Lettre de Saint Augustin a Proba – 3me et dernière partie: 20-31

20. On dit que nos frères en Egypte prient fréquemment, mais brièvement et par élan; ils agissent ainsi pour éviter que l’attention et la ferveur, si nécessaires à la prière, s’évanouissent et s’éteignent en des oraisons trop prolongées. Par là aussi ils montrent assez que s’il ne faut pas s’exposer à l’affaiblissement de cette ferveur, quand elle ne peut durer, il ne faut pas l’interrompre trop tôt, quand elle se soutient. Tant que dure cette vive et sainte application du coeur, écartez de l’oraison les longues paroles, mais priez, priez longtemps. Beaucoup parler en priant, c’est faire une chose nécessaire avec des paroles inutiles. Beaucoup prier, c’est frapper à la porte de celui qu’on implore avec un long et pieux mouvement du coeur. C’est là le plus souvent une affaire qui se traite plus avec des gémissements qu’avec des discours, plus avec des larmes qu’avec des entretiens. Dieu met nos larmes devant sa présence; nos soupirs ne restent pas ignorés de celui qui a tout créé par sa Parole et n’a que faire des paroles humaines.  21. Les paroles nous sont nécessaires pour nous exciter à ce que nous demandons et y être attentifs, non pour apprendre à Dieu nos besoins ni pour le fléchir. Ainsi lorsque nous disons : « Que votre nom soit sanctifié, » nous nous avertissons nous-mêmes qu’il faut désirer que son nom, toujours saint, le soit toujours aux yeux des hommes, c’est-à-dire que ce nom ne soit point méprisé : ce qui est profitable non pas à Dieu mais aux hommes. Lorsque nous disons : « Que votre règne arrive, » nous excitons notre désir vers ce règne qui arrivera, que nous le voulions ou non, et nous demandons qu’il vienne pour nous et que nous méritions d’y avoir part. Lorsque nous disons : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel, » nous lui demandons la grâce de lui être soumis, pour que nous fassions sa volonté comme les anges la font dans le ciel. Lorsque nous disons : « Donnez-nous aujourd’hui

1. Luc, III, 12; XXII, 43. 

notre pain quotidien, » le mot aujourd’hui désigne le temps de notre vie pour lequel nous demandons, ou bien le nécessaire en le désignant par le pain qui en est la partie principale , ou bien le Sacrement des fidèles qui nous est nécessaire dans cette vie, non pour être heureux ici-bas, mais pour obtenir l’éternelle félicité. Lorsque nous disons : « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés, » nous, nous avertissons de ce qu’il faut demander et de ce qu’il faut faire pour l’obtenir. Lorsque nous disons : « Ne nous abandonnez pas à la tentation, » nous nous avertissons que nous devons demander à Dieu de ne pas nous priver de son secours, de peur que la séduction ou l’accablement ne nous fasse succomber. Lorsque nous disons : « Délivrez-nous du mal (1) , » nous nous avertissons qu’il faut penser que nous ne sommes pas encore en possession de ce bien où l’on ne souffre plus aucun mal. Cette fin de l’oraison dominicale a un sens si étendu qu’un chrétien, quelle que suit sa tribulation, y trouve l’expression de tous ses gémissements et le sujet de toutes ses larmes; c’est par là qu’il commence, c’est par là qu’il continue , c’est par là qu’il achève sa prière. Il fallait que ces paroles recommandassent les choses elles-mêmes à notre mémoire.  22. En effet, quelles que soient les paroles que nous prononcions, pour marquer l’intention de notre prière ou en accroître la pieuse ardeur, nous ne disons rien de plus que ce qui se trouve dans l’oraison dominicale, si nous prions comme il faut. Mais quiconque, s’adressant à Dieu, dirait des aloses qui ne pourraient pas se rapporter à cette prière évangélique, lors même qu’il ne demanderait rien de mauvais, prierait charnellement; et je ne sais pas pourquoi cela ne serait pas jugé mauvais, puisqu’il ne convient pas à ceux qui ont été régénérés par l’Esprit de prier autrement que selon l’Esprit. Ainsi, par exemple, dire : « Soyez glorifié dans toutes les nations comme vous l’êtes parmi nous; » de plus : « Que vos prophètes soient trouvés fidèles (2), » n’est-ce pas dire : « Que votre nom soit sanctifié?» Dire : « Dieu des vertus, convertissez-nous, et montrez- nous votre face, et nous serons sauvés (3), » n’est-ce pas dire : « Que votre règne arrive ? » Dire : « Dirigez nos pas selon votre parole, et 

1. Matth. VI , 9-13. — 2. Ecclesias. XXXVI, 4, 18. — 3. Ps. XXLIX, 4. 

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qu’aucune iniquité ne domine en moi (1), » n’est-ce pas dire : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ? » Dire : « Ne me donnez ni la pauvreté ni les richesses (2), » n’est-ce pas dire : « Donnez nous aujourd’hui,  notre pain quotidien? » Dire : « Seigneur, souvenez-vous de David et de toute sa douceur (3), » ou bien : « Seigneur, si j’ai fait cela, si l’iniquité est dans mes mains, si j’ai rendu le mal pour le mal (4), » n’est-ce pas dire : « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés? » Dire : « Eloignez de nous les concupiscences de la chair, et qu’aucun mauvais désir ne me saisisse (5), » n’est-ce pas dire : « Ne nous abandonnez point à la tentation? » Dire : « Tirez-moi des mains de mes ennemis, ô mon Dieu, et délivrez-moi de ceux qui s’élèvent contre moi (6), » est-ce autre chose que : « Délivrez-nous du mal? » Si vous parcourez toutes les paroles des prières des saintes Ecritures, vous ne trouverez rien qui ne soit contenu et enfermé dans l’oraison dominicale. On est libre de demander les mêmes choses en d’autres termes, mais on n’est pas libre de demander autre chose.  23. Voilà ce que nous devons demander sans hésitation pour nous, pour les nôtres, pour les étrangers et même pour nos ennemis, quoique, dans la prière, le coeur soit autrement porté vers les uns que vers les autres, selon les liaisons de parenté ou d’amitié. Mais celui qui, dans l’oraison, dit par exemple : Seigneur, augmentez mes richesses, ou bien : Donnez-m’en autant que vous en avez donné à celui-ci ou à celui-là ; ou bien : Augmentez mes honneurs, faites-moi puissant et illustre dans ce siècle; celui qui dit cela ou quelque autre chose dans ce genre et qui aspire aux dignités et aux richesses parce qu’il en a l’ardente soif, et non parce qu’il voudrait en tirer parti, selon Dieu, pour l’avantage des hommes, celui-là ne trouve pas, je le crois, dans l’oraison dominicale, de quoi exprimer de pareils voeux. C’est pourquoi qu’il ait honte au moins de demander ce qu’il n’a pas honte de désirer; ou bien, s’il en a honte, mais si la cupidité l’emporte, ne vaut-il pas beaucoup mieux qu’il demande d’en être délivré à celui à qui nous disons : «Délivrez-nous du mal ! » 

24. Vous savez maintenant, je pense, comment  1. Ps. CXVIII. 133. — 2. Prov. XXX, 6. — 3. Ps. CXXX, 1. — 4. Ps. VII, 4. — 5. Ecclés. XXIII, 6. — 6. Ps. LVIII, 2.  vous devez être pour prier et ce que vous devez demander; ce n’est pas moi qui vous l’ai appris, c’est celui qui a daigné nous instruire tous. Il faut chercher la vie heureuse, il fau la demander à Dieu. On a beaucoup disserté pour savoir ce que c’est que d’être heureux mais nous, qu’avons-nous besoin d’interroger les philosophes et d’étudier les systèmes? Il a été dit en peu de mots et avec vérité dans l’Ecriture de Dieu : « Heureux le peuple dont le Seigneur est le Dieu (1). » Pour appartenir à ce même peuple, pour arriver jusqu’à contempler ce Dieu et à vivre éternellement avec lui, que faut-il? « La charité qui est la fin de la loi, la charité partie d’un coeur pur, d’une bonne conscience et d’une foi non feinte (2). » Dans ces trois choses, la bonne espérance est exprimée par la conscience. La foi, l’espérance et la charité conduisent donc à Dieu celui qui prie, c’est-à-dire celui qui croit, qui espère, qui désire et qui considère dans l’oraison dominicale ce qu’il doit demander à Dieu. Les jeûnes, les autres mortifications de la chair, qu’il ne faut pas pousser jusqu’à compromettre la santé, les aumônes, les aumônes surtout, aident beaucoup à la prière; nous pourrons dire alors: «J’ai cherché Dieu au jour de mon affliction; je l’ai cherché la nuit avec mes mains, et n’ai pas été trompé (3). » Comment cherche-t-on avec les mains un Dieu incorporel et impalpable, si ce n’est avec les oeuvres ?  25. Peut-être demandez-vous encore le sens de ces paroles de l’Apôtre : Nous ne savons « pas ce que nous devons demander (4).» Car on ne peut pas croire que l’Apôtre ni ceux à qui il s’adressait ignorassent l’oraison dominicale. Pourquoi donc ce langage de celui qui n’a rien pu dire de téméraire ni de contraire à la vérité ? pourquoi donc a-t-il parlé ainsi ? n’est-ce point parce que les peines et les tribulations temporelles servent souvent à guérir de l’orgueil, à éprouver et exercer la patience pour lui obtenir une récompense plus glorieuse et plus abondante, ou à châtier et à effacer les péchés; et ignorant jusqu’à quel point ces épreuves nous sont avantageuses, nous demandons d’en être délivrés? L’Apôtre montre qu’il n’était pas exempt lui-même de cette ignorance et peut-être ne savait-il pas ce qu’il devait demander à Dieu, lorsque le Seigneur, voulant l’empêcher de s’enorgueillir par la grandeur de ses révélations, 

1. Ps. CXLIII, 15. — 2. I Tim. 1, 5. — 3. Ps. LXXVI, 2. — 4. Rom, VIII, 26.  273  lui donna l’aiguillon de la chair et permit que l’ange de Satan le souffletât; il pria Dieu trois fois de l’en délivrer, ne sachant pas demander ce qu’il fallait. Enfin ce grand homme entendit la réponse de Dieu qui lui disait pourquoi il ne convenait pas qu’il exauçât sa prière : « Ma grâce vous suffit, car la vertu se perfectionne dans la faiblesse (1).»  26. Nous ne savons donc pas ce qu’il faut demander sous le coup de ces tribulations qui peuvent servir et nuire; et cependant comme elles sont dures, pénibles et qu’elles effrayent notre faiblesse, nous demandons par toute la volonté humaine d’en être délivrés. Mais s’il plaît au Seigneur notre Dieu de ne pas nous tirer de ces épreuves, nous devons à son amour de ne pas croire qu’il nous abandonne, mais d’espérer plutôt de plus grands biens par une pieuse résignation dans les maux : c’est ainsi que la vertu se perfectionne dans la faiblesse. Ce que le Seigneur Dieu refusa à l’Apôtre dans sa miséricorde, il l’accorde quelquefois dans sa colère à ceux qui ne peuvent rien souffrir. Les livres saints nous apprennent ce que demandèrent les Israélites et comment ils furent exaucés; mais leur concupiscence une fois rassasiée, leur impatience fut sévèrement châtiée (2). Ils demandaient un roi, il leur en donna un selon leur coeur, comme il est écrit, et non selon son coeur (3). Il accorda au démon ce qu’il sollicitait et lui permit de tenter son serviteur (4). Des esprits immondes lui ayant demandé de se jeter dans un troupeau de pourceaux, il le permit à une légion de démons (5). Cela a été écrit pour que nous ne nous élevions pas, quand nos impatientes prières sont exaucées en des choses qu’il nous serait plus avantageux de ne pas obtenir; ou pour que nous ne nous méprisions pas et que nous ne désespérions point de la miséricorde divine, quand Dieu repousse nos prières et qu’il écarte des veaux dont l’accomplissement serait pour nous une affliction plus cruelle, ou une prospérité qui nous corromprait et nous perdrait entièrement. Dans de telles rencontres nous ne savons donc pas demander ce qu’il faut. Et s’il arrive le contraire de ce que nous avons souhaité, nous devons le supporter patiemment, rendre grâces à Dieu en toutes choses, et reconnaître que la volonté de Dieu a été meilleure pour nous que ne l’eût été 

1. II Cor XII, 7-9. — 2. Nombr. XI. — 3. I Rois, VIII, 5, 7. — 4. Job, I, 12; II, 6. — 5. Luc, VIII, 32. 

notre propre volonté. Le divin médiateur nous a laissé un exemple de cette soumission; après avoir dit à son Père: « Mon Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi, s’identifiant ainsi la volonté humaine qu’il avait prise en se faisant homme,» il ajouta aussitôt: « Mais cependant que ce soit, non comme je le veux, mais comme vous le voulez (1). » Voilà pourquoi il a été dit avec raison que plusieurs ont été établis justes par l’obéissance d’un seul (2).  27. Mais celui qui demande et redemande à Dieu cette chose unique (3),le fait avec certitude et sécurité ; il ne craint pas qu’il lui nuise d’être exaucé, parce que, sans ce bien auquel il aspire , tout ce qu’il pourrait demander en priant ne servirait de rien. Ce bien, c’est la seule vraie et heureuse vie; il faut que, devenus immortels et incorruptibles de corps et d’esprit, nous contemplions éternellement les délices du Seigneur ; c’est pour cette unique chose qu’il est permis de demander le reste. Celui qui l’aura aura tout ce qu’il voudra et ne pourra rien désirer que de bon. Car là est la source de vie ; il faut dans la prière que nous en ayons soif, tant que nous vivons en espérance saris voir encore ce que nous espérons ; tant que nous sommes protégés par les ailes de celui en présence de qui tous nos désirs tendent à s’enivrer de l’abondance de sa maison et à se plonger dans le torrent de ses délices ; oui, c’est en lui qu’est la source de la vie et c’est dans sa lumière que nous verrons la lumière (4) quand toutes nos aspirations seront rassasiées, quand il n’y aura plus rien à chercher en gémissant, et que nous n’aurons qu’à rester en possession de nos joies. Cependant, comme ce bien unique est la paix qui surpasse tout entendement, nous ne savons pas non plus le demander comme il faut dans nos prières, car ce que nous ne pouvons pas nous représenter comme cela est, nous ne le connaissons pas; mais nous rejetons, nous méprisons, nous condamnons toute image qui s’en offre à notre pensée; nous reconnaissons que ce n’est pas ce que nous cherchons, quoique nous ne sachions pas encore ce que c’est. 28. Il y a donc en nous comme une savante ignorance, une ignorance instruite par l’Esprit de Dieu qui soutient notre faiblesse. Après que l’Apôtre a dit : « Si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons avec patience, » il ajoute : « De même l’Esprit de 

1. Matth. XXVI, 39. — 2.
Rom. V, 19. — 3. Ps. XXI, 4. — 4. Ps. XXXV, 8-10. 

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Dieu soutient notre faiblesse; car nous ne savons pas ce qu’il faut demander dans nos prières ; mais l’Esprit lui-même prie pour nous par des gémissements ineffables. Celui donc qui scrute les coeurs sait ce que comprend l’Esprit, parce qu’il ne prie pour les saints que selon Dieu (1). » Ceci ne doit pas s’entendre de façon à nous faire croire que le Saint-Esprit, Dieu immuable dans
la Trinité et ne faisant qu’un Dieu avec le Père et le Fils, prie pour les saints comme quelqu’un qui ne soit pas Dieu; on dit qu’il prie pour les saints parce qu’il fait prier les saints, comme il est dit : « Le Seigneur votre Dieu vous éprouve pour savoir si vous l’aimez (2), » c’est-à-dire pour vous le faire savoir. Il fait donc prier les saints par des gémissements ineffables, en leur inspirant le, désir de cette grande chose encore inconnue que nous attendons par la patience (3). Comment parler de ce qu’on ignore quand on le désire? Et, véritablement si on l’ignorait tout à., fait, on ne le souhaiterait pas; et d’un autre côté, si on, le voyait, on ne le désirerait pas, on ne le rechercherait pas par des gémissements. 
29. Eu considérant toutes ces choses et d’autres encore que le Seigneur pourra vous inspirer et qui ne se sont pas présentées à moi ou qu’il eût été trop long d’exposer, efforcez-vous de vaincre ce Monde par l’oraison; priez en espérance, priez avec foi et amour, priez avec instance et patience , priez comme une veuve du Christ. Quoique le devoir de la prière regarde tous ses membres, c’est-à-dire tous ceux qui croient en lui et qui sont unis à son corps, comme il l’a enseigné lui-même, cependant il nous marque dans ses Ecritures que ce soin appartient surtout aux veuves. Les saints livres mentionnent avec honneur deux femmes du nom d’Anne, l’une mariée et qui mit au monde le saint prophète Samuel, l’autre veuve et qui connut le Saint des saints lorsqu’il était encore enfant. Celle qui était mariée pria dans la douleur de son âme et l’affliction de son coeur, parce qu’elle n’avait pas d’enfants; elle obtint alors Samuel et rendit à Dieu ce fils qu’elle en avait reçu, car elle le lui avait consacré en le demandant  (4). Mais il n’est pas aisé de trouver comment sa prière est comprise dans l’oraison dominicale, à moins de la rapporter à ces paroles : « Délivrez-nous du 1.
Rom. VIII, 25-27. — 2. Deutér. XIII, 3. — 3.
Rom. VIII, 25. — 4. I Rois, I.

mal ; » on regardait, en effet, femme un assez grand mal d’être marié et privé du fruit du mariage, dont la seule excuse est la naissance des enfants. Pour ce qui est d’Anne veuve, voyez ce qui est écrit : « Elle ne sortait pas du temple, jeûnant et priant nuit et jour (1). » L’Apôtre ne parle pas autrement dans ces paroles que j’ai citées plus haut : « Celle qui est véritablement veuve et abandonnée, a mis son espérance dans le Seigneur, et persévère dans les prières la nuit et le jour (2). » Et le Seigneur, voulant nous exhorter à toujours prier sans nous lasser, nous a cité l’exemple de la veuve dont les importunités vinrent à bout d’un juge inique et impie, contempteur de Dieu et des hommes (3). Ce qui montre combien le devoir de la prière est particulièrement imposé aux veuves, c’est que les saints livres mettent sous nos yeux des exemples de veuves pour nous convier tous à l’oraison.  30. Mais pourquoi les veuves sont-elles marquées pour cette sorte d’oeuvre, si ce n’est à cause de leur abandon et de leur délaissement? Aussi toute âme. qui se regardera dans ce monde comme abandonnée et désolée, tant que dure son voyage loin du Seigneur, mettra, pour ainsi dire, son veuvage sous la garde de Dieu et lui demandera, par d’instantes prières, d’être son défenseur. Priez donc comme une veuve du Christ, ne jouissant pas encore de celui dont vous implorez le secours. Et quoique vous soyez bien riche, priez comme si vous étiez pauvre : vous ne possédez pas encore les vraies richesses du siècle futur où vous n’aurez plus rien à craindre. Quoique vous ayez des enfants et des neveux et une famille nombreuse, comme il a été dit plus haut, priez comme une délaissée : car toutes les choses du temps sont incertaines, lors même qu’elles nous resteraient pour notre consolation jusqu’à la fin de cette vie. Si vous cherchez et si vous aimez ce qui est en haut, vous désirez les choses solides et éternelles; tant que vous! ne les avez pas, vous devez vous croire comme abandonnée, bien que tous les vôtres vous soient conservés et respectueusement soumis. Ainsi devez-vous vivre, et, sûrement aussi, à votre exemple, votre très-pieuse belle-fille (4), et les autres saintes veuves et vierges que vous gouvernez toutes les deux avec tant de sécurité pour elles : plus vous dirigez pieusement votre 1. Luc, II, 36, 37. — 2. I Tim. V, 5. — 3. Luc, XVIII, 1-8.  4. Juliana, mère de Démétrias. 

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maison, plus vous devez redoubler d’ardeur dans la prière, ne vous occupant des choses de la vie présente que dans la mesure des besoins religieux.  31. Souvenez-vous aussi de prier beaucoup pour nous. Nous ne voulons pas que, trop préoccupées de notre dignité épiscopale, si périlleuse à porter, vous nous traitiez de façon à nous priver d’un secours dont nous savons que nous avons tant besoin. La famille du Christ (1) a prié pour Pierre, a prié pour Paul; vous êtes de cette famille, à notre grande joie, et nous avons incomparablement plus besoin que Pierre et Paul des prières de nos frères. Priez à l’envi dans l’émulation d’un saint accord ; ce n’est pas lutter les uns contre les autres, mais contre le démon, ennemi de tous les saints. Les jeûnes et les veilles, et tous les genres de mortification, aident beaucoup à la prière (2), que chacune de vous fasse ce qu’elle pourra; ce que l’une ne peut pas, elle le fait dans une autre qui le peut, si elle aime en elle ce que ses propres forces ne lui permettent pas d’accomplir; ainsi donc que celle qui peut moins n’empêche pas celle qui peut plus, et que la plus forte ne presse. pas la plus faible. Car vous devez votre conscience à Dieu, mais ne devez rien à personne d’entre vous, si ce n’est de vous aimer les unes les autres (3). Que Dieu vous exauce, lui qui est assez puissant pour faire au delà de ce que nous demandons et de ce que nous comprenons (4). 

1. Eglise. — 2. Tobie, XII, 8. — 3. Rom. XIII, 8. — 4. Ephés. III, 20. 

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