meilleurs, d’une utilité plus vraie et d’une plus vraie beauté , ils restent encore bien éloignés de la vie heureuse.

1. Cicéron. Hortensius.

2. Celui dont les Crétois parlaient comme d’un prophète, au dite de saint Paul, c’est le poète grec Epiménides. —3. I Tite,1, 13.

12. Voulons-nous qu’ils souhaitent, par-dessus la santé , des honneurs et du pouvoir pour eux et pour ceux qu’ils aiment? Ils peuvent désirer ces dignités, pourvu que ce ne soit pas pour elles-mêmes, ruais pour le bien qu’elles aident à accomplir et pour l’avantage de ceux qui vivent sous leur dépendance; litais si c’est pour l’amour d’un vain faste et d’une pompe inutile ou même dangereuse, ils font mal. Peuvent-ils vouloir pour eux, pour leurs proches ou leurs amis, de quoi suffire aux besoins de la vie? « C’est une grande richesse, dit l’Apôtre, que la piété avec ce qui suffit ; car nous n’avons rien apporté en ce monde et nous n’en pouvons rien emporter : ayant notre nourriture et notre vêtement, contentons-nous en. Parce que ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation, les pièges, les désirs insensés et dangereux qui précipitent les hommes dans la mort et la perdition. Car la passion des richesses est la racine de tous les maux; quelques-uns, en étant possédés, se sont écartés de la foi et se sont jetés en beaucoup de douleurs (1). » Celui qui veut donc le nécessaire, et rien de plus , n’est pas répréhensible; il le serait en voulant davantage, puisqu’alors ce ne serait plus le nécessaire qu’il voudrait. C’est ce que demandait et c’est pour cela que priait celui qui adressait à Dieu ces paroles: « Ne me donnez ni les richesses ni la pauvreté ; accordez-moi seulement ce qui m’est nécessaire pour vivre , de peur que, rassasié, je ne tombe dans le mensonge et je ne dise : Qui me voit? ou de peur que, pauvre, je ne vole, et que je n’outrage, par un parjure, le nom de mon Dieu (2). » Vous voyez assurément que ce n’est pas pour lui-même qu’on recherche le nécessaire , mais pour la conservation de la santé et ce convenable entretien de la personne de l’homme, sans quoi on ne pourrait pas paraître décemment au milieu de ceux avec qui des devoirs mutuels nous obligent à vivre.

13. Dans toutes ces choses on ne désire pour elles-mêmes que la santé et l’amitié; c’est pour elles qu’on cherche le nécessaire, quand on le cherche convenablement. La santé comprend à la fois la vie, le bon état et l’intégrité du corps et de l’esprit. Nous ne devons pas non plus réduire l’amitié à d’étroites limites; elle embrassé tous ceux à qui sont dus l’attachement et l’affection, quoiqu’on ait plus de penchant

1. Tim. VI, 6-10. — 2. Prov. XXX, 8, 9.

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pour les uns que pour les autres; elle s’étend jusqu’à nos ennemis pour lesquels il nous est même ordonné de prier. Il n’y a donc personne dans le genre humain à qui l’affection ne soit due; si ce n’est point par amitié réciproque , que ce soit par le devoir que nous imposent les liens d’une commune nature.

Mais ceux-là nous plaisent beaucoup, et à juste titre, qui nous payent de retour par un amour pur et saint. Quand nous avons de telles amitiés, il faut prier Dieu qu’il nous les garde; si nous n’en. avons pas, il faut prier pour en avoir.

14. Est-ce là tout ce qui fait le fond de la vie heureuse? Et n’y a-t-il pas quelque autre chose que la vérité nous apprend à préférer à tous ces biens? Car le nécessaire et la santé, pour soi ou pour ses amis, ne durent qu’un temps, et nous devons les dédaigner en vue de l’éternelle vie; on ne peut pas dire d’un esprit , ni peut-être du corps, qu’il est en bon état quand il ne préfère pas les choses éternelles aux choses passagères; et c’est vivre inutilement dans le temps que de ne pas s’y proposer de mériter l’éternité. Ce qu’il est utile et permis de désirer doit donc, et sans aucun doute, se rapporter à cette seule vie par laquelle on vit avec Dieu et de Dieu. Car aimer Dieu c’est nous aimer nous-mêmes; et, fidèles à un autre commandement, nous aimons véritablement notre prochain comme nous-mêmes si , autant qu’il est en nous, nous le conduisons à un semblable amour de Dieu. Ainsi, nous aimons Dieu pour lui-même, et, pour lui-même encore, nous et notre prochain. En vivant ainsi , gardons-nous de nous croire établis dans la vie heureuse, comme s’il ne nous restait plus rien à demander : comment serions-nous déjà heureux , puisqu’il nous manque encore ce qui demeure le seul but de notre pieuse vie?

15. Pourquoi donc aller à tant de choses et chercher ce que nous avons à demander, de peur de ne pas prier comme il faut? Pourquoi ne pas dire tout de suite avec le Psalmiste : « J’ai demandé une seule chose au Seigneur, je la redemanderai, c’est d’habiter dans la maison du Seigneur tous les jours de ma vie, afin que je contemple les délices de Dieu et que je visite son temple (1) ? » Là les jours ne viennent pas et ne passent pas comme sur la terre, et le commencement de l’un n’est pas la On de l’autre; les jours y sont tous ensemble

1. Ps., XXVI, 4.

et sans fin ; ils composent une vie qui , elle aussi, ne doit pas finir. Dans le but de nous faire acquérir cette vie heureuse, celui qui est la vraie Vie heureuse nous a appris à prier, mais non pas en beaucoup de paroles ; ce n’est point parce que nous aurons beaucoup parlé que nous serons plus exaucés; Celui que nous prions sait ce qui nous est nécessaire avant que nous le lui ayons demandé; le Seigneur lui-même l’a dit (1). Aussi pourrait-on s’étonner qu’après avoir défendu de prier en de longs discours, le Seigneur, qui sait ce qui nous est nécessaire avant que nous le lui demandions, nous ait exhortés à la prière au point de dire : « Il faut toujours prier et ne pas se lasser, » et nous ait proposé l’exemple d’une veuve qui, désirant avoir raison de la partie adverse, finit par se faire écouter du juge à force d’importunités : elle en était venue à bout non point par justice ou miséricorde, mais par ennui. Cet exemple doit nous faire comprendre combien nous sommes sûrs d’être exaucés d’un Dieu miséricordieux et juste en le priant sans cesse, puisque les importunités de la veuve ont triomphé d’un juge inique et impie; et si elle réussit à exercer la vengeance qu’elle méditait, avec quelle bonté et quelle miséricorde Dieu accomplira les bons désirs de ceux qu’il sait avoir pardonné les injustices d’autrui (2). Rappelons-nous aussi cet homme qui , n’ayant rien à offrir à un ami arrivé chez lui, alla demander à son voisin trois pains, par lesquels peut-être étaient figurées les trois personnes divines d’une même substance; il trouva ce voisin endormi avec ses serviteurs et , grâce à ses instances incommodes et fatigantes, obtint de lui les trois pains qu’il voulait : ce voisin encore céda bien plus au désir de s’en débarrasser qu’à la pensée de l’obliger. Ceci doit nous faire entendre que si un homme endormi est forcé de donner ce qu’on lui demande après qu’on l’a éveillé malgré lui, avec quelle bonté donnera celui qui né dort jamais et qui nous éveille pour que nous lui demandions (3) !

16. De là encore ces paroles : « Demandez et vous recevrez; cherchez et vous trouverez ; frappez et on vous ouvrira. Car quiconque demande reçoit, et qui cherche trouve, et l’on ouvre à qui frappe. Or, quel homme, parmi vous, donne une pierre à son fils qui lui demande du pain, ou lui donne un sergent s’il demande un poisson, ou un scorpion

1. Matth. VI, 7, 8. — 2. Luc, XVIII, 1-8. — 3. Ibid. XI, 5-8.

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s’il lui demande un neuf? Si donc, vous qui êtes mauvais, vous ne donnez à vos enfants que ce qui est bon, combien plus donnera votre Père céleste à ceux qui lui demandent (1) !» L’Apôtre recommande trois vertus (2): l’une, la foi, est représentée par le poisson, soit à cause de l’eau du baptême, soit parce que la foi demeure entière au milieu des flots orageux de ce monde; le contraire de la foi, c’est le serpent dont la tromperie persuada qu’il ne fallait pas croire à la parole de Dieu. La seconde vertu est l’espérance; l’oeuf en est le symbole, parce que la vie du poussin n’y est pas encore, mais y sera; on ne la voit pas, mais on l’espère; car une espérance qui se voit n’est pas une espérance (3) ; on lui oppose le scorpion, parce que celui qui espère l’éternelle vie oublie ce qui est derrière lui et s’élance en avant (4); il lui serait nuisible de regarder en arrière; mais c’est par là qu’il faut prendre garde au scorpion, car là est son venin et son aiguillon. La troisième vertu, la charité, est représentée par le pain; c’est la plus grande des vertus (5), comme le pain, par son utilité, l’emporte sur tout ce qui se mange; l’opposé du pain, c’est la pierre, parce que les coeurs durs repoussent la charité. Quelque meilleure signification qu’on puisse donner à ces trois choses, elles nous apprennent toujours que Celui qui sait donner à ses enfants les dons parfaits, nous oblige de demander, de chercher et de frapper à la porte.

17. Pourquoi Dieu fait-il cela, lui qui sait ce qui nous est nécessaire avant que nous le lui demandions? Nous. pourrions nous en inquiéter si nous ne comprenions pas que le Seigneur notre Dieu n’attend point que nous lui apprenions ce que nous voulons, car il ne l’ignore pas; mais les prières excitent le désir par lequel nous pouvons recevoir ce que Dieu nous prépare, car ce que Dieu nous réserve est grand , et nous sommes petits et étroits pour le recevoir : voilà pourquoi il nous a été dit : « Dilatez-vous; ne vous mettez pas sous le même joug que les infidèles (6). » Cette grande chose, 1′œil ne l’a point vue, parce qu’elle n’a pas de couleur; l’oreille ne l’a pas entendue, parce qu’elle n’est pas un son; elle n’est pas montée dans le coeur de l’homme (7), parce que c’est vers elle que le coeur de l’homme doit monter; mais nous serons d’autant plus capables de la recevoir, que

1. Luc, XI, 5-13. — 2. I Cor. XIII, 13. — 3. Rom. VIII, 24. — 4. Phil. III, 13. — 5. I Cor. XIII, 13. — 6. II Cor. VI, 13, 14. — 7. I Cor II, 9.

notre foi s’y portera plus vivement, que noue l’espérerons plus fortement, que nous la désirerons plus ardemment.

18. Toujours désirer dans la même foi, la même espérance, la même charité, c’est toujours prier. Mais à certains intervalles d’heures et de temps, nous prions Dieu avec des paroles; ces paroles doivent nous avertir, nous aider à com. prendre quels progrès nous avons faits dans ce religieux désir des biens éternels, et nous exciter à l’accroître dans nos âmes. L’oraison est d’autant plus efficace qu’elle est précédée d’un plus fervent amour. Lorsque l’Apôtre nous dit: « Priez sans cesse (1), » n’est-ce pas comme s’il disait : Demandez sans cesse la vie heureuse, qui n’est autre que l’éternelle vie, à celui qui seul peut la donner? Demandons-la donc toujours au Seigneur Dieu, et prions toujours. Mais les soins et les affaires d’ici-bas attiédissent nos pieux désirs, et c’est pourquoi nous les interrompons pour prier à des heures marquées. Par les paroles que nous prononçons alors, nous nous avertissons nous-mêmes de reprendre nos élans, et nous empêchons, par des excitations fréquentes, que ce qui est tiède ne se refroidisse, et que la flamme religieuse ne finisse par s’éteindre en nous. C’est pourquoi, quand le même apôtre nous dit: « Que vos demandes se manifestent devant Dieu (2),» cela ne signifie point qu’il faille les lui apprendre, puisqu’il les savait avant qu’elles fussent; mais cela signifie que c’est auprès de Dieu, par la patience, et non point auprès des hommes, par l’ostentation, que nous connaissons si nos demandes sont bonnes. Peut-être aussi faut-il par là entendre que nos prières doivent être connues des anges qui sont avec Dieu, afin qu’ils les lui présentent en quelque sorte, le consultent et qu’après avoir pris ses ordres, ils nous apportent sensiblement ou à notre insu et comme Dieu le veut, les grâces qu’il accorde à nos instances; car un ange a dit à un homme; « Et tout à l’heure, quand, vous et Sara, vous avez prié, j’ai présenté votre oraison devant sa gloire (3). »

19. Cela étant, il n’est ni mauvais, ni inutile de prier longtemps quand on le peut, c’est-à-dire quand on n’en est pas empêché par d’autres bonnes oeuvres et des devoirs essentiels; du reste, je l’ai dit, dans l’accomplissement de ces devoirs, le désir religieux doit être comme une prière continuelle. Prier longtemps, ce

1. Thess. V, 17. — 2. Philip. IV, 6. — 3. Tobie, XII, 12.

271

n’est pas, comme des gens le pensent, prier en beaucoup de paroles; autre chose est un long discours, autre chose est un long amour. Il est écrit que Notre-Seigneur lui-même a passé la nuit en prière et qu’il a longtemps prié (1) ; y a-t-il là autre chose qu’un exemple qu’il nous donnait? Médiateur salutaire, il priait pour nous dans le temps, et dans l’éternité il nous exauce avec son Père.

commentaire – dimanche premier du carême – 25.2.07

25 février, 2007

Saint Grégoire le Grand (vers 540-604), pape, docteur de l’Église
Homélies sur l’Evangile, n° 16 (trad. Véricel, L’Evangile commenté, p.68)
« Tous sont devenus pécheurs parce qu’un seul homme, Adam, a désobéi ; de même tous deviennent justes par un seul homme, Jésus Christ » (Rm 5,19)    

   Le diable s’est attaqué au premier homme, notre parent, par une triple tentation : il l’a tenté par la gourmandise, par la vanité et par l’avidité. Sa tentative de séduction a réussi, puisque l’homme, en donnant son consentement, a été alors soumis au diable. Il l’a tenté par la gourmandise, en lui montrant sur l’arbre le fruit défendu et en l’amenant à en manger ; il l’a tenté par la vanité, en lui disant : « Vous serez comme des dieux » ; il l’a tenté enfin par l’avidité, en lui disant : « Vous connaîtrez le bien et le mal » (Gn 3,5). Car être avide, c’est désirer non seulement l’argent, mais aussi toute situation avantageuse, désirer, au-delà de la mesure, une situation élevée…      Le diable a été vaincu par le Christ qu’il a tenté d’une manière tout à fait semblable à celle par laquelle il avait vaincu le premier homme. Comme la première fois, il le tente par la gourmandise : « Ordonne que ces pierres se changent en pains » ; par la vanité : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas » ; par le désir violent d’une belle situation, quand il lui montre tous les royaumes du monde et lui dit : « Tout cela, je te le donnerai, si tu tombes à mes pieds et m’adores »…       Il est une chose qu’il faut remarquer dans la tentation du Seigneur : tenté par le diable, le Seigneur a riposté par des textes de la Sainte Ecriture. Il aurait pu jeter son tentateur dans l’abîme par le Verbe qu’il était lui-même. Et pourtant il n’a pas eu recours à son pouvoir puissant ; il a seulement mis en avant les préceptes de la Sainte Ecriture. Il nous montre ainsi comment supporter l’épreuve, de sorte que, lorsque des méchants nous font souffrir, nous soyons poussés à recourir à la bonne doctrine plutôt qu’à la vengeance. Comparez la patience de Dieu à notre impatience. Nous, quand nous avons essuyé des injures ou subi une offense, dans notre fureur nous nous vengeons nous-mêmes autant que nous le pouvons, ou bien nous menaçons de le faire. Le Seigneur, lui, endure l’adversité du diable sans y répondre autrement que par des mots paisibles.

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Lettre de Saint Augustin a Proba – 1er partie: 1-9

24 février, 2007

j’ai pensé qu’il était beau d’écrire et lire quelque chose sur la prière, j’ai choisi la lettre de Sant’Augustin à Probe, il demande 10 pages environ A4, je vous la propose en trois ou quatre jours, j’espère que sois appréciée, entre les oeuvres sur la prière la lettre de Sant’Augustin est une du plus riches spirituellement et « Belle », je l’ai lue il y a pour la première fois différents ans, puis je l’ai relue récemment, maintenant je la relis avec vous pour participer avec vous de la prière et en français perce que ainsi il m’aide à récupérer la langue, du site: 

 http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/lettres/s003/l130.htm

LETTRE CXXX. (Au commencement de l’année 412.) 

Cette belle lettre forme comme un livre sur la prière; elle est adressée à une veuve romaine, d’un sang illustre, qui avait été femme de Probus, préfet du prétoire et consul; elle était aïeule de Démétrias à qui saint Jérôme écrivit une lettre célèbre sur la virginité, et belle-mère de Juliana qui eut Démétrias pour fille. Proba,surnommée Faltonie, s’était retirée en Afrique après le sac de Rome. Saint Jérôme s’exprime ainsi sur l’aïeule de la jeune vierge romaine : « Proba, ce nom plus illustre que toute dignité et que toute noblesse dans l’univers romain; à Proba qui, par sa sainteté et sa bonté envers tous, s’est rendue vénérable aux Barbares mêmes, et qui s’est peu inquiétée des consulats ordinaires de ses trois fils, Probinus, Olybrius et Probus; cette femme, pendant que tout est esclave à Rome au milieu de l’incendie et de la dévastation, vend, dit-on, en ce moment, les biens qu’elle tient de ses pères, et se fait, avec l’unique Mammone, des amis qui puissent la recevoir dans les tabernacles éternels. » Voilà ce qu’était la veuve à laquelle saint Augustin parle de la prière avec tant d’âme, de charme et d’élévation. Les gens du monde et surtout les riches de la terre qui ont le goût de la vie chrétienne ne peuvent rien lire de meilleur et de plus nourrissant que cet écrit de l’évêque d’Hippone.  

AUGUSTIN,   ÉVÊQUE , SERVITEUR DU  CHRIST ET DES SERVITEURS DU CHRIST, A PROBA, PIEUSE SERVANTE DE DIEU, SALUT DANS LE SEIGNEUR DES SEIGNEURS. 

1. Je me rappelle que vous m’avez demandé et que je vous ai promis de vous écrire quelque chose sur la prière: grâce à celui que nous prions, j’en ai le temps et le pouvoir; il faut donc que je vous paye ma dette et que je serve votre zèle pieux dans la charité du Christ. Je ne puis vous dire combien je me suis réjoui de votre demande même; elle m’a fait connaître quel soin vous prenez d’une si grande chose. Quelle plus grande affaire dans votre veuvage, que de persévérer dans la prière, la nuit et le jour, selon le conseil de l’Apôtre : « Celle qui est véritablement veuve et abandonnée, dit saint Paul, a mis son espérance dans le Seigneur et persévère dans la prière, la nuit et le jour. (1) » Ce qui peut paraître admirable, c’est que noble selon le siècle , riche, mère d’une si grande famille , veuve, mais sans être abandonnée, votre coeur ait fait de l’oraison son occupation principale et le plus important de ses soins; mais vous avez sagement compris que, dans ce monde et dans cette vie, il ne peut y avoir de repos pour aucune âme. 

2. Celui qui vous a donné cette pensée, c’est assurément ce divin Maître qui répondit à ses disciples que ce qui est impossible aux hommes est facile à Dieu (2) ; le Seigneur leur fit cette admirable et miséricordieuse réponse , après qu’il leur eut dit qu’il était plus aisé à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des cieux ; car ces paroles les avaient attristés , non pour eux, mais pour le genre humain; ils n’espéraient pas que personne pût être sauvé. Celui donc à qui il est facile même de faire entrer un riche dans le royaume des cieux, vous a inspiré le pieux désir de me demander comment il faut prier. Durant sa vie mortelle, il a ouvert le royaume des cieux au riche Zachée (3) ; et, après sa résurrection et son ascension, il a fait de plusieurs riches, éclairés de l’Esprit Saint, des contempteurs de ce siècle, et les a 

1. I Tim. V, 5. — 2. Matth. XIX, 24-26. — 3. Luc, XIX, 9. 

d’autant plus enrichis, qu’ils ont plus entièrement éteint dans leurs coeurs la soif des biens humains. Comment vous appliqueriez -vous ainsi à prier Dieu, si vous n’espériez pas en lui ! et comment espéreriez-vous en lui si vous mettiez votre confiance dans des richesses incertaines, si vous méprisiez ce salutaire précepte de l’Apôtre : « Ordonne aux riches de ce monde de n’être point orgueilleux, de ne pas mettre leur confiance dans des richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant qui nous donne tout en abondance pour en jouir; afin qu’ils deviennent riches en bonnes oeuvres, qu’ils donnent et répandent aisément, et qu’en se préparant ainsi un trésor qui soit un bon fondement pour l’avenir, ils arrivent à la possession de la véritable vie (1) ? »  3. Quel que soit donc votre bonheur dans ce siècle, vous devez vous y croire comme abandonnée, si vous songez avec amour à la vie future ; de même, en effet, qu’elle est la véritable vie en comparaison de laquelle la vie présente, qu’on aime tant, ne mérite pas qu’on l’appelle une vie, quelque joie qu’on puisse y trouver; ainsi, la consolation véritable est celle que le Seigneur promet lorsqu’il dit par son prophète: «Je lui donnerai la vraie consolation, une paix au-dessus de toute paix (2) ; » et sans laquelle il y a dans tous les adoucissements humains plus de peine que de douceur. Les richesses et les hautes dignités, les grandeurs de ce genre par lesquelles se croient heureux les mortels qui n’ont jamais connu la vraie félicité, que peuvent-elles donner de bon, puisque mieux vaut ne pas en avoir besoin que d’y briller, et qu’on est bien plus tourmenté de la crainte de les perdre qu’on ne l’était du désir d’y parvenir? Ce n’est point par de tels biens que les hommes deviennent bons, mais ceux qui le sont devenus d’ailleurs changent en biens ces richesses périssables par le bon usage qu’ils en font. Là ne sont donc pas les vraies consolations, elles sont plutôt là où est la vraie vie ; car il est nécessaire que l’homme devienne heureux par ce qui le rend bon. 4. Mais, même dans cette vie, les hommes bons donnent de grandes consolations. Est-on pressé par la pauvreté ou sous le coup d’un deuil, en proie à la maladie ou condamné aux tristesses de l’exil, ou livré à tout autre malheur? Que les hommes bons soient là; ils ne 1. I Tim., VI, 17-19.  2. Isaïe, LVII, 18, 19, version des Septante.  266 partagent pas seulement la joie de ceux qui se réjouissent, mais ils pleurent avec ceux qui pleurent (1), et, par leur manière de dire et de converser, adoucissent ce qui est dur, diminuent le poids de ce qui accable, et aident à surmonter l’adversité. Celui qui fait cela, en eux et par eux, est celui-là même qui les a rendus bons par son Esprit. Supposez, au contraire, qu’on nage dans l’opulence, qu’on n’ait rien perdu de ce qu’on aime, qu’on jouisse de la santé et qu’on demeure sain et sauf dans son pays, mais qu’on ne soit entouré que d’hommes méchants dont on doive toujours craindre et endurer la mauvaise foi, la tromperie, la fraude, la colère, la dérision, les piéges : toutes ces choses ne perdent-elles pas de leur prix et leur reste-t-il quelque charme, quelque douceur? C’est ainsi que, dans toutes les choses humaines, quelles qu’elles soient, il n’y a rien de doux pour l’homme sans un ami. Mais combien en trouve-t-on dont on soit sûr en cette vie pour le coeur et les moeurs ? car personne n’est connu d’un autre comme il l’est de lui-même; et encore personne ne se connaît assez pour être sûr de ce qu’il sera le lendemain. Aussi, quoique plusieurs se fassent connaître par leurs fruits, et que la bonne vie des uns soit une joie et la mauvaise vie des autres soit une affliction pour le prochain, cependant, à cause des secrets et des incertitudes des coeurs humains, l’Apôtre nous avertit avec raison de ne pas juger avant le temps et d’attendre que le Seigneur soit venu, qu’il mette en vive lumière ce qui est caché dans les ténèbres et qu’il découvre les pensées du coeur; alors chacun recevra de Dieu la louange qui lui est due (2).  5. Dans les ténèbres de cette vie où nous cheminons comme des étrangers loin du Seigneur, appuyés sur la foi et non point illuminés par la claire vision (3), l’âme chrétienne doit donc se regarder comme abandonnée, de peur qu’elle ne cesse de prier; il faut qu’elle apprenne à attacher l’œil de la foi sur les saintes et divines Ecritures, comme sur une lampe posée en un lieu obscur, jusqu’à ce que le jour brille et que l’étoile du matin se lève dans nos coeurs (4). Car cette lampe emprunte ses clartés à
la Lumière qui luit dans les ténèbres, que les ténèbres n’ont pas comprise et qu’on ne peut parvenir à voir qu’en purifiant son coeur par la foi : « Heureux ceux qui ont 
1. Rom, XII, 15. — 2. I Cor. IV, 5. — 3. II Cor. V, 8. — 4. II Pierre, I,19.  le coeur pur, » dit l’Evangile, « car ils verront Dieu (1). » — « Nous savons que quand il apparaîtra, nous serons semblables à lui, car nous le verrons tel qu’il est (2). » Alors commencera la vraie vie après la mort, la vraie consolation après la désolation : cette vie délivrera notre âme de la mort, cette consolation sèchera pour jamais nos larmes (3) ; et comme il n’y aura plus de tentation, le Psalmiste ajoute que ses pieds seront préservés de toute chute (4). Or, s’il n’y a plus de tentation, il n’y aura plus besoin de prière; nous n’aurons plus à attendre un bien promis, mais à contempler le bien accordé. Voilà pourquoi il est dit : « Je plairai au Seigneur dans la région des vivants (5), » où nous serons alors, et non pas dans le désert des morts où maintenant nous sommes. « Car vous êtes des morts, dit l’Apôtre, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu; mais lorsque le Christ, votre vie, apparaîtra, alors vous apparaîtrez avec lui dans la gloire (6). » Telle est la vraie vie qu’il est ordonné aux riches d’acquérir par les bonnes oeuvres; là est la vraie consolation, sans laquelle la veuve reste maintenant désolée, même celle qui a des fils et des neveux, qui gouverne pieusement sa maison et qui, amenant tous les siens à mettre en Dieu leur confiance, dit dans son oraison : « Mon âme a soif de vous, et combien ma chair aussi soupire vers vous dans cette terre déserte, sans chemin et sans eau (7) ! » Cette vie mourante n’est rien de plus, quelles que soient les consolations mortelles qui s’y mêlent; quel que soit le nombre de ceux avec qui l’on marche, quelle que soit l’abondance des biens qu’on y trouve. Car vous savez combien toutes ces choses sont incertaines; et ne le fussent-elles pas, on devrait encore les compter pour rien à côté de la félicité qui nous est promise.  6. Je vous parle ainsi parce que, veuve, riche et noble, mère d’une si grande famille, vous avez désiré une instruction de moi sur la prière; je voudrais que, même au milieu des soins et des services de ceux qui vous environnent, vous vous regardassiez comme abandonnée en cette vie, tant que vous ne serez pas arrivée à l’immortalité future où est la vraie et certaine consolation, où s’accomplit cette prophétique parole : « Nous avons été dès le matin rassasiés par votre miséricorde; et nous 1. Matth. V, 8. — 2. I Jean, III, 2. — 3. Ps. CXIV, 8. — 4. Ibid. V. 9. — 5. Ibid, 8, 9. — 6. Coloss. III, 3, 4. — 7. Ps. LXII, 2, 3. 267  avons tressailli et nous avons été satisfaits dans tous nos jours. Nous avons eu des jours de joie à proportion de nos jours l’humiliation et des années où nous avons vu les maux (1). »  7. Avant donc que cette consolation arrive , n’oubliez pas, malgré l’abondance de vos félicités temporelles, n’oubliez pas que vous êtes abandonnée, pour que vous persévériez jour et nuit dans la prière. Ce n’est pas à toute veuve, quelle qu’elle soit, que l’Apôtre attribue ce don, « c’est à la veuve qui l’est véritablement, qui a mis son espérance dans le Seigneur et qui prie jour et nuit. » Prenez bien garde à ce qui suit : « Quant à celle qui vit dans les délices, elle est morte quoique vivante encore (2) ; » car l’homme vit dans ce qu’il aime, dans ce qu’il désire , dans ce qu’il croit être son bonheur. Aussi ce que l’Ecriture a dit des richesses, je vous le dis des délices : « Si elles abondent autour de vous, n’y placez pas votre coeur (3). » Ne tirez point vanité de ce que les délices ne manquent pas à votre vie, de ce qu’elles se présentent à vous de toutes parts, de ce qu’elles coulent pour vous comme d’une source abondante de terrestre félicité. Dédaignez et méprisez en voles ces choses, et n’y cherchez que ce qu’il faut pour entretenir la santé du corps ; car nous devons en prendre soin à cause des nécessités de la vie, en attendant que ce qu’il y a de mortel en nous soit revêtu d’immortalité (4), c’est-à-dire d’une santé vraie, parfaite et perpétuelle, ne pouvant plus défaillir par l’infirmité terrestre et n’ayant plus besoin d’être réparée par le plaisir corruptible, mais subsistant par une force céleste et tirant sa vigueur d’une éternelle incorruptibilité. « Ne cherchez pas à contenter la chair dans ses désirs, » dit l’Apôtre (5); nous ne devons avoir soin de notre corps, que pour le besoin de la santé. « Car personne, dit encore l’Apôtre, n’a jamais haï sa propre chair (6). » Voilà pourquoi il avertit Timothée , qui apparemment châtiait trop durement son corps, d’user d’un peu de vin à cause de son estomac et de ses fréquentes souffrances (7). 8. Beaucoup de saints et de saintes, se défiant, en toute manière, de ces délices dans lesquelles une veuve ne peut mettre son coeur, sans qu’elle soit morte quoique vivant encore,  1. Ps. LXXXIX, 14, 15. — 2. I Tim. V, 5, 6. — 3. Ps. LXI , 11. — 4. I Cor. XV, 54. — 5.
Rom. XIII, 14. — 6. Ephés. V, 29. — 7. I Tim. V, 23. 
rejetèrent les richesses comme étant les mères de ces délices, en les distribuant aux pauvres , et c’est ainsi qu’ils les cachèrent plus sûrement dans les trésors célestes. Si , liée par quelque devoir d’affection, vous ne pouvez en faire autant, vous savez le compte que vous avez à rendre à Dieu à cet égard ; car nul ne sait ce qui se passe dans l’homme, si ce n’est l’esprit de l’homme qui est en lui-même (1). Nous ne devons, quant à nous, rien juger avant le temps, jusqu’à ce que le Seigneur vienne; il éclairera ce qui est caché dans les ténèbres , découvrira les pensées du coeur, et alors chacun recevra de Dieu la louange qui lui est due (2). Toutefois il appartient à vos devoirs de veuve , si les délices abondent autour de vous, de ne pas vous y attacher, de peur qu’une corruption mortelle n’atteigne ce coeur qui ne peut vivre qu’en se tenant élevé vers le ciel. Comptez-vous au nombre de ceux dont il est dit: « Leurs coeurs vivront éternellement (3).»  9. Vous avez entendu comment vous devez être pour prier; voici maintenant ce que vous devez demander en priant; c’est principalement sur cela que vous avez cru devoir me consulter, parce que vous êtes en peine de ces paroles de l’Apôtre : « Car nous ne savons pas comment prier pour prier comme il faut (4), » et que vous avez craint qu’il ne vous soit plus nuisible de ne pas prier comme il faut que de ne pas prier du tout. Ceci peut se dire brièvement : demandez la vie heureuse. Tous les hommes veulent l’avoir; ceux qui vivent le plus mal, le plus vicieusement, ne vivraient pas de la sorte s’ils ne pensaient pas y trouver le bonheur. Que faut-il donc que vous demandiez, si ce n’est ce que désirent les méchants et les bons, mais ce que les bons seuls obtiennent?

du Frédéric Manns: « JÉRUSALEM, MÈRE DE DIEU »

24 février, 2007

du site: http://198.62.75.1/www1/ofm/sbf/dialogue/mere_de_dieu.html

du Frédéric Manns:

« JÉRUSALEM, MÈRE DE DIEU »

Dans le dialogue inter religieux Marie tient peu de place, il faut l’avouer. Si les musulmans respectent la mère d’Issa, il n’en est pas toujours ainsi de la part des Juifs. Curieusement, la communauté judéo-chrétienne de Jérusalem, par souci de respect des frères aînés, répète qu’il est impossible de traduire en hébreu l’expression Marie, mère de Dieu, sans provoquer leur indignation. Pour ne choquer personne elle propose de traduire ’em immanouel ou ’em Yeshouah Eloheynou. Le concile d’Ephèse, qui a donné à Marie le titre de Theotokos, a connu les mêmes difficultés et les mêmes réticences. Les objections ne manquaient pas de la part de Nestorius. Malgré tout, l’Eglise a affirmé que Marie est la Theotokos ou la Dei Genitrix.

C’est un fait que l’inculturation du message chrétien s’est faite dans le monde hellénistique. Mais, puisqu’il est impossible de réécrire l’histoire à rebours, une réflexion préliminaire doit rappeler la signification de l’expression : Marie, mère de Dieu. Le catéchisme de l’Eglise universelle au paragraphe 466 s’exprime ainsi : « Le Verbe en s’unissant dans sa personne une chair animée par une âme rationnelle est devenu homme. L’humanité de Jésus n’a d’autre sujet que la personne divine du Fils de Dieu qui l’a assumée et faite sienne dès sa conception. Pour cela le concile d’Ephèse a proclamé en 431 que Marie est devenue en toute vérité Mère de Dieu par la conception humaine du Fils de Dieu dans son sein : Mère de Dieu non pas parce que le Verbe de Dieu a tiré d’elle sa nature divine, mais parce que c’est d’elle qu’il tient le corps sacré doté d’une âme rationnelle uni auquel en sa personne le Verbe est dit naître selon la chair ». Plus loin, au paragraphe 495, le catéchisme continue: « Marie appelée dans les Evangiles mère de Jésus est appelée aussi sous l’inspiration de l’Esprit la Mère de mon Seigneur (Lc1,43). De fait, celui que Marie a conçu comme homme par l’action de l’Esprit et qui est devenu son Fils selon la chair est le Fils éternel du Père, la seconde personne de la Trinité. L’Eglise confesse que Marie est la Theotokos ».

La traduction hébraïque de Lc 1,43 : ’em ’adony pourrait servir de modèle à une version moderne de l’expression Marie, mère de Dieu. La version syriaque de l’Evangile de Luc avait traduit : ’emeh de mary, Mar étant le titre réservé à Dieu.

L’expression Marie « mère de Dieu » ne devrait pas choquer les frères aînés, parce que ce titre est attribué à Jérusalem. Du fait que la ville contient la présence symbolique de Dieu, elle est appelée Mère de Dieu. C’est ce qui ressort du targum du cantique des cantiques III,11 « Sortez, filles de Sion, voyez le roi Salomon avec le diadème dont sa mère l’a couronné, le jour de ses noces, le jour de la joie de son coeur ».

« Quand le roi Salomon vint pour célébrer la dédicace du sanctuaire, un héraut cria à haute voix et dit ainsi : Sortez, habitants des districts de la terre d’Israël et peuple de Sion. Et regardez le roi Salomon avec le diadème et la couronne dont le peuple de la maison d’Israël le couronna au jour de la dédicace du Temple . Et réjouissez-vous pour la fête des Tentes pendant quatorze jours . ».

Dans ce commentare les filles de Sion sont les habitants de la terre d’Israël et le peuple de Jérusalem. Le Roi Salomon est Dieu. Le nom Salomon indique directement Dieu dans tout le targum. La mère du Roi est le peuple de la maison d’Israël. La couronne que le peuple a posée sur Dieu est le Temple.

Israël est mère de Dieu en tant qu’elle contient la présence de Dieu au temple. Le midrash Sifra Lev 9,221 applique la même interprétation à la tente du témoignage du désert après la théophanie du Sinaï. La présence de Dieu au milieu de son peuple fait de ce dernier la mère de Dieu.

L’expression « Marie mère de Dieu » en fait ne choque pas plus les frères aînés juifs que l’affirmation de l’Incarnation de Dieu. Ce mystère est refusé également au nom de la transcendance de Dieu. Est-ce à dire que les chrétiens ont renoncé au monothéisme strict pour retourner à la mythologie grecque ? L’accusation est fréquente même dans les milieux ouverts au dialogue inter religieux.

La foi au Christ dans la théologie chrétienne se remplit en Marie, mère de Dieu selon l’humanité, d’une lumière nouvelle : paradoxalement Marie ne cesse de dévoiler le visage humain de Dieu. Serge Boulgakov affirme que le secret que Marie dévoile est celui de la maternité de Dieu. L’amour de Dieu a un visage féminin, de nombreux théologiens l’ont rappelé récemment.

Marie révèle encore un autre secret : celui de l’Eglise : « Il n’y a qu’une seule Vierge Mère et il me plaît de l’appeler l’Eglise », écrivait Clément d’Alexandrie. « La Mère de Dieu c’est l’Eglise qui prie », affirme de son côté Serge Boulgakov. Il existe donc un lien étroit et profond entre la présence de Marie et l’action de l’Eglise, entre la purification de l’âme en Marie et celle en Eglise. L’auteur de cette purification est l’Esprit de Dieu. Marie et l’Eglise sont les deux manifestations visibles de Celui qui reste invisible. L’Esprit est la Vierge et la Vierge est l’Eglise, selon l’affirmation de Saint Ambroise. Les icônes de Marie aux titres si variés ne font rien d’autre que de souligner les aspects différents de l’Eglise, vierge et mère. Marie est également à l’origine de la mémoire de l’Eglise. Elle méditait tous les souvenirs de l’Eglise des origines dans son cœur. Elle est l’archétype et la personnification de l’Eglise, corps du Christ et Temple de l’Esprit.

Enfin, Marie, accueillant Dieu en elle lors de l’annonciation, montre que la nature humaine peut être complètement transfigurée par Dieu. Elle est l’image de l’âme fécondée par l’Esprit qui engendre le Seigneur. La Pentecôte, où Marie est présente comme mère de l’Eglise, n’est autre que la mission de l’Eglise visant à humaniser l’humanité tentée par l’animalité.

Curieusement Marie de Nazareth, chantée par le monde entier et peinte par d’innombrables artistes, n’a pas de place dans l’encyclopédie Judaica. Une omission curieuse pour le moins pour la femme juive la plus célèbre dans le monde entier.

« Les grands mystiques et les grands athées se rencontrent », disait Dostoïevski. C’est qu’il nous parlent d’un Dieu plus grand que notre cœur, que nos représentations mentales et que nos recherches spirituelles. Ce Dieu se révèle Autre et, pour qu’il vive, nos représentations confortables de Dieu et de Marie, doivent disparaître.

P. Cantalamessa : « Au milieu de nous il y a quelqu’un qui est ‘plus fort’ que le mal »

24 février, 2007

du Zenith: 

2007-02-23

P. Cantalamessa : « Au milieu de nous il y a quelqu’un qui est ‘plus fort’ que le mal »

Commentaire de l’Evangile du dimanche 25 février

ROME, Vendredi 23 février 2007 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le commentaire de l’Evangile de ce dimanche proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale.

Evangile de Jésus Christ selon saint Luc 4, 1-13

Jésus, rempli de l’Esprit Saint, quitta les bords du Jourdain ; il fut conduit par l’Esprit à travers le désert où, pendant quarante jours, il fut mis à l’épreuve par le démon. Il ne mangea rien durant ces jours-là, et, quand ce temps fut écoulé, il eut faim.

Le démon lui dit alors : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain. » Jésus répondit : « Il est écrit : Ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre. »

Le démon l’emmena alors plus haut, et lui fit voir d’un seul regard tous les royaumes de la terre. Il lui dit : « Je te donnerai tout ce pouvoir, et la gloire de ces royaumes, car cela m’appartient et je le donne à qui je veux. Toi donc, si tu te prosternes devant moi, tu auras tout cela. » Jésus lui répondit : « Il est écrit : Tu te prosterneras devant le Seigneur ton Dieu, et c’est lui seul que tu adoreras. »

Puis le démon le conduisit à Jérusalem, il le plaça au sommet du Temple et lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi à ses anges l’ordre de te garder ; et encore : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. » Jésus répondit : « Il est dit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »

Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentations, le démon s’éloigna de Jésus jusqu’au moment fixé.

© AELF

Il fut mis à l’épreuve par le démon

L’évangile de Luc que nous lisons cette année fut écrit, comme Luc le dit lui-même dans l’introduction, afin que le lecteur croyant puisse se rendre « bien compte de la sûreté des enseignements » qu’il avait reçus. Cette tentative est d’une actualité extraordinaire. Face aux attaques de toutes parts à l’historicité des évangiles et aux manipulations sans limite de la figure du Christ, il est plus que jamais important que le chrétien et tout lecteur honnête de l’évangile se rende aujourd’hui compte de la solidité des enseignements et des nouvelles qui y sont rapportées.

Pour cela, j’ai pensé utiliser les commentaires aux évangiles allant du premier dimanche de Carême au dimanche in Albis. En partant chaque fois de l’évangile du dimanche, nous étendrons le regard à tout un secteur ou un aspect de la personne et de l’enseignement du Christ qui y est lié, pour découvrir qui était vraiment Jésus, s’il était un simple prophète et un grand homme ou quelque chose d’autre et de plus. Nous voudrions, en d’autres termes, faire également un peu de culture religieuse. Des phénomènes comme celui du Da Vinci Code de Dan Brown, avec les imitations et les discussions qu’il a suscitées, ont montré l’alarmante ignorance religieuse qui règne parmi les personnes et qui devient le terrain idéal pour n’importe quelle opération commerciale sans scrupule.

L’évangile de ce premier dimanche de Carême est celui des tentations de Jésus dans le désert. Selon le plan annoncé, je voudrais partir de cet évangile pour élargir le discours à la question plus générale de l’attitude de Jésus envers les puissances diaboliques et les personnes possédées par le démon.

C’est un fait indéniable et parmi les plus sûrs sur le plan historique, que Jésus a libéré de nombreuses personnes du pouvoir destructeur de Satan. Nous n’avons pas le temps de rappeler tous les épisodes. Nous nous limiterons à souligner deux choses : tout d’abord l’explication que Jésus donnait de son pouvoir sur le démon ; deuxièmement, ce que ce pouvoir nous dit de lui et de sa personne.

Devant la libération éblouissante d’une personne possédée, opérée par Jésus, ne pouvant nier le fait, ses ennemis déclarent : « C’est par Béelzéboul, le prince des démons, qu’il expulse les démons » (Lc 11, 15). Jésus montre combien cette explication est absurde (si Satan était divisé en lui-même, son règne serait fini depuis longtemps, en revanche il prospère). L’explication est autre : il expulse les démons avec la main de Dieu, c’est-à-dire l’Esprit Saint, et ceci montre que le royaume de Dieu est arrivé sur la terre.

Satan était « l’homme fort » qui tenait l’humanité en son pouvoir, mais quelqu’un de « plus fort que lui » est arrivé et est en train de le dépouiller de son pouvoir. Ceci nous enseigne une chose formidable sur la personne du Christ. Avec sa venue, une nouvelle ère a commencé pour l’humanité, un changement de régime. Une telle chose ne peut être l’œuvre d’un simple homme, ni même d’un grand prophète.

Il est important de remarquer le nom et le pouvoir avec lequel Jésus chasse les démons. La formule habituelle avec laquelle l’exorciste s’adresse au démon est : « Je te conjure par… » ou « au nom de… je t’ordonne de sortir de cette personne ». C’est-à-dire que l’on fait appel à une autorité supérieure qui est en général celle de Dieu, et pour les chrétiens celle de Jésus. Jésus ne fait pas ainsi : il dit sèchement au démon « je t’ordonne ». Je t’ordonne ! Jésus n’a pas besoin de faire appel à une autorité supérieure ; c’est lui l’autorité supérieure.

La défaite du pouvoir du mal et du démon faisait partie intégrale du salut définitif (eschatologique) annoncé par les prophètes. Jésus invite ses adversaires à tirer les conséquences de ce qu’ils voient de leurs yeux : il n’y a donc plus à attendre, à regarder devant soi ; le royaume et le salut sont au milieu d’eux.

L’affirmation tant discutée sur le blasphème contre l’Esprit Saint s’explique à partir de là. Attribuer à l’esprit du mal, à Béelzéboul, ou à la magie ce qui était si manifestement une œuvre de l’Esprit de Dieu signifiait fermer obstinément les yeux devant la vérité, se mettre contre Dieu lui-même, et donc se priver soi-même de la possibilité de pardon.

Le fait de vouloir donner une dimension historique et éducative à ces commentaires de Carême ne doit pas nous empêcher de tirer également chaque fois une réflexion pratique de l’évangile du jour. Il y a beaucoup de mal autour de nous aujourd’hui également. Nous assistons à des formes de méchanceté qui dépassent souvent notre entendement ; nous sommes effarés et restons sans voix devant certains faits divers. Le message réconfortant qui découle des réflexions que nous venons de faire est qu’au milieu de nous il y a quelqu’un qui est « plus fort » que le mal. La foi ne nous met pas à l’abri du mal et de la souffrance mais nous assure qu’avec le Christ nous pouvons transformer même le mal en bien, le rendre utile pour notre rédemption et celle du monde.

Dans leur propre vie ou chez elles, certaines personnes font l’expérience d’une présence du mal qui leur semble être d’origine purement diabolique. Parfois, ceci est certainement le cas (nous savons que les sectes et les rites sataniques sont répandus dans notre société, surtout parmi les jeunes), mais il est difficile de comprendre dans les cas individuels, s’il s’agit véritablement de Satan ou de troubles d’origine pathologique. Il n’est heureusement pas nécessaire d’arriver à une certitude sur les causes. Il faut s’attacher au Christ par la foi, l’invocation de son nom, la pratique des sacrements.

L’évangile de ce dimanche nous suggère un moyen pour mener ce combat, important à cultiver surtout en temps de Carême. Jésus n’est pas allé dans le désert pour être tenté ; son intention était de se retirer dans le désert pour prier et écouter la voix de son Père.

Tout au long de l’histoire, une foule d’hommes et de femmes ont choisi d’imiter ce Jésus qui se retire dans le désert. Mais l’invitation à suivre Jésus dans le désert ne s’adresse pas seulement aux moines et aux ermites. De manière différente, elle s’adresse à tous. Les moines et les ermites ont choisi un espace de désert, nous devons au moins choisir un temps de désert. Passer un temps de désert signifie faire un peu de vide et de silence autour de nous, retrouver le chemin de notre cœur, se soustraire au vacarme et aux sollicitations qui nous entourent, pour entrer en contact avec les sources les plus profondes de notre être et de notre foi.

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