Un discours fleuve, le plus long à ce jour de son pontificat (une heure et quart de lecture) devant 2 600 auditeurs extrêmement attentifs, des évêques, des prêtres, mais surtout des laïcs. Benoît XVI était jeudi 19 octobre à Vérone, près du lac de Garde (nord de l’Italie), où s’est tenu cette semaine le « 4e congrès ecclésial de la nation italienne ».
Cette rencontre devait « proposer des réflexions sur ce qui lui semble, aujourd’hui, important, pour la présence chrétienne en Italie ». Balayant tour à tour les domaines culturel, éducatif, scientifique, politique, le pape est allé bien au-delà du simple programme d’action. Du cas de l’Italie, il a même proposé de faire un exemple pour une société occidentale où l’Église catholique retrouverait sa place, notamment dans le champ de la culture.
Ce n’est pas un hasard si, dès le début de son intervention, Benoît XVI s’est référé au discours que Jean-Paul II avait tenu dans le même contexte à Lorette, en 1985. À l’époque, l’Église italienne se trouvait divisée entre deux tendances, celle de l’Action catholique prônant une présence discrète et médiatrice de l’Église dans le monde, et celle de mouvements comme Communion et Libération, en faveur d’une action de l’Église clairement identifiée.
e pape polonais avait, dans un texte alors très discuté, fortement encouragé les chrétiens italiens à donner à l’Église « un rôle de guide et une efficacité entraînante » dans la société et la nation. D’une certaine manière, hier, son successeur allemand a fait sienne cette conviction, et l’a même prolongée pour demander à l’Église italienne de jouer ce rôle pour l’Europe tout entière.
« Une nouvelle vague de laïcisme »
Aujourd’hui, observe en effet le pape, la société italienne est menacée, comme toute le monde occidental, par « une nouvelle vague de laïcisme ». Une vague qui « exclut Dieu de la culture et de la vie publique ». La foi devient plus difficile dans un monde où « Dieu n’apparaît plus directement, où il semble devenu superflu et étranger ».
Il y a là un risque grave de « détacher les racines chrétiennes de notre civilisation », martèle le pape. Car ce type de culture, qui prétend partir de la centralité de l’homme et de sa liberté, représente « une coupure profonde et radicale, non seulement avec le christianisme, mais plus généralement avec les traditions religieuses et morales de l’humanité ».
Benoît XVI, reprenant ce qu’il avait déjà avancé en Allemagne, a averti que « cette société sans Dieu ne sera pas en état d’instaurer un véritable dialogue avec les autres cultures, dans lesquelles la dimension religieuse est forcément présente ». On sait qu’il pense alors à l’islam. Mais dans cette même Italie, le pape sent « croître un sentiment d’insuffisance et de frustration devant une rationalité refermée sur elle-même et une éthique trop individualiste ».
Ce sentiment est même présent, a-t-il ajouté, chez « des penseurs non croyants, qui ne pratiquent par notre foi ». Allusion à tout un courant italien, dit des « athées-dévots » et composé d’intellectuels non catholiques (comme Marcello Pera ou Juliano Ferrara, directeur du journal Il Foglio), qui opèrent ainsi une convergence avec les valeurs chrétiennes.
La place de l’Eglise à trouver dans l’espace politique italien
En menant ce combat, ajoute le pape, « l’Église italienne rendra un grand service non seulement à cette nation, mais aussi à l’Europe, et au monde, parce que le piège du sécularisme est partout présent et aussi parce que la nécessité d’une foi vécue en rapport avec les défis de notre temps est universelle ».
Présence culturelle, donc, mais aussi présence politique. Depuis dix ans, le cardinal Camillo Ruini, président de la Conférence des évêques italiens, fait de l’Église catholique un acteur incontournable du jeu politique national. Ce qui n’est pas sans provoquer des réticences, au sein de la hiérarchie ecclésiale comme des laïcs. L’engagement politique des évêques fut d’ailleurs au cœur des débats de cette semaine de congrès. La présentation des liens entre Église et État par le sociologue romain Luca Diotallevi a provoqué mardi des discussions très serrées dans l’assemblée.
Dans un pays gagné à son tour par la sécularisation, mais où l’Église reste puissante, la place de celle-ci dans l’espace politique, qui ne peut plus être celle de la Démocratie chrétienne, reste en effet à trouver. Le cardinal Dionigi Tettamanzi, archevêque de Milan, a ainsi mis en garde, dès le discours d’ouverture du congrès lundi, contre toute tentation de récupération des valeurs chrétiennes par la politique : « Il vaut mieux être chrétien sans le dire que le proclamer sans l’être », a-t-il dit, citant saint Ignace d’Antioche.« L’Église n’a pas à être un agent politique » Certes, a repris Benoît XVI jeudi, « l’Église n’a pas à être un agent politique ». Mais en même temps, a-t-il poursuivi, « elle a un intérêt profond pour le bien de la communauté politique (…) et offre à divers niveaux sa contribution spécifique ».
Le pape a donc demandé aux catholiques italiens de s’opposer avec une « forte détermination » aux choix politiques et législatifs qui « contredisent fondamentalement les valeurs et les principes anthropologiques et éthiques enracinés dans la nature de l’être humain ». Benoît XVI a cité en particulier tout ce qui concerne « la protection de la vie humaine de la conception à la mort naturelle, la promotion de la famille fondée sur le mariage », et l’introduction, dans la législation publique, d’autres formes d’union qui contribueraient à la déstabiliser : allusion au pacs, que le gouvernement Prodi a inscrit dans son programme.
Une invitation aux chrétiens italiens à être « dans le monde sans être du monde », que le pape devait d’ailleurs reprendre quelques heures plus tard durant la célébration dans le stade de Vérone.
Isabelle DE GAULMYN