L’icône de la Trinité,
14 novembre, 2006du site:
http://198.62.75.1/www1/ofm/pope/20GPfr/24/24GPar04.html
L’icône de la trinité,
oeuvre de l’Eglise d’Orient
Après l’interrogation sur le Fils, sur l’Esprit et sur le Père, le Pape invite les fidèles à méditer sur le mystère de la Trinité, qui est un mystère d’amour et de communion. Depuis des siècles la tradition chrétienne a contemplé ce mystère dans l’icône célèbre de Roublev qui représente les trois anges invités à table par Abraham.
« On ne trouve la vérité qu’en pratiquant l’hospitalité », aimait à répéter Louis Massignon. En invitant les pauvres à notre table, c’est le Christ que nous accueillons. L’icône de la Trinité de Roublev, qui illustre une scène d’hospitalité, traduit de façon originale une approche intuitive du mystère de la paternité de Dieu. Les artistes plus que les théologiens ont parfois des éclairs de génie. L’art est capable de mettre en musique la note unique avec une éloquence invincible. Une image vaut dix mille mots. L’assortiment des couleurs et la vivacité des regards font de l’icône de Roublev plus qu’une oeuvre d’art qui illustrerait le mystère de l’hospitalité. L’icône nous introduit au seuil du mystère de Dieu.
Roublev est un artiste du silence intense. Après de nombreuses années de méditation de la Bible, son univers s’est chargé de symboles. La Bible se souvient qu’Abraham était assis à l’entrée de sa tente, sous le chêne de Mambré. Il vit passer trois hommes et se prosterna devant eux pour les inviter à se reposer et à prendre un peu de nourriture. « Mon Seigneur », dit-il au singulier, comme s’il avait vu Dieu sur leurs visages exténuées. ‘Tres vidit, unum adoravit », commente St Augustin. Le livre de la Genèse note que c’étaient des anges qui étaient venus visiter Abraham Dieu engagea par leur intermédiaire avec Abraham une tractation qui aurait sauvé Sodome si dix justes avaient intercédé pour la ville. Abraham, en vrai sémite, sut accueillir ses hôtes selon le faste des coutumes orientales. « Ils faisaient semblant de manger », commente la version synagogale de l’Ecriture. Par contre, les villes voisines perverties et débauchées ne pensaient qu’à violer les anges. Curieux paradoxe des situations. Cependant là où le mal abonde, la grâce surabonde.
Les trois personnages furent hébergés, mais ils étaient pour Abraham un seul Seigneur. Très tôt l’Eglise vit dans cette scène une annonce prophétique de la Trinité. Derrière chacun des trois personnages Roublev a placé un symbole qui permet de l’identifier. A gauche la Maison du Père, au centre un arbre, où la croix se métamorphose en nouvel arbre de vie, et à droite un rocher d’où jaillit l’eau du désert préfigurant le don de l’Esprit. Le plat offert par Abraham à ses hôtes ressemble à la coupe de Pâque, qui annonce la coupe eucharistique. En effet, la version synagogale situait la rencontre d’Abraham avec ses hôtes à Pâque, puisque Sara préparait des pains azymes.
Pour Roublev la rencontre d’Abraham avec les trois anges révèle Dieu, son conseil divin où s’élabore le plan du salut. L’ange du milieu, associé à l’arbre, symbolise le Christ, le vrai fruit de l’arbre de vie. Ses vêtements bleu céleste et brun terrestre suggèrent l’union du divin et de l’humain. Son regard d’amour obéissant est tourné vers le Père, tandis qu’il bénit la coupe de son sacrifice qu’il s’apprête à boire pour faire la volonté du Père. L’étole qu’il porte sur son épaule droite est le signe distinctif de son sacerdoce. Ses deux doigts posés sur la table signifient sa double nature.
L’ange de gauche incarne le Père au-dessus duquel figure la maison: « Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père ». Le Père est celui qui accueille ses enfants dans sa maison. Son manteau transparent d’un bleu lumineux mêlé d’or pâle traduit la source inaccessible de la divinité. C’est par amour que le Père se révèle et se donne dans l’incarnation de son Fils. Le Père aussi bénit la coupe, manifestant la communion d’amour qui existe entre lui et le Fils. A cette double bénédiction correspond celle de l’Eglise: « Béni soit Dieu le Père de Notre Seigneur Jésus-Christ ». Le Père regarde l’ange de droite, dont le manteau vert anticipe la Résurrection. Ce troisième ange symbolise l’Esprit vivifiant dans lequel le Père ressuscitera le Christ et communiquera au monde la vie. Son vêtement bleu est l’expression de la sagesse, tandis que son manteau vert traduit la nature humaine appelée à renaître. L’ange qui incarne la force de Dieu traduit aussi son inaltérable jeunesse. L’eau vive de l’Esprit qui jaillit du rocher est capable de renouveler le monde. L’ange pointe le doigt à côté de la coupe, puisqu’il est le doigt de Dieu, la force de Dieu. Son regard se reflète dans la coupe, car c’est par la puissance de l’Esprit que le vin est transformé au sang du Christ.
Les trois symboles qui permettent d’identifier les anges renvoient également à l’Ancien Testament et constituent une grande inclusion dans l’histoire du salut. La maison renvoie à l’oracle de Nathan: Ce n’est pas David qui construira une maison à Dieu, mais c’est Dieu qui lui fera une maison. L’arbre incarne le Paradis au milieu duquel se trouvait l’arbre de vie. Enfin le rocher évoque la scène du désert où Moïse frappa avec son bâton le rocher. Le message des trois symboles pourrait se résumer ainsi: du Paradis à l’annonce de la venue du Messie. L’étape centrale est celle de la bénédiction de la coupe de Pâque.
Une communication paisible d’amour passe par les regards des trois personnages. Le regard circulaire crée un mouvement d’unité entre eux. Un jeu subtil de courbes qui se correspondent souligne que cette harmonie consiste dans la communion divine que reflète l’hospitalité d’Abraham. Bien plus les regards sont baissés pour mieux exprimer la kénose de Dieu qui se révèle. Toute la Trinité est kénose: le Père se donne à son Fils, le Fils s’abaisse et l’Esprit est l’humilité de Dieu.
Dans la table, sous la coupe de l’eucharistie, un petit rectangle symbolise le monde avec ses quatre dimensions, monde qui ne peut subsister sans le sacrifice de l’agneau. Sans la Pâque la souffrance du monde est absurde. Le sang de l’agneau enlève le péché du monde. L’espace de la table laissé libre par les anges esquisse le pied d’une coupe. Il est facile de continuer à tracer la coupe qui rejoint les épaules de l’ange de droite et de l’ange de gauche. C’est comme si une grande coupe, délimitée par les anges de droite et de gauche, se dessinait au centre du tableau. La coupe de bénédiction est donnée aux hommes parce que le Fils a bu la coupe de la volonté du Père. L’humanité est invitée à boire le vin de la fête, à accepter l’hospitalité de Dieu.
Le message de l’icône est clair: en Dieu le moi est don total, la personnalité jaillit éternellement comme un clair regard vers l’autre ou comme une pure relation à l’autre. Le Père n’est qu’un regard aimant vers le Fils, le Fils n’est qu’un regard obéissant tendu vers le Père et l’Esprit Saint n’est qu’une respiration d’amour entre le Père et le Fils. En Dieu la personnalité se révèle comme une puissance de libération de soi. Dieu est entièrement personnel. Sa nature passe dans des relations intra-divines sans aucune possibilité de retomber dans un fond possessif capable de susciter la moindre complaisance en soi. Tout son être est don, amour et dépossession. C’est dans la kénose que la transcendance de Dieu devient manifeste.
La tradition juive soulignait qu’Abraham fut récompensé pour son geste d’hospitalité. Parce qu’il avait dit: ‘Cherchez de l’eau et vous vous laverez les pieds’, Dieu donnera de l’eau à boire aux fils d’Abraham lorsqu’ils seront assoiffés dans le désert pendant quarante ans. La version synagogale ira jusqu’à dire qu’Abraham lava lui-même les pieds de ses hôtes, anticipant de façon prophétique le geste de Jésus avant sa mort. Parce qu’Abraham avait dit: ‘Je vais chercher du pain’, Dieu donnera la manne à ses fils. Parce qu’il prit un veau tendre pour l’offrir à ses hôtes, Dieu nourrira ses fils avec des cailles dans le désert. Cette récompense se prolongera sur la terre jusqu’aux temps eschatologiques. Dieu fera sortir une source de Jérusalem et il nourrira son peuple comme un Père ses enfants. En d’autres termes, la visite des trois anges n’appartient plus au temps, elle ouvre une dimension d’éternité.
La récompense la plus belle fut réservée cependant à Sara qui est absente du tableau. Dieu révéla à Sara et à Abraham que, malgré leur vieillesse, un fils allait leur être donné, principe d’une descendance plus nombreuse que les étoiles du ciel. Dieu ne pouvait pas oublier son alliance avec Abraham et son descendant. Rien n’est impossible à Dieu. L’oracle de Nathan allait trouver sa réalisation.
La fonction de l’image est d’introduire dans le monde du rêve et de la méditation. La contemplation de l’icône de la Trinité de Roublev indique l’itinéraire à suivre pour approfondir le mystère du Père qui est inséparable de celui du Fils et de l’Esprit. C’est l’Ancien Testament qui communique la première annonce du mystère du Père. Sa lecture juive permet de vérifier comment Jésus lui-même et les évangélistes ont lu la Parole de Dieu. Car Jésus est resté ancré dans la tradition de son peuple. Il est l’héritier de la grande tradition monothéiste qui avait célébré la paternité de Dieu. L’exégèse faite par Jésus lui-même apporte la grande nouveauté: « Moi et le Père nous sommes un ». C’est le Christ qui achève de révéler les secrets de la paternité de Dieu. Enfin, puisque le mystère du Christ se prolonge par l’Esprit dans l’Eglise, il faut interroger les Pères de l’Eglise, en particulier leurs commentaires de la prière du Seigneur. Nous retrouverons ainsi la sereine circulation d’amour caractérisant l’icône de Roublev qui enveloppe toute l’histoire de l’Eglise. La tendresse du Père et son ineffable proximité embrassent la terre entière et continuent à donner aujourd’hui la manne eucharistique et l’eau de l’Esprit. La souffrance de Dieu exprimée dans le regard des trois personnages prend son origine dans l’amour. C’est l’amour qui a créé la souffrance. Nous sommes à mille lieux du dieu des philosophes.
La contemplation de l’icône de la Trinité se transforme ainsi en méditation de toute l’histoire du salut. Celle-ci trouve son achèvement dans le mystère du Père, du Fils et de l’Esprit. L’aventure humaine n’est pas le fruit du hasard. Elle est orientée par l’Amour vers la communion trinitaire.
« Trois: celui qui aime, celui qui est aimé, l’Amour »
Saint Augustin
« L’unité prend son origine dans le Père,
la pluralité commence dans le Fils,
la Trinité s’achève dans l’Esprit Saint »
Richard de Saint Victor
« Je le dirai encore: la porte, c’est le Fils,
la clé de la porte c’est l’Esprit Saint;
la maison, c’est le Père.
Fais donc attention au sens spirituel de la parole. A moins que la clé n’ouvre, la porte n’est pas ouverte; mais si la maison n’est pas ouverte, personne n’entre dans la maison du Père ».
Siméon, le nouveau théologien
Frédéric Manns (je j’ai connu a Rome, mais peu)
Created / Updated Tuesday, March 07, 2000 at 18:38:03