La méthode Benoît XVI – du Figaro
27 novembre, 2006cet article du « Figaro » c’est un approfondissement qu’il me sempble très interessant, je vous le propose, du site:
http://www.lefigaro.fr - voir actualité
La méthode Benoît XVI
PAR JEAN SÉVILLIA AVEC LAURE MARCHAND. Publié le 24 novembre 2006
Actualisé le 25 novembre 2006 : 14h39
Du 28 novembre au 1er décembre, pour son cinquième voyage depuis qu’il a été élu pape, Benoît XVI séjournera en Turquie : Ankara, Izmir, Ephèse et Istanbul. S’il répond à l’invitation du président de
la République, le souverain pontife ne rencontrera pas le Premier ministre turc. Selon la version officielle, Recep Tayyip Erdogan sera retenu en Lettonie par un sommet de l’Otan. Il semble que le chef du gouvernement veuille en réalité ménager l’opinion d’un pays qui est laïque, mais dont la population, à 99%, est musulmane. Or celle-ci jette un oeil suspicieux sur Benoît XVI depuis l’affaire de Ratisbonne. Le 12 septembre, en visite pastorale en Bavière, le souverain pontife donnait une conférence magistrale, à l’université de Ratisbonne, sur les rapports entre la foi et la raison et sur l’apport de
la Grèce antique à la pensée chrétienne. Une heure de théologie et de philosophie : rien de polémique dans les propos du pape. Une citation extraite d’un dialogue entre un empereur byzantin du XIVe siècle et un érudit persan, critiquant une sourate du Coran légitimant la violence, allait pourtant déclencher une tempête, le point de vue de Manuel II Paléologue étant indûment attribué à Benoît XVI. Si la polémique gagnait tous les pays musulmans, elle n’avait pas moins été lancée par les médias occidentaux, avides de créer l’événement avec une petite phrase sortie de son contexte, et présentée comme une déclaration de guerre à l’Islam ! La semaine dernière, dans une interview publiée par le quotidien italien
La Stampa, le grand mufti de Turquie, Ali Bardakoglu, estimait que le voyage du pape «ne résoudra pas tous les problèmes, mais sera un bon pas dans la direction du dialogue». Un changement de ton par rapport à celui qui dominait il y a deux mois : à force d’explications, le Vatican est parvenu à faire comprendre que le sens du discours de Ratisbonne avait été déformé. Dès le 25 septembre, en recevant les ambassadeurs des pays musulmans accrédités auprès du Saint-Siège, le pape invitait chrétiens et musulmans à «travailler ensemble». Le 20 octobre, dans un message publié à l’occasion de la fin du ramadan, le cardinal Poupard, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, estimait que le monde «a besoin de chrétiens et de musulmans qui se respectent et s’estiment». Le 11 novembre, Benoît XVI recevait en tête-à-tête l’universitaire algérien Mustapha Cherif. Au printemps, celui-ci lui avait envoyé son livre paru aux Editions Odile Jacob : L’Islam, tolérant ou intolérant ? En guise de réponse, l’auteur avait été convié à venir discuter directement avec le souverain pontife. En sortant de l’entretien, à Rome, Cherif déclarait que le pape lui avait dit considérer l’islam comme «une grande religion», et «qu’il réfutait la logique du choc des civilisations». Ajoutant : «Il m’a écouté avec beaucoup d’attention, beaucoup de bonté, et il y a eu un véritable échange.» Ce rendez-vous privé, privilège rarement accordé, illustre la nature profonde de Benoît XVI. Loin de la caricature d’inquisiteur que dressaient ses adversaires au temps où il était préfet de
la Congrégation pour la doctrine de la foi, encore plus loin de l’image de prêcheur de croisade que certains voudraient lui coller, ce pape écoute, pose des questions, et prend le temps de la réflexion avant de prendre une décision. S’il est un pur intellectuel à qui on ne connaît qu’une détente, qui est de jouer du Mozart sur son piano demi-queue, s’il est un énorme travailleur, tôt couché et tôt levé, écrivant lui-même tous ses discours, s’il est d’une certaine manière un solitaire, Josef Ratzinger reste avant tout un pédagogue, amateur d’idées et de débats. Comme les théologiens de la grande époque qui pratiquaient l’art médiéval de la disputatio, Benoît XVI aime les controverses entre esprits cultivés, textes en main, argument contre argument. S’il se rend aujourd’hui en Turquie, ce n’est donc pas pour chercher la confrontation avec le monde musulman. Benoît XVI a été pendant vingt-quatre ans le plus proche collaborateur de Jean-Paul II, et il lui a succédé, avec son caractère propre et ses inflexions particulières, dans un souci de continuité. «Le chemin de la tolérance et du dialogue, que le concile Vatican II a heureusement engagé, doit être poursuivi avec constance», rappelait-il le 11 octobre dernier. Précisant néanmoins : «Cela ne doit pas faire oublier le permanent devoir de repenser et d’affirmer avec tout autant de force les lignes maîtresses, inaliénables, de notre identité chrétienne.» Le 3 novembre, à nouveau, visitant l’université pontificale grégorienne à Rome, Benoît XVI observait que «le rapport avec les autres religions n’est constructif que s’il évite toute ambiguïté, affaiblissant d’une manière ou d’une autre le contenu essentiel de la foi chrétienne». L’appel au réveil de l’identité chrétienne est une constante de l’enseignement du pape. S’il est un homme de dialogue, Benoît XVI pense que le dialogue, pour être fructueux, suppose que toutes les convictions ne soient pas noyées dans un syncrétisme où chacune perdrait son identité : dialoguer, c’est échanger, mais, pour échanger, encore faut-il avoir quelque chose à proposer. C’est pourquoi ce pape qui a 80 ans et qui sait que le temps lui est compté s’emploie, depuis le début de son pontificat, à expliquer, inlassablement, les fondamentaux de la foi chrétienne. Aux JMJ de Cologne en 2005, dans son encyclique Deus caritas est («Dieu est amour») parue au début de l’année, dans ses audiences du mercredi qui réunissent des foules considérables à Rome, le pape appelle les chrétiens à être d’abord, quoi qu’il leur en coûte dans une époque sécularisée, des disciples du Christ. Ce recentrage sur l’essentiel, chez Benoît XVI, se traduit par une préoccupation déjà exprimée par Jean-Paul II : la crainte d’une déchristianisation de l’Europe, victime du matérialisme et du relativisme. Le 19 octobre, dans un discours prononcé à Vérone, le pape mettait en garde contre les dangers encourus par les sociétés qui se coupent de leurs racines, dès lors incapables «de dialoguer avec les autres cultures où la religion est fortement présente» comme de répondre aux attentes spirituelles de leurs habitants. En Turquie, le souverain pontife a rendez-vous avec Bartholomée Ier. C’est dans cette rencontre entre le chef de l’Eglise catholique et le patriarche orthodoxe de Constantinople que se situe sans doute le coeur secret du prochain voyage papal. L’Occident et l’Orient sont les deux poumons de l’Europe. Rapprocher leurs traditions spirituelles, pour Benoît XVI, c’est permettre au Vieux Continent de respirer un air puisé au sommet.