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SAINT BERNARD
LA DEMEURE DE
LA DIVINE SAGESSE »
La Sagesse s’est construit une demeure » (Prov. IX, 1). Comme le mot de sagesse a diverses acceptions, il nous faut rechercher quelle est cette sagesse qui s’est construit une demeure. On parle d’une sagesse selon la chair, qui est l’ennemie de Dieu et d’une sagesse selon le monde, qui est sottise aux yeux de Dieu (I Cor. III, 19). L’une et l’autre, suivant l’Apôtre Jacques, est « terrestre, animale, diabolique » (Jacques III, 15). Ceux qui s’y conforment « sont sages pour commettre le mal et ne savent pas faire le bien » (Jérémie, IV, 22). Ils seront accusés et condamnés dans leur sagesse, car il est écrit : « Il faut surprendre ces sages dans leurs ruses (I Cor. III, 19) et je détruirai la sagesse des sages et je rejetterai la science des savants (Isaïe. XXIX, 14). C’est à ces sages-là que me paraît s’appliquer parfaitement ce proverbe de Salomon : J’ai vu un grand mal sous le soleil : un homme sage à ses propres yeux. Cette sagesse, de la chair ou du monde, n’édifie pas, elle détruit plutôt la demeure qu’elle habite. Mais il existe une autre sagesse qui vient d’en haut ; elle est d’abord réservée, ensuite pacifique (Jacques. III, 17). C’est le Christ lui-même, Force et Sagesse de Dieu, de qui l’Apôtre dit : « Dieu l’a fait notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption ((I Cor. I, 30).Donc cette Sagesse qui était de Dieu et qui était Dieu, venue à nous du sein du Père, s’est construit une demeure, dans laquelle il a taillé sept colonnes (Prov. IX, 1), et cette demeure est sa mère,
la Vierge Marie. Qu’est-ce que se tailler en elle sept colonnes, sinon se préparer en elle, par la foi et les oeuvres, une résidence digne de lui ? Le chiffre trois se rapporte à la foi, à cause de
la Trinité ; le chiffre quatre à la morale, à cause des quatre vertus cardinales. Que la sainte Trinité ait été présente en la bienheureuse Marie – et ceci par la présence de majesté, tandis que le Fils seul y était pour avoir assumé l’humanité – c’est ce qu’atteste le messager du ciel qui, lui découvrant les plus secrets mystères, dit : Je te salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec toi, et un instant après : Le Saint-Esprit surviendra en toi, et
la Force du Très-Haut te couvrira de son ombre (Luc. I, 28, 35). Nous avons là le Seigneur, l’Esprit-Saint et
la Force du Très-Haut, soit le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Car le Père ne peut être sans le Fils, ni le Fils sans le Père, ni sans l’un et l’autre le Saint-Esprit qui procède de l’un et de l’autre. Le Fils a dit : « Je suis en mon Père et mon Père est en moi », et encore : « Le Père qui réside en moi fait lui-même ces oeuvres » (Jn. XIV, 10). Il est donc manifeste que
la Vierge a porté dans son coeur la foi en
la Sainte Trinité.
Il vaut la peine de se demander si elle a possédé aussi ces quatre colonnes que sont les vertus cardinales. Voyons d’abord si elle a eu
la Force. Cette vertu n’a pu faire défaut à celle qui, rejetant les vanités du monde et méprisant les plaisirs de la chair, forma le voeu de vivre dans la virginité et pour Dieu seul. Si je ne me trompe, c’est de cette Vierge que parle Salomon : « Qui trouvera la femme forte ? Elle est de grand prix, et il faut aller la chercher bien loin aux extrémités de la terre » (Prov. XXXI, 10). Elle eut la force de broyer la tête de ce serpent à qui le Seigneur avait dit : « Je mettrai l’hostilité entre la femme et toi et entre vos deux races ; et c’est elle qui écrasera ta tête » (Gen. III, 15). Qu’elle fût également tempérante, prudente et juste, cela ressort clair comme le jour des paroles que lui adresse l’ange, et de sa propre réponse. Saluée avec un si grand respect par l’ange : « Je te salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec toi », elle ne conçoit aucun orgueil de se voir favorisée d’une grâce unique, mais elle se tait et se demande à part soi ce que signifie une salutation ainsi insolite. C’était montrer de la tempérance. Mais comme le même ange l’instruisait des mystères divins, elle demanda aussitôt comment elle pourrait concevoir et enfanter, puisqu’elle n’avait pas connu d’homme ; et en cela, sans aucun doute, elle agit avec prudence. Elle porte enfin la marque de la justice, lorsqu’elle se donne pour la servante du Seigneur. Que ce soit là la confession des justes, nous en avons un témoignage dans l’Ecriture : Les justes confesseront ton nom, et les hommes droits se tiendront devant ta face (Ps. CXXXIX, 14). Et ailleurs, il est dit aux justes : Vous confesserez l’excellence de toutes les oeuvres de Dieu (Eccli. XXXIX, 21).
La bienheureuse Vierge Marie fut donc forte en sa résolution, tempérante dans son silence, prudente dans son interrogation, juste dans sa confession. Sur ces quatre colonnes de la morale et sur les trois colones de la foi,
la Sagesse céleste a édifié en elle sa demeure. Et cette Sagesse a si bien rempli son âme que cette plénitude suffit à féconder aussi la chair ; aussi Marie, par une grâce extraordinaire, put-elle en restant vierge enfanter cette même Sagesse habitant dans sa chair qu’elle avait d’abord conçue dans la pureté de son âme. A notre tour, si nous voulons devenir des demeures de
la Sagesse, il faut que nous élevions en nous ces sept colonnes, c’est-à-dire que nous nous préparions à l’accueillir par la foi et par les oeuvres. Pour celles-ci, je tiens que la justice est à elle seule suffisante, mais que les autres vertus doivent l’étayer. Aussi, pour que notre justice ne soit pas égarée par l’ignorance, la prudence la devancera ; et pour qu’elle ne penche ni à droite ni à gauche, nous mettrons de part et d’autre la tempérance et la force.